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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 2

Gabriel Dharmoo : voir plus loin

Par Lucie Renaud / 1 octobre 2011

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Premières d’œuvres, collaborations cinématographiques, reconnaissances: la dernière année s’est révélée fertile pour Gabriel Dharmoo. Quelques jours après avoir reçu le prix Robert-Fleming du Conseil des arts du Canada, l’Académie de musique du Québec remettait au jeune artiste de 30 ans, lors du gala soulignant le 100e anniversaire du Prix d’Europe, son Prix de composition Fernand-Lindsay 2011, visant à encourager le perfectionnement à l’extérieur du Québec.

Grâce à la bourse, il s’envolera ce mois-ci pour Chennai, en Inde, et travaillera intensivement avec quatre maîtres de musique carnatique la théorie, la rythmique, le chant et la technique instrumentale, car l’apprivoisement d’une tradition passe en partie par l’interprétation.

«On parle ici d’une culture musicale d’une richesse incroyable, explique-t-il en entrevue. Les arts classiques et folkloriques indiens paraissent éloignés de la musique occidentale, mais possèdent au moins une richesse équivalente. J’aime me mesurer à des réalités, des sensibilités musicales complètement différentes. Il est important d’entendre, d’écouter, d’expérimenter, de comprendre et de saisir les traditions musicales, basées sur l’oreille plus que sur la notation.»

Ces séances de perfectionnement ne se veulent en aucun cas synonymes de simple reproduction du matériel étudié: «Je veux manger la musique, la digérer.» Gabriel Dharmoo pourra ainsi en extraire une ornementation typique, intégrer à une œuvre une fluidité mélodique, chaque élément devenant une parcelle de son langage qui, au fil des métissages, se définira de lui-même. «Je préfère les paysages sonores recréés, reprendre les choses sans m’y référer.»

Cette appropriation sélective se confirme lorsqu’il aborde les pages des grands classiques ou se laisse inspirer par les avancées de ses contemporains. Plutôt que d’apprécier l’intégrale des œuvres d’un compositeur donné, il s’attardera à certaines facettes bien particulières de son travail. Quand on le presse de nommer quelques inspirations, il hésite visiblement avant d’avancer les noms de Bach, Purcell (pour ses atmosphères et son théâtre de caractères), Bartók (premier compositeur du 20e siècle avec lequel il était entré en contact), Nono, Ligeti, Xenakis. Il privilégie un parcours organique: «J’ai toujours voulu être un créateur musical. Au départ, je souhaitais devenir un artiste plus populaire, mais je voulais aller plus loin. J’étais inspiré par Beck, Björk, Portishead, je n’ai jamais voulu me lancer dans le mainstream

Après une formation de violoncelliste, il bifurque naturellement vers la composition, avec Hugues Leclair et Éric Morin à Québec, puis avec Serge Provost au Conservatoire de musique de Montréal. Une pièce à la fois, il défriche, explore, séduit. Il voit cinq de ses œuvres primées au Concours des jeunes compositeurs de la SOCAN: Vaai Irandu (2e prix en 2010), Le jour de mon mariage avec Dieu (2e prix en 2008), Chapelets (2e prix en 2008), D’arts moults (3e prix en 2006) et À l’Homme (1er prix en 2002). Ses compositions ont été jouées par Arraymusic, Codes d’accès, l’Ensemble Chorum, Erreur de type 27, Motion Ensemble et l’ECM+, qui l’a notamment choisi pour participer à Génération 2012. Le 11 septembre dernier, l’ensemble Aventa de Victoria créait Sur les rives de, pour flûte, clarinette, percussion, violon et violoncelle, et Erreur de type 27 intègre ce mois-ci une œuvre pour flûte, tabla et percussion à son concert Musica Masala.

Dharmoo insiste sur la nécessité de redéfinir le rôle du compositeur: «Il doit dépasser le simple fait d’écrire des notes. Il faut y croire, avoir une attitude positive, discuter avec le public au concert, émettre des opinions qui ne sont pas seulement fondées sur des perceptions, demeurer ouvert sans se compromettre en tant qu’artiste.» Il établit un parallèle avec Cecil Taylor, qui admettait en entrevue: «Personne ne m’a demandé de faire ce métier!» Il est donc nécessaire de se renouveler avec chaque œuvre créée, mais aussi de faire partie intégrante de sa communauté: «L’économie est importante, c’est vrai, il faut savoir la gérer, mais elle doit servir au bien commun de tous, dit-il. Le rôle de compositeur est pertinent dans une société; pas nécessairement utile, pratique, mais essentiel, surtout si on lui reconnaît une dimension sociale.»

La musique contemporaine doit, selon lui, revoir son rapport au public, redéfinir la structure du concert, privilégier des formules thématiques, miser sur le travail des jeunes compositeurs. «La perception de chaque public est teintée par sa culture. L’auditeur peut parfois avoir l’impression d’être aussi dépaysé que s’il assistait à un spectacle de kabuki. Chaque compositeur reconstruit, pièce après pièce; les formes d’art doivent être justifiées par leur contexte.»

Même s’il collabore de façon régulière avec des réalisateurs et des chorégraphes, Gabriel Dharmoo admet avoir de la difficulté à se projeter dans l’avenir, conscient que tout projet demeure dépendant d’un financement. «J’espère continuer à être actif dans le milieu, ainsi que dans d’autres villes. Il est important de ne pas se développer uniquement à Montréal.» Il compte également poursuivre l’apprentissage des autres musiques, songe à l’enseignement et développera le volet improvisation de sa démarche artistique. «Pour moi, la composition et l’improvisation sont deux sphères qui deviennent une seule grosse boule.»

Évidemment, on pourra le croiser à un événement musical, histoire de s’inspirer: «Il est important d’être inscrit dans son milieu et de savoir ce que les autres font. On peut ainsi développer des rapports authentiques et comprendre qu’au fond, nous faisons tous la même chose.»


On pourra entendre une création de Gabriel Dharmoo le 14 octobre 2011 au Café Babylone de Québec, gabrieldharmoo.org, erreurdetype27.com


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