La democratie acoustique : Une nouvelle maison pour l'OSM  Par Wah Keung Chan
 / 1 septembre 2011
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  Enfin! Après l’avoir espérée pendant 
presque trois décennies, Montréal aura finalement une salle de concert 
digne de ce nom. Le 26 août 2011, l’Orchestre symphonique de Montréal 
a répété pour la première fois dans sa nouvelle résidence – qui 
attend encore d’être baptisée – voisine de la Place des Arts. 
Très attendu, le concert inaugural de l’OSM, le 7 septembre, ouvrira 
un nouveau chapitre de l’histoire de la musique à Montréal et au 
Canada. 
Le bois blond de hêtre du Québec qui 
habille tout l’intérieur de la salle depuis les parois jusqu’au 
plancher, et les tuyaux de l’orgue Casavant dominant la scène, ravissent 
le regard. Mais on se prend à se demander: l’acoustique sera-t-elle 
à la hauteur? S’il est trop tôt pour en jurer, les idées et la 
feuille de route des gens chargés de la réaliser permettent de croire 
à une réussite sur les deux plans. 
  
Dans les coulisses
  
Porté au pouvoir en 2003, le 
gouvernement du Parti libéral met à la poubelle le vieux dossier de 
la salle de concert et opte pour le partenariat public-privé (PPP). 
La perspective d’une acoustique permettant de rendre d’autres 
ppp (pianississimo) aurait-elle pesé dans la décision de maestro 
Kent Nagano d’assumer la direction artistique de l’OSM en 2004? 
Peut-être. Quoi qu’il en soit, dès son arrivée, il recommande de 
confier les travaux d’acoustique à la firme Artec. 
 «Nous sommes partis d’un concept basé 
sur la forme rectangulaire traditionnelle des salles de concert englobant 
les parois et les sièges», dit Tateo Nakajima, associé chez Artec.  
La participation de Kent Nagano au processus 
se devine partout. C’est lui qui a recommandé de rapprocher la scène 
du public, comme au Concertgebouw à Amsterdam, a-t-il confié à 
La Scena Musicale lors d’une visite du chantier en octobre dernier. 
C’est encore lui qui a choisi le système de réflecteurs en bois 
rectangulaires ajustables, intégré au plafond mais qui surplombe aussi 
les sièges, alors que de nombreuses salles de concert canadiennes signées 
Artec (dont Windspear à Edmonton et Roy Thomson à Toronto) présentent 
des panneaux circulaires amovibles suspendus au-dessus de la scène 
seulement. «En 2004, les idées de M. Nagano sur la nouvelle salle 
et sur le rôle qu’elle jouerait dans la collectivité, pour l’orchestre 
et pour le répertoire, nous ont été exposées, dit M. Nakajima. Elles 
ont été le point de départ de notre design. M. Nagano a été périodiquement 
consulté, il a approuvé les décisions, participé aux discussions, 
rappelant et renforçant des arguments qui lui tenaient à cœur.» 
Le projet d’Artec a été retouché 
par le gouvernement du Québec, puis soumis à un appel d’offres en 
vue du choix d’une firme d’architecture et de construction. Le processus 
s’est étalé sur deux ans. M. Nakajima s’est entretenu avec chacun 
des soumissionnaires au fil d’une série de rencontres supervisées 
par le gouvernement. 
Jack Diamond, le soumissionnaire retenu, 
est membre du cabinet d’architectes Diamond-Schmitt qui a conçu le 
célèbre Four Seasons Performing Arts Centre de Toronto, résidence 
de la Canadian Opera Company. Ce choix a pu paraître étrange, les 
deux sociétés n’ayant jamais collaboré jusque-là. D’autant plus 
que M. Diamond avait déjà son propre acousticien conseil avant de 
décrocher le contrat de la salle de concert montréalaise. 
«Il a été décidé que M. Diamond 
ferait des propositions et que nous trouverions le moyen de travailler 
ensemble, ou pas, explique M. Nakajima. Les souhaits de notre partenaire 
se rapportaient soit à l’architecture, soit au budget. Mais comme 
Artec avait la responsabilité ultime de l’acoustique et du bâtiment, 
il n’était pas question de renoncer à la moindre parcelle de notre 
autorité décisionnelle.» 
  
La 
« boîte à chaussures »
  
La salle Wilfrid-Pelletier, qui 
compte 2990 sièges et abrite l’OSM depuis sa construction en 1963, 
n’a jamais été reconnue pour ses qualités acoustiques. Elle avait 
été conçue comme une salle multifonctionnelle, selon l’usage à 
l’époque. Le conseil d’administration de la Place des Arts, qui 
exigeait une salle de 5000 places, avait alors consulté feu Russell 
Johnson, le fondateur d’Artec. «Il a fallu un an à Russell pour 
les convaincre qu’une aussi grande salle ne rendrait pas justice à 
l’orchestre», dit M. Nakajima. Même après l’ajout des panneaux 
de bois autour de la scène lors des rénovations de 1990, l’acoustique 
laissait à désirer. Nagano précise: «Avec le bruit de la climatisation 
et le chuintement de l’éclairage, il est impossible d’y faire entendre 
un vrai pianississimo.» 
Les qualités acoustiques de la nouvelle 
salle résultent avant tout du respect d’une exigence primordiale 
chez Artec concernant les bruits extérieurs: l’isolation phonique. 
Jack Diamond a trouvé le moyen de l’obtenir en faisant reposer la 
salle sur des coussins acoustiques en caoutchouc formant une enveloppe 
distincte des fondations extérieures, comme au Four Seasons à Toronto. 
«Nous avons imaginé le moyen de réaliser une isolation d’un seul 
mètre au lieu des trois mètres habituels, expliquait fièrement M. 
Diamond durant une tournée du chantier en juin dernier. Les camions 
peuvent donc s’arrimer directement à la scène pour décharger le 
piano et les instruments.» 
 Chose étonnante, la nouvelle salle de 
1900 places (2100 en l’absence de chœur) est à peine plus petite 
que Wilfrid-Pelletier. «Celle-ci est beaucoup plus étroite. C’est 
d’ailleurs pour cela que le son initial sera très clair, et la réverbération 
chaleureuse», ajoute Matthew Lella, architecte de projet chez Diamond-Schmitt. 
L’autre aspect qui distingue la nouvelle 
salle de l’ancienne concerne le système de réflecteurs ajustables 
du plafond, une installation complexe qui a demandé beaucoup de temps. 
«La relation visuelle et esthétique des réflecteurs à la salle fait 
penser à São Paulo, dit M. Nakajima. Là-bas, tout le plafond est 
ajustable, ici il l’est aux deux tiers.  
«Dans une grande salle, la distance 
que parcourt le son est plus grande et si la réverbération est trop 
forte, elle fera écho. L’ajustement des réflecteurs fait en sorte 
que le son initial atteint le public plus rapidement et qu’on peut 
moduler la quantité d’énergie sonore dirigée vers la partie supérieure 
du plafond. Le son se fond, revient, et l’auditeur le perçoit comme 
un son unique. Certains répertoires exigent un environnement plus vaste, 
plus large et davantage de soutien. Pour les uns, un temps de décroissance 
faible est souhaitable, tandis que pour d’autres les variations harmoniques 
sont telles que l’on peut s’accommoder de réverbérations plus 
longues et plus pleines. Il y a une différence entre un ensemble de 
musique de chambre et un orchestre.» 
D’ici le 7 septembre, M. Nakajima procédera 
à des essais approfondis avec M. Nagano à la tête de son orchestre 
pour que tout soit fin prêt le soir de l’inauguration. «Notre intention 
est de mettre au point, d’ici la fin de la première année, un éventail 
de configurations de base correspondant aux principales tailles et catégories 
de formations instrumentales de manière à ne pas avoir à nous inquiéter 
constamment, déclare M. Nakajima. Nous n’allons pas nous amuser à 
changer l’aménagement à chaque mouvement de symphonie! À Miami, 
par exemple, nous disposons de six configurations, mais à Lucerne, 
où ils adorent ajuster l’acoustique, nous en avons seize. Il s’agit 
avant tout d’un choix artistique, fait avec l’appui du personnel 
technique.» 
Un grand nombre de concepteurs s’efforcent 
d’obtenir une absorption égale de son par les sièges et par les 
spectateurs. Artec adopte une approche différente, qui consiste à 
réduire autant que possible la déperdition de son dans la salle: d’où 
le choix de fauteuils au dossier et au siège plutôt durs, précisément 
pour limiter l’absorption. «Le sommet du fauteuil fait office de 
rambarde pour vous guider lorsque vous quittez la salle; il faut aussi 
que le mécanisme du siège soit silencieux», explique M. Nakajima. 
Afin de simuler la présence du public pendant les répétitions, on 
peut aussi déployer des rideaux le long des parois latérales. 
L’architecte a eu une trouvaille pour 
éliminer le bruit provoqué par la climatisation. «Nous avons fait 
sortir l’air par des bouches rondes placées à la base de chaque 
fauteuil, fait observer M. Diamond. Ce système déplace de gros volumes 
d’air, mais lentement, si bien qu’on n’entend ou ne sent rien.» 
De nombreux autres éléments d’architecture 
contribuent à améliorer l’acoustique de la nouvelle salle. «Vous 
avez là un exemple contemporain de la ‘’boîte à chaussures’’ 
classique. Dans les boîtes à chaussures des premiers temps, vous aviez 
de nombreuses décorations, angelots, colonnes ou autres, dont la fonction 
était de disperser le son. Tout cela n’existe pas dans une salle 
de concert contemporaine. Nous devons obtenir le même effet en jouant 
avec les incurvations et avec la texture des parois. Certaines boiseries 
sont polies tandis que d’autres sont légèrement poncées pour favoriser 
la diffusion des hautes fréquences. La façade des balcons opère une 
diffusion différente, tandis que les larges arrondis aident le passage 
des basses fréquences. Et les bandes blanches ont été moulées dans 
le plâtre selon des angles qui assurent encore une autre forme de diffusion», 
commente M. Diamond. 
Il poursuit: «Ce que nous voulions, 
c’était donner la sensation que l’on se trouve dans un cocon. La 
scène est entourée par le public, ce qui crée l’intimité entre 
l’auditoire et les musiciens. Et les musiciens eux-mêmes aspirent 
à cette intimité, ils veulent ce lien, comme pour tendre les bras 
vers les auditeurs. Bref, on doit s’efforcer de couler les exigences 
acoustiques dans un moule architectural correspondant à une salle. 
Il faut que celui qui entre dans la salle se sente à l’aise, détendu, 
qu’il ne soit pas distrait par des bizarreries architecturales. En 
d’autres termes, il faut que la salle suscite l’intérêt, qu’elle 
dégage une force sereine qui vous enveloppe.» 
Très bien, mais quel est le meilleur 
siège pour l’écoute? Voici la réponse de M. Diamond: «C’est 
une salle de concert démocratique, la densité du son est la même 
pour chaque fauteuil.» Mais M. Nakajima se montre plus réaliste: «Étant 
donné que de nos jours, la densité et l’impact du son constituent 
un critère déterminant de succès, nous devons travailler sur sa répartition. 
Il est impossible d’obtenir physiquement une répartition uniforme 
du son: chaque spectateur est placé à une distance différente des 
parois et selon une géométrie distincte par rapport aux musiciens, 
si bien que dans les faits, la perception sera différente pour chaque 
auditeur. Notre objectif reste cependant d’offrir, partout dans la 
salle, une expérience de très haute qualité ne se distinguant pas 
de façon marquée de celle des autres.» 
  
Tous les chemins mènent 
à...
  
Comment en vouloir à M. Diamond 
de son enthousiasme alors que ce qui émane incontestablement de la 
conception architecturale, c’est précisément l’impression d’une 
salle démocratique? L’élément qui lui a sans doute valu d’emporter 
le contrat. 
 «Pendant le concert, ce sont les musiciens 
qui sont au centre de l’attention, dit M. Diamond. Mais à l’entracte, 
lorsque le public se déverse dans les espaces communs, c’est lui 
qui entre en scène: on rencontre des amis, on se déplace dans le foyer, 
la cohésion s’accomplit, mais de façon différente. De là où nous 
sommes, le regard peut descendre jusqu’à l’entrée de la rue Saint-Urbain 
et remonter jusqu’au dernier étage. On peut embrasser d’un seul 
regard tous les niveaux du foyer tout en étant visuellement relié 
à l’extérieur.» 
Les Montréalais se demandent peut-être 
pourquoi le boulevard de Maisonneuve Ouest a vu récemment transformer 
ses intersections en diagonale en croisements à angle droit longeant 
une nouvelle esplanade. L’explication se trouve dans le concept voulu 
par M. Diamond. «Lorsque vous roulez vers l’ouest sur de Maisonneuve, 
ce bâtiment constitue votre point d’aboutissement visuel; cela lui 
donne une importance que n’ont pas les autres édifices de la Place 
des Arts. Et en plein centre de cette cible optique, nous avons placé 
un point de repère très particulier, une structure construite dans 
un verre différent et contenant une sculpture. C’est là que se trouve 
le salon des hôtes de marque, que nous avons placé dans l’axe, donc 
avec la perspective. L’une des entrées principales donne directement 
sur la rue Saint-Urbain, au cœur de la ville. Là encore, puisque l’on 
parle de démocratie, l’accessibilité a été conçue de manière 
à permettre aux gens d’arriver par le métro, de monter directement 
du parc de stationnement, de descendre de l’autobus ou simplement 
de venir à pied, en entrant par le niveau de la galerie marchande ou 
par celui de la place. Et nous avons des ascenseurs pour les personnes 
handicapées.» 
M. Diamond termine sur ce qui est pour 
lui le thème central: l’accueil. «À l’époque où l’on a construit 
la Place des Arts, les centres d’activité culturelle se voulaient 
repliés sur eux-mêmes. Je crois qu’aujourd’hui, on aspire à une 
intégration beaucoup plus poussée entre les éléments qui composent 
la ville et la rue. En voici un exemple. Grâce à la transparence, 
on se débarrasse de l’impression d’élitisme que dégage un espace 
clos.» 
osm.ca 
[Traduction: Michèle Gaudreau & 
André Scialom] 
 
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