Parcours d’un chef d’orchestre, du Kibboutz à Québec de Yoav Talmi
2 mai 2011
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Extrait Le
Philharmonique de Berlin
Alors que Yoav Talmi s’apprête
à diriger l’OSQ dans la Neuvième de Beethoven une ultime fois en
tant que directeur musical de l’orchestre, paraît le 3
mai aux Éditions Septentrion une autobiographie du maestro. Nous vous
proposons un extrait exclusif.
Au tout début de juin 1982, alors
que j’achevais la saison avec mon ancien orchestre d’Arnhem, mon
agent allemand à Munich, le Dr Göhre, du Concerto Winderstein, m’appela
:
– Carlos Kleiber vient tout juste annuler
ses concerts à l’Orchestre philharmonique de Berlin. Il n’y a qu’une
répétition générale demain, et trois concerts qui commencent demain
soir. Au programme, la Symphonie du Nouveau Monde
de Dvorˇák et le Premier concerto pour piano de Tchaïkovski
avec Alexis Weissenberg. Ils font demander si tu ne peux pas remplacer
Kleiber.
Je retins mon souffle. Cet orchestre
est la crème de la crème des grands orchestres du monde et une telle
offre ne se présente pas tous les jours ! Fort heureusement, j’étais
très à l’aise avec ce programme, mais mon cœur battait quand même
comme une czárdás hongroise !
– Bien sûr. Je le fais. Je suppose
que je dois m’envoler immédiatement pour Berlin ?
– Oui. L’orchestre t’a déjà réservé
une chambre d’hôtel. Ils t’attendent à la Filharmonie demain matin
à 10 heures.
Je réservai mon billet pour le premier
vol vers Berlin, saisis mes partitions, fis mes bagages en toute hâte
et me précipitai à l’aéroport. Comme ça avait été le cas quand
je m’étais envolé de Londres pour mon premier remplacement à Arnhem
10 ans plus tôt, je tâchai de mémoriser mes partitions dans l’avion
durant tout le vol et même une bonne partie de la nuit à l’hôtel.
À 9 h 30, en ce 3 juin 1982, j’arrivais
à la Filharmonie où je fus accueilli par le Dr Girt,
Intendant du Philharmonique de Berlin, qui me présenta aux musiciens.
J’étais très heureux de travailler de nouveau avec Alexis Weissenberg
et le Concerto de Tchaïkovski alla tout seul.
Après la pause, nous nous attaquions
à la Symphonie du Nouveau Monde et j’interrompais l’orchestre
assez souvent pour demander tel ou tel détail. Les musiciens qui jouaient
l’œuvre depuis des années avec Karajan et qui étaient donc habitués
à son interprétation, paraissaient assez réticents. Je voyais dans
leurs yeux qu’ils avaient l’air de demander : « Vraiment, vous
voulez cela de cette façon ? » Je me sentais un peu interloqué, mais
je poursuivais mon travail à ma manière.
Par ailleurs, le Philharmonique de Berlin
poursuit une vieille tradition et n’attaque qu’après un délai
considérable suivant la battue du chef. Au moment de passer au célèbre
mouvement lent, le délai était tel que j’avais énormément de mal
à garder la pulsation et j’en perdais mon tempo intérieur. Je stoppai
l’orchestre et demandai, naïvement :
– Pourriez-vous autant que possible
attaquer au moment même de la battue ?
– Nein ! Non ! répliqua haut et fort
le premier trombone.
Michel Schwalbé, le légendaire concertmaster
de l’orchestre, se leva, s’approcha et me dit doucement :
– Herr Talmi, plusieurs des plus grands
chefs actuels ont le même problème quand ils viennent nous diriger
la première fois. Dirigez comme si vous sentiez la pulsation solidement
dans vos couilles ! Ne laissez pas le délai influencer votre pulsation.
Il retourna à sa place et je repris
le mouvement lent en tâchant de suivre son conseil et en m’arrangeant
pour bien conserver le tempo.
Une fois la répétition terminée, le
Dr Girt vint me trouver à ma loge et, voyant que j’étais
plutôt maussade, me demanda :
– Que se passe-t-il ?
– Eh bien, voyez-vous, je me serais
attendu à un peu plus de collaboration de la part de musiciens qui
se trouvent dans un cas de force majeure. Leur manque de solidarité
avec moi me rend mal à l’aise.
– Je vais vous dire quelque chose,
Herr Talmi. Quand Leonard Bernstein est venu au Philharmonique de Berlin
pour la première fois, pour y diriger la Neuvième
de Mahler, il voulait plier bagages dès la première répétition.
Il était vraiment troublé par le manque d’enthousiasme des musiciens,
mais après bien des efforts nous avons réussi à le persuader de rester.
À la fin de la semaine, c’était devenu une histoire d’amour, entre
eux, et il était extrêmement heureux avec l’orchestre. Attendez
le concert et ne laissez pas cette répétition vous démoraliser.
C’est ce que je fis. Ce soir-là, dans
la Symphonie du Nouveau Monde, le moindre détail que j’avais
demandé en répétition était en place et mes vœux rendus à la perfection
! Le jeu de l’orchestre était magnifique, spécialement les ppp
et pppp (les plus doux pianissimi) indiqués dans la partition.
Ces pianissimi étaient tout simplement bouleversants, à couper
le souffle.
Plusieurs des musiciens vinrent me serrer
la main après le concert… puis ce fut au tour du Dr Girt
:
– Alors, Herr Talmi, comment vous sentez-vous
maintenant ?
– Merveilleusement bien, répondis-je.
L’investissement personnel des musiciens était exemplaire et chaque
minute de la symphonie me donnait le frisson.
- Eh bien, ajouta-t-il, sachez
que les musiciens m’ont déjà demandé de vous rengager ! Revenez
demain avec votre agenda et nous tâcherons de fixer la date de notre
prochain rendez-vous.
OSQ dans la Neuvième Symphonie et l'ouverture
Coriolan de Beethoven, ainsi que la création du De Profondis de maestro
Talmi www.osq.qc.ca
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