À la recherche de l’étoile de demain Par Lucie Renaud
/ 2 mai 2011
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Du 24 mai au 3 juin, le cœur des mélomanes
montréalais battra au rythme du Concours Musical International de Montréal
devenu, en dix ans, un incontournable du circuit. Cette fois, 161 pianistes
originaires de 30 pays différents ont soumis fin janvier leur candidature.
De ceux-ci, 24 candidats (8 femmes et 16 hommes, dont 4 Canadiens) tenteront
de séduire un jury qui en a vu – et entendu – bien d’autres.
Le pianiste brésilien Arnaldo Cohen,
soliste, chambriste et professeur à la prestigieuse Indiana University,
demeure conscient que la situation a beaucoup évolué depuis sa victoire
au Concours international Busoni en 1972. Alors que les sociétés de
concert des grandes villes se dissolvent ou en arrachent, faute de soutien,
le nombre de jeunes caressant l’espoir de devenir musiciens professionnels
augmente pourtant de façon paradoxale. « Les concours demeurent le
meilleur endroit pour être entendu, pour vous mettre en valeur, sinon
comment pouvez-vous faire carrière ? explique-t-il. Si vous êtes riche,
vous pouvez louer une salle et payer un orchestre. Vous pouvez aussi
être le protégé d’une personnalité musicale célèbre, un chef
d’orchestre par exemple, qui vous invitera à jouer dans plusieurs
villes. Vous pouvez aussi être un génie, comme Evgeny Kissin qui,
à 13 ans, jouait déjà les deux concertos de Chopin de façon remarquable.
Sinon, vous pouvez participer à un concours et ce n’est pas tant
le montant de la bourse ici qui importe que la chance d’être découvert.
»
Grand prix au Concours international
Long-Thibaud en 1969 puis au concours Cziffra l’année suivante, Jean-Philippe
Collard passera cette fois-ci de l’autre côté du miroir, après
avoir été commentateur pour Espace musique en 2004. « Quand je suis
venu il y a quelques années, je m’étais dit que j’étais bien
mieux derrière les micros ! Bien sûr, je tenterai d’être bienveillant,
mais j’aurai toujours au fond de l’âme le sentiment que malheureusement,
il faudra établir un classement. Dans l’absolu, le concours ne devrait
pas être considéré comme quelque chose de définitif. Il faudrait
d’abord trouver un autre terme que concours. Ce devrait être une
fête, à la suite de laquelle le jury se prononce pour tel ou tel artiste.
Une carrière se construit, la relation avec le public aussi. Il ne
faut pas entretenir d’illusion au sujet de l’avenir. L’amour de
la musique n’est pas l’amour des projecteurs. »
Arnaldo Cohen croit essentiel que le
lauréat du premier grand prix possède déjà tous les atouts
nécessaires pour réussir sa carrière, sur le plan tant de l’expérience
de scène que de la facilité à dialoguer avec un orchestre. « Le
problème avec notre profession est que vous avez rendez-vous avec l’inspiration
et que vous ne disposez que d’une seule chance. Vous avez travaillé
des milliers d’heures et vous avez droit à un seul récital. Tant
de choses peuvent mal tourner – c’est la partie brutale du métier.
»
Tous les candidats retenus pourront compter
sur une technique impeccable, une sonorité ample et une compréhension
des œuvres interprétées. « C’est important de se rappeler que
la musique est une langue alternative qui vous permet de vous exprimer,
souligne-t-il. Elle est un mélange de métier et d’émotion, et vous
ne pouvez avoir l’un sans l’autre. Si vous ne possédez pas le métier
nécessaire, vos émotions deviendront chaotiques, nous ne pourrons
pas comprendre ce que vous dites. Mais si vous ne réfléchissez qu’à
votre sonorité ou au style de l’œuvre, qu’en sera-t-il de votre
âme ? »
Jean-Philippe Collard partage lui aussi
une vision plus épidermique de l’écoute musicale. « Je suis beaucoup
plus sensible à des gens qui ont une vocation plus naturelle qu’à
quelqu’un qui aura donné une exécution parfaite, extrêmement travaillée,
parfois même très réfléchie, explique-t-il. La nature d’un musicien,
c’est quelque chose qu’il peut développer par lui-même, qu’il
ne peut avoir appris parce que cela n’existe pas. Si j’ai le sentiment
que le pianiste est en train de créer quelques instants qui émergent
de sa nature profonde, je ne serai peut-être pas séduit à 100 %, mais
je serai certainement extrêmement attentif. » L’émotion ressentie
à l’écoute d’un candidat que le jury n’avait pourtant pas retenu
lors de sa dernière présence au CMIM reste vive : « Sept ans après,
je me souviens de son approche du piano et des instants de pure musique
que ce jeune homme a partagés. »
L'ouverture d’esprit demeure un élément
essentiel. « Vous devez être suffisamment généreux et ouvrir vos
oreilles, être prêt à écouter les points de vue d’un interprète
plutôt que simplement les juger selon les vôtres. Je pense que cela
transforme l’expérience en un fascinant processus », considère
Cohen. « Pour nous qui sommes de l’autre côté de la barrière,
il est très enrichissant d’entendre tous ces jeunes, ajoute quant
à lui Collard, c’est une quête perpétuelle. Tout ce que j’entendrai
durant ces journées de concours m’apportera forcément des éclairages
sur les œuvres et des manières de vivre la musique. Je viens aussi
à Montréal pour m’enrichir, pas seulement pour donner une opinion,
mais pour avoir du plaisir à écouter de la belle musique, même si,
à un moment ou un autre, je devrai rendre ma feuille. Avant ce moment-là,
ce sera un grand repas de musique; il y aura des surprises de répertoire,
d’écoles, on aura droit à un panorama fantastique du piano. En tant
que membre du jury, je me mettrai à table et me régalerai… sans
compter que je me croirai en vacances, car je n’aurai pas à jouer
! »
10e édition du Concours Musical International
de Montréal du 24 mai au 3 juin. www.concoursmontreal.ca
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