Gabriel Thibaudeau : De Beauharnois au tour du monde ! Par Roxana Pasca
/ 13 juin 2011
Version Flash ici
La Cinémathèque québécoise, la Cinémathèque
de Bologne, le Musée du Louvre à Paris, la Quinzaine des Réalisateurs
(Festival de Cannes), le Forum du cinéma européen de Strasbourg, le
Festival de l’Encre à l’écran (Tours, France), la National Gallery
of Art de Washington, les Grands Ballets Canadiens et l’Orchestre
symphonique de Montréal – pour ne nommer que ceux-là – on tous
fait appel au talent et à l’originalité du pianiste, chef d’orchestre
et compositeur québécois Gabriel Thibaudeau. Ce dernier, dont la carrière
internationale le mène aux quatre coins du globe, est reconnu comme
étant l’un des spécialistes de l’accompagnement du cinéma muet.
Ainsi, c’est en composant la musique pour de grands classiques tels
The Phantom of the Opera (Rupert Julian, 1925), Straight Shooting
(John Ford, 1917), Foolish Wives (Erich Von Stroheim, 1922),
L’Homme qui rit (Paul Leni, 1928), Broken Blossoms (D.W.
Griffith, 1918), Au Bonheur des dames (Julien Duvivier, 1929),
Blinkity Blank (Norman MacLaren, 1955) et bien d’autres que Gabriel
Thibaudeau a acquis sa notoriété en tant que musicien, autant au Québec
qu’outre-mer.
Malgré toutes ses réalisations
et sa renommée en constante ascension, Gabriel Thibaudeau se perçoit
toujours comme un homme qui se cherche : « Ma vie est autour de la
recherche, affirme-t-il. Et le médium que j’utilise pour grandir,
c’est la musique. » Il désire grandir pour devenir un meilleur musicien,
certes, mais également pour devenir un meilleur être humain. Accordant
une place primordiale aux rencontres et au partage, il n’est pas à
l’affût des compliments et des applaudissements, mais des remerciements
sincères. « J’aime le répertoire, avoue-il. Mais j’aime encore
plus la musique et les êtres humains. » Gabriel Thibaudeau se dit
modestement être un canal, voire une rivière, par lequel la musique
passe, afin de se rendre ultimement aux autres et ainsi pouvoir partager
sa passion.
La musique ou la mort
Né d’une mère pianiste et
d’un père violoncelliste amateur, Gabriel Thibaudeau a baigné dans
la musique dès sa plus tendre enfance. Il n’avait que 12 ans lorsqu’il
commença à accompagner, puis à remplacer sa mère, organiste dans
le village de Beauharnois au Québec. « Tiens, il y a Michel Louvain qui vient au
village, lui dit-elle un jour. Je suis un peu fatiguée, c’est toi
qui vas aller l’accompagner. » Ne connaissant pas la partition à jouer,
Gabriel Thibaudeau avait pour seul conseil : « Change de ton continuellement ! Vas-y
à l’oreille !
Tu es capable ! » Loin
de décourager le jeune Thibaudeau, cette méthode – pour le moins
brutale – lui a inculqué la discipline et le courage. Ainsi, à 15
ans, il était déjà pianiste pour les cours de ballet; à 16 ans,
il était pianiste pour l’équipe canadienne de gymnastique; et à
17 ans, il était inscrit à l’École de musique Vincent-d’Indy.
Les quelques années d’université
qui ont suivi n’ont toutefois pas été aussi révélatrices et prolifiques
que ses débuts de jeune pianiste. « Je n’étais pas dans mon élément,
socialement et musicalement », dit-il. En effet, deux ans après son
inscription à Vincent-d’Indy, Gabriel Thibaudeau s’inscrit en composition
à l’Université Laval à Québec; il revient deux semaines plus tard
à l’Université de Montréal, et ce, pour trois mois seulement. Cette
difficulté à trouver sa place n’était pas due à un manque de talent
ou d’application, loin de là, mais à une certaine révolte intérieure.
Le jeune compositeur et pianiste était révolté par le manque de volonté
créatrice et d’originalité de ses collègues et du monde universitaire.
« Pour moi, la musique allait au-delà du prestige, affirme le musicien.
La musique était une question de survie : la musique ou la mort. »
Cette difficulté d’intégrer le milieu
universitaire – trop classique pour les aspirations du jeune musicien
– n’a toutefois pas découragé Gabriel Thibaudeau. « Bien que
ce fut très prétentieux de ma part de croire que le monde entier était
contre moi, cette révolte m’a permis de m’imposer des limites »,
affirme-il. Aussi, Gabriel Thibaudeau avoue n’avoir jamais vraiment
douté de lui et de ses capacités, tout en essayant de trouver une
satisfaction dans chacun de ses projets – qu’il soit directeur de
la chorale de son village ou directeur musical des productions d’opérettes
à l’hôtel Reine Elizabeth.
Gabriel Thibaudeau, Pierre-Henri Deleau
et l’Octuor de France
C’est en 1990 que la carrière
de Gabriel Thibaudeau prend un premier élan vers le succès international : la
Cinémathèque québécoise lui demande de composer la musique pour
le célèbre film de Rupert Julian, The Phantom of the Opera (1925).
La partition composée par le pianiste est une réussite immédiate ! Résultat,
on lui redemande une version élargie, c’est-à-dire pour un orchestre
symphonique d’une quarantaine de musiciens. The Phantom of the Opera,
version symphonique, est un véritable succès national et international,
maintes fois présenté au Canada, en France, aux États-Unis, au Portugal
et en Espagne.
Par la suite, Gabriel Thibaudeau se voit
confier plusieurs autres contrats de composition par, entre autres,
la Cinémathèque de Bologne, en Italie, pour Straight Shooting
(1917) de John Ford et le Musée du Louvre à Paris pour Foolish
Wives (1922) d’Erich Von Stroheim. Outre ces contrats à l’international,
Gabriel Thibaudeau compose, pour la Cinémathèque québécoise, la
musique pour La Chute de la maison Usher (1929) de Jean
Epstein, Broken Blossoms (1918) de D.W. Griffith et Nanook
of the North (1922) de Robert Flaherty.
Un deuxième point tournant dans la vie
et la carrière du pianiste, chef d’orchestre et compositeur québécois
est sa rencontre avec Pierre Henri Deleau, ancien président-directeur
général de la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes et grand manitou
du cinéma mondial. Pierre-Henri Deleau, qui voulait présenter L’Homme
qui rit (1928) de Paul Leni à la Quinzaine, confia la composition
à Gabriel Thibaudeau. Ce film, qui connut un succès monstre, lui permit
de faire sa première – mais loin d’être la dernière – collaboration
avec l’Octuor de France. Ensemble, ils vont parcourir le monde –
de la France au Canada, en passant par les États-Unis, le Japon, la
Grèce, l’Espagne, la Finlande, l’Italie, la Biélorussie et le
Brésil – avec des films tels The Iron Mask (1929) d’Allan
Dwan, Poil de Carotte (1924) et Au Bonheur des dames
(1929) de Julien Duvivier.
« Je veux faire de la musique ! »
En plus de ses nombreux contrats
de composition, Gabriel Thibaudeau travaille sur un opéra – un projet
qui lui tient particulièrement à cœur. Cet opéra, peu conventionnel,
se donne pour mission de développer un nouveau rapport avec la musique,
une ouverture sur l’humanité et la création.
Précisons également que Gabriel Thibaudeau
revêt, de temps en temps, l’habit de professeur en donnant des cours
et des cours de maître à des doctorants. Bien que sa relation avec
l’Université n’ait pas toujours été des meilleures, l’enseignement
lui permet néanmoins de partager sa passion et sa vision de la musique,
tout en prônant une approche d’accès aux interprètes.
De plus, ce dernier est membre du jury
international du Prix d’Europe, le plus ancien concours de musique
classique en Amérique du Nord, qui fête cette année son centième
anniversaire. Gabriel Thibaudeau se dit heureux de pouvoir aller à
la rencontre des jeunes et de les écouter. « Ce qui m’intéresse
véritablement, c’est de voir au-delà du répertoire classique, dit-il.
Je veux voir l’être humain qui est derrière. »
Tous ces succès, que ce soit en tant
que pianiste, chef d’orchestre, compositeur, voire enseignant, sont
dus au talent, mais aussi à l’originalité de Gabriel Thibaudeau
et à sa volonté de créer un nouveau langage musical. Ce langage,
c’est celui de l’improvisation, ou du moins de l’apport personnel
et dédié de chaque musicien. « J’aime sentir l’incertitude, affirme-t-il,
ainsi que la sublimation qui vient de la création. » Ainsi, c’est
véritablement le feu créateur qui motive et stimule Gabriel Thibaudeau.
« Je ne veux pas seulement jouer, je veux faire de la musique. » |
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