Chants Libres : Refuser le statu quo même après 20 ans Par Lucie Renaud
/ 2 mai 2011
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Grande batailleuse devant l’éternel,
Pauline Vaillancourt regarde rarement derrière elle. Pourtant, alors
que Chants libres s’apprête à convier le public à une fête de
la musique bien particulière le 14 mai, elle accepte de dresser un
bilan des deux premières décennies de la compagnie. « Je suis fière
d’avoir créé 13 opéras de qualité, d’être encore là après
20 ans et de ne pas avoir accepté de concessions, souligne-t-elle d’entrée
de jeu. Créer une œuvre, c’est lui donner son souffle, offrir une
voix à un personnage. » Les 20 interprètes et 25 musiciens du spectacle
Arias offriront donc, en hommage aux créateurs, interprètes et
artisans qui ont pris part, à un moment ou un autre, à la folle aventure,
des extraits marquants de tous les opéras présentés jusqu’ici,
unifiés en une gigantesque partition grâce à des transitions chorégraphiées.
« Tous les projets ont leur esthétique et leurs forces. Dans le monde,
on ne peut pas avoir une seule couleur, ce serait désespérant. »
C’est en 1990 que, revenant d’Europe
et constatant le manque flagrant de tremplins contemporains autres que
populaires, Pauline Vaillancourt, avec le metteur en scène Joseph Saint-Gelais
et l’écrivain Renald Tremblay, a fondé Chants libres, souhaitant
réunir des créateurs de toutes les disciplines autour de la voix,
et ce, bien avant que le terme multimédia devienne à la mode. « Nous
avons voulu créer un espace qui permette aux compositeurs de créer
un opéra avec les outils de maintenant et faire tomber les préjugés
de ceux qui trouvaient la forme poussiéreuse, explique Vaillancourt.
Il y a 20 ans, les musiciens n’avaient pas de parole, contrairement
aux intervenants du milieu théâtral. Nous sommes allés chercher des
gens qui avaient cette passion du projet, qui accepteraient de se laisser
déstabiliser. »
Serge Provost, qui a signé la musique
de l’opéra Le vampire et la nymphomane
sur un texte de Claude Gauvreau, évoque cette collaboration comme l’une
des réalisations ayant le plus fait progresser son travail de compositeur
: « Ce fut par moment vertigineux mais, après 15 ans, je me sens prêt
pour une nouvelle collaboration. L’opéra demeure aussi pertinent
que le théâtre aujourd’hui. » La présence humaine sur scène reste
pour lui irremplaçable : « Comme le texte est chanté, cela permet
un autre type d’émotions. Cela peut sembler paradoxal, mais tout
passe par la musique et la mise en scène, même si l’on ne comprend
pas le texte. »
Si l’intégration de décors, de costumes,
d’éclairages ou d’écrans vidéo offre un nouvel écrin au travail
de création, ces éléments restent tributaires du propos musical.
« La forme dramatique, assez vaste, peut se renouveler assez facilement,
mais la musique doit être bonne, afin que le public puisse s’y accrocher.
La technologie ne sert que de pont », explique Zack Settel, compositeur
de l’électropéra L’enfant des glaces et de Pocamambo,
opéra pour enfants de 8 à 98 ans sur un livret de Wadji Mouawad. Il
travaille ces jours-ci à un nouvel opus, qui sera créé en mai 2012
et qui évoquera les voyages, tant exploratoires qu’intérieurs, d’Alexandra
David-Néel. Les textes seront signés Yan Muckle, qui a déjà revisité
l’univers de Frida Kahlo dans Yo soy la desintegracion
et transposé le personnage mythique de Wedekind dans Lulu, le chant
souterrain. « Il a fallu tout réinventer, dit-il, pour que le
livret ne soit pas seulement des répliques qui seraient chantées.
Cela a exigé un travail sur la langue et représenté un défi assez
inusité », se souvient-il.
La soprano Marie-Annick Béliveau, qu’on
a pu entendre en novembre 2009 dans l’opéra-féerie de Gilles Tremblay
L’eau qui danse, la pomme qui chante et l’oiseau qui dit la vérité
(sacré création de l’année au dernier gala des prix Opus), enfilera
les souliers mythiques de Pauline Vaillancourt dans Les Chants du
Capricorne de Scelsi. Bouleversée par la production en 1995, elle
a assisté à deux représentations : « J’avais alors trouvé que
le travail d’interprète de Pauline correspondait au défi qu’un
artiste en art contemporain doit relever. L’œuvre est devenue pour
moi un jalon. Mon vocabulaire d’images et musical me vient de Chants
libres. Il faut qu’il y ait au moins un endroit où l’on ne se fie
pas uniquement à la vente de billets ! »
Aujourd’hui comme hier, Pauline Vaillancourt
continue de se battre pour faire comprendre au milieu, aux subventionneurs
et au public que la compagnie doit impérativement exister. « Tout
ce qui est création est par définition précaire. La compagnie a un
mandat de risque et son rôle est de défoncer des portes. Il est utopique
de penser que le public s’intéressera à la création du jour au
lendemain. Depuis que nous avons perfectionné la qualité des enregistrements,
il est de plus en plus difficile de convaincre les gens de prendre un
risque. Je voudrais leur dire : “Soyez déstabilisés, venez voir
!” Nous sommes constamment obligés de laisser tomber des projets,
faute de moyens, mais il est important de conserver notre liberté d’action.
»
Serge Provost n’hésite pas à qualifier
la directrice artistique de Chants libres de visionnaire : « Elle a
consacré toute sa vie au chant, mais aussi à la production. Il faut
une grande force pour réunir ainsi tous les arts. » Yann Muckle évoque
quant à lui la grande latitude laissée aux créateurs : « Pauline
veut vraiment explorer, entrer dans un nouveau territoire. Elle respecte
les univers de chacun et les unifie dans une même vision. »
Alors que certains de ses contemporains
envisagent la retraite, Pauline Vaillancourt refuse d’y penser. «
Je ne m’arrêterai pas de sitôt. J’ai l’intention de me concentrer
sur des projets encore plus déstabilisants; ce n’est pas en reculant
qu’on gagnera quoi que ce soit. Je crois que le public est intéressé
et qu’il peut avancer lui aussi. Notre rôle est de l’aider. »
Monument-national, 14 mai, 20 h www.chantslibres.org
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