Alain Trudel et la « Pathétique » de Tchaïkovski Par Lucie Renaud
/ 1 avril 2011
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propos recueillis par
Lucie Renaud
Il est certain qu’en tant que directeur
artistique, j’ai la responsabilité de programmer. Je consulte des
musiciens dans l’orchestre pour connaître leurs réactions, mais
je voulais savoir quel genre de musique le public aimait, quel genre
d’instruments, connaître ses compositeurs préférés. Cela nous
a donné l’idée de lancer un sondage et de laisser au public carte
blanche une fois par année. Cette année, nous avons décidé de terminer
notre saison du 25e anniversaire avec cette œuvre, choisie
parmi six à huit que je considère comme importantes pour la santé
de l’orchestre. Dans la liste proposée, on retrouvait notamment la
Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvorˇák, la Quatrième Symphonie
de Bruckner, la Deuxième de Sibelius, et bien sûr la « Pathétique
» de Tchaïkovski.
J’étais heureux du résultat du vote
car la « Pathétique » reste l’une de mes symphonies préférées,
l’arc de l’œuvre, de l’introduction jusqu’au dernier mouvement,
étant si particulier. La symphonie se veut le constat d’une vie,
pas nécessairement dans la désolation, mais la fin demeure surprenante,
une symphonie se terminant souvent dans l’allégresse. Nous avons
trois mouvements puis ce dernier adagio, intense, dans lequel
on sent vraiment que Tchaïkovski est à l’apogée de ses moyens.
Au point de vue de l’orchestration, il y a des choses vraiment intéressantes,
par exemple dans le premier mouvement, ce mélange de flûtes et de
bassons dans la même octave. C’est un défi de réussir à établir
un mélange dans lesquels les bassons jouent assez doux, les flûtes
assez fort, de créer ce son unique, presque androgyne. Dès le début,
on annonce les couleurs avec ce tapis sonore, avec ce merveilleux solo
de basson. On sent, comme dans les grandes compositions de Beethoven
et Mahler, que la musique nous parle directement, que le compositeur
comprend que, nous aussi, avons eu l’impression d’être seuls. Les
gens peuvent automatiquement s’identifier d’âme à âme avec ces
grandes œuvres-là. Cette communication va au-delà de la technique,
au-delà de la façon dont le matériel est développé dans la forme
sonate.
Ce que j’aime beaucoup de la Sixième,
c’est que même si l’on essaie de passer à autre chose, il subsiste
un malaise. Le deuxième mouvement, en 5/4, traduit bien cela; il se
veut une réminiscence, mais un souvenir teinté par une certaine mélancolie.
On essaie d’être heureux, mais on n’y arrive pas tout à fait.
C’est le mouvement qui représente le plus grand défi pour moi, il
faut obtenir un son vraiment flotté pour les cordes, qui conserve une
certaine distance, comme si quelqu’un vivait l’événement à travers
un filtre.
Le troisième mouvement est « trop »
et on le jouera de cette façon. On a l’impression d’être devant
quelqu’un qui ne va vraiment pas bien, mais qui décide de se mettre
un gros sourire dans le visage. Ici, on peut aborder le domaine du sarcasme.
Même si cela peut sembler facile quand on l’écoute, l’orchestration,
notamment les divisi des cordes, est particulièrement intéressante.
Ce n’est peut-être pas le dernier mouvement, totalement maîtrisé,
dans lequel on entend des gammes, alors qu’il n’y a personne qui
en joue dans l’orchestre. Tchaïkovski nous montre ici sa dualité
et son mal de vivre, un mal sociétaire aussi.
Le défi principal est de rendre l’œuvre
sans l’aide du contingent de cordes d’un orchestre majeur, d’obtenir
le dosage correct pour tous les instruments. La concentration est également
essentielle, dans le premier mouvement par exemple, qu’il faut développer
peu à peu, le tempo principal étant emmené en trois étapes. Si ce
dernier arrive trop rapidement, cela peut devenir caricatural.
La musique s’établit dans une bulle
entre l’orchestre et le public. Quand une œuvre se termine, chacun
a besoin de prendre un petit moment pour digérer ce qui s’est passé
et, après cela, d’applaudir. Le dernier mouvement dans son entièreté
vient me chercher à chaque fois, mais aussi l’ouverture de la symphonie,
parce que tout le matériel y est déjà, même si on peut croire Tchaïkovski
incapable de développer avec aussi peu de matériel qu’un Beethoven.
Souvent, on malmène Tchaïkovski, on le considère moins important,
en raison de son effervescence, parce que son trait est parfois souligné
un peu trop gras, mais c’est parce que souvent on le joue de cette
façon. Il ne faut pas devenir complaisant et garder une certaine discipline.
Les questions sont dans la musique, il est inutile d’en rajouter.
» Orchestre symphonique de Laval, gala
25e anniversaire,
26 et 27 avril www.osl.qc.ca
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