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La Scena Musicale - Vol. 17, No. 1 septembre 2011

l’Étiquette de concert

Par Crystal Chan / 1 septembre 2011

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Beaucoup croient que la fréquentation des concerts, surtout par des jeunes, est faible parce que l’expérience de la musique classique est trop guindée. Bien sûr, dans un concert classique, la musique est bien différente de celle d’un concert jazz ou pop. Mais surtout, les manières dont les gens agissent sont différentes; l’atmosphère est différente. Cela est dû à l’étiquette, qui détermine comment les gens agissent (ou sont supposés agir) durant une prestation et par conséquent façonne l’expérience d’aller au concert. Aujourd’hui, ces conventions ressemblent beaucoup plus à celles d’un spectacle de théâtre qu’à celles qui ont cours dans les concerts de presque tout autre genre musical. Comment l’étiquette des concerts de musique classique est-elle devenue ce qu’elle est maintenant?

L’église, la cour et le carnaval
Au commencement était l’église, et l’église était la salle de musique. La musique liturgique était la seule musique répétée que la plupart des gens pouvaient entendre avant le 17e siècle. L’étiquette pour écouter de la musique exécutée devant un public était par conséquent similaire à l’étiquette dans une église. Même si la musique liturgique faisait souvent partie intégrante des messes, les musiciens n’étaient pas le centre d’attention: ils étaient des intermédiaires dans la communion avec le divin, là pour inspirer ou diriger la congrégation et souvent physiquement relégués au chœur ou à la tribune d’orgue au fond de la salle. Généralement, l’audience était censée être réservée et silencieuse par respect pour la voix représentée par la musique.

La musique devint vite populaire à la cour, surtout durant les 17e et 18e siècles. Les compositeurs commencèrent à dépendre de mécènes issus de la noblesse. Ils adaptèrent leur musique pour le divertissement et pour accompagner la vie à la cour, ou encore pour qu’elle serve de trame de fond lors de célébrations ou de deuils publics. Les conversations, les applaudissements ou les acclamations étaient acceptables, même durant les prestations (tant et aussi longtemps que le noble en question les tolérait). Cela était aussi vrai pour la musique dans les maisons, dans la rue ou à la taverne locale–l’étiquette était déterminée par l’environnement et ses figures d’autorités.

La montée de la salle de concert
Le passage à la salle de concert dans le 19e siècle a eu le même impact sur l’étiquette et l’exécution de la musique classique que le passage au microphone dans le 20e siècle sur la musique populaire.

Comme les concerts passaient de plus en plus des salons, cours, églises et tavernes à des salles dédiées uniquement à ces prestations, encore plus de gens pouvaient assister à chaque concert. C’était une bonne chose, mais cela signifiait aussi que les ensembles étaient plus éloignés sur la scène–et l’amplification n’existait pas encore. Les membres du public faisaient aussi beaucoup de bruit, comme on le voit souvent dans des films ou à la télévision où les concerts victoriens sont présentés comme des événements somptueux: on «y allait pour être vu» et le public jasait pendant les spectacles. Ce n’était pas non plus toutes les salles qui possédaient une bonne acoustique. En raison d’erreurs de conception très courantes, le son voyageait à la fois de la scène au public et dans le sens inverse.

Les compositeurs: les nouveaux dieux et rois
Tout cela faisait en sorte qu’il était difficile d’entendre les sons par-dessus les bruits du public. En 1882, dans une sortie mémorable, Wagner condamna ces bruits après le second acte d’une représentation de Parsifal à Bayreuth; deux semaines plus tard, il se faisait huer lui-même pour avoir crié «bravo». Il est possible que Wagner n’ait désiré qu’un peu de silence lors d’un moment particulièrement magique, mais l’admiration du public avait pris le dessus. Dès lors, l’auditoire s’en remit de plus en plus aux compositeurs pour savoir comment il fallait réagir à la musique. Wagner fut le premier des nombreux compositeurs qui (de manière involontaire, dans son cas) ont popularisé l’idée qu’il était inacceptable de faire du bruit durant un concert.

Les salles ont également influencé les compositeurs, les amenant notamment à présenter les exécutions musicales comme l’événement principal. Ils écrivirent des pièces comme des œuvres d’art à part entière au lieu des musiques de fond ou des divertissements. Mahler spécifia dans la partition de Kindertotenlieder qu’il ne devait y avoir aucun applaudissement entre les mouvements. Le silence est ainsi devenu progressivement la norme à la fin du 19e siècle et devint une règle absolue au cours des années 1950 et 60. L’exception majeure aujourd’hui est les opéras avec de grandes arias. Ces dernières, ou une exécution particulièrement excellente d’une section, peuvent être applaudies ou même saluées avec un ou deux bravos.

Les conventions du futur
Retournant, de plusieurs manières, à l’expérience de la musique d’église qui régnait partout il y a quelques siècles seulement, les spectateurs sont attentifs, tournés vers l’avant dans le noir. Effectivement, le culte d’une pléiade d’œuvres, d’artistes et de compositeurs attise une ferveur presque religieuse.

Même aujourd’hui, le désir de ne pas briser la jouissance de la vision unifiée d’un compositeur est la principale raison invoquée par le public pour ne pas applaudir entre les mouvements ou faire du bruit en général (la deuxième raison étant le respect des autres membres de l’auditoire). Bien sûr, la majorité des compositeurs classiques ne s’attendaient pas à ce que leur musique soit exécutée devant une foule attentive et silencieuse. Haendel n’aurait certainement pas espéré une première aussi silencieuse de sa Water Music.

Il semble naturel d’apprécier la musique classique dans un environnement silencieux dans un monde d’enregistrements musicaux. Sur les disques, les mouvements et les sections sont divisés en plusieurs pistes et beaucoup de prestations sont enregistrées dans le silence absolu, sans applaudissements. Ayant grandi avec ces conventions culturelles, beaucoup de jeunes compositeurs continuent cette tendance en écrivant des pièces pour des salles de concert silencieuses.

D’un autre côté, bon nombre de compositeurs et de musiciens d’aujourd’hui s’intéressent à la participation de l’auditoire et à la possiblité de spectacles dans des espaces non traditionnels. Peut-être ont-ils mis le doigt sur quelque chose: ce que l’histoire de l’étiquette de concert nous a appris, c’est qu’elle est malléable, et que les plus grands facteurs qui interviennent sont les lieux et ce qui fait autorité. Si nous voulons attirer une nouvelle génération d’amateurs fidèles, il semble que nous pouvons commencer en donnant des concerts dans des environnements qui sont invitants pour le public cible et en communiquant la façon dont les compositeurs, ou encore les nouvelles figures d’autorité, les musiciens, auraient voulu ou veulent que leur musique soit appréciée d’une manière différente de la norme; que ce soit en tenue décontractée ou non, dans le calme ou non, en participant ou non.

Traduction: Yujia Zhu


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