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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 7

El Sistema : Symphonie en plusieurs mouvements

Par Jonathan Govias / 1 avril 2011


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Il fait 35 °C dans le gymnase de ce township situé au nord du Cap, en Afrique du Sud, mais le baryton-basse réussit très bien à nous faire croire qu’il gèle lorsqu’il chante l’air du Génie du froid tiré de l’opéra King Arthur de Purcell. Aux mots « beds of everlasting snow » (lits de neige éternelle), surgit une foule d’écoliers qui chantent en chœur « we chatter chatter chatter » (nous grelottons) alors qu’ils suent à grosses gouttes dans leurs uniformes. Voilà à quoi ressemble el Sistema dans la pointe sud de l’Afrique.

C’est le résultat d’une idée superbement audacieuse : s’appuyer sur la prolifération des chorales en Afrique du Sud pour attirer des artistes du pays et des quatre coins du monde, les faire collaborer à un opéra et créer des expériences musicales enrichissantes pour les premières générations nées après les horreurs de l’apartheid. Et cette audace est couronnée d’un franc succès, malgré des pépins de dernière minute comme on en connaît au Met. En Europe, Shirley Apthorp, fondatrice et directrice du festival, est une critique musicale respectée qui publie dans le Financial Times, mais en Afrique du Sud, c’est une citoyenne engagée au remarquable esprit d’entreprise.

Loin de là, de l’autre côté de l’Atlantique, un orchestre de jeunes répète le Concerto pour piano no 2 de Chopin en prévision d’un spectacle au Royal Festival Hall avec le pianiste Lang Lang. C’est l’ensemble Neojibá, qui relève du programme el Sistema, seulement il ne vient pas du Venezuela, mais de Salvador, au Brésil. Conformément à la stratégie d’Abreu, le núcleo a commencé par un orchestre d’excellente tenue pour renforcer sa crédibilité et la confiance du public avant de prendre de l’expansion sous forme de modules satellites. En cinq petites années, l’orchestre est devenu le principal ambassadeur artistique de l’État, au grand dam de la formation professionnelle locale. Jusqu’à récemment, les deux groupes se partageaient le chef Ricardo Castro, éminent pianiste et lauréat du concours de Leeds, mais à présent, lorsqu’il se trouve à Salvador, il consacre toutes ses énergies à Neojibá.

Sur chaque continent, une façon différente d’aborder el Sistema. Malgré tout ce qui les distingue, ces stratégies sont aussi fructueuses les unes que les autres. En effet, l’idée qui sous-tend el Sistema, celle de créer un cadre permettant de faire de la musique tout en produisant des avantages sociaux, s’adapte parfaitement aux réalités linguistiques, culturelles et économiques de chaque région. Des programmes font leur apparition à l’échelle planétaire, dans une extraordinaire variété de contextes : Corée, Inde, Écosse, Nouvelle-Zélande, Kenya ou Autriche. Au Canada, il existe deux programmes en voie d’acquérir une excellente réputation internationale : à Ottawa, la Leading Note Fondation, et l’Orchestre de jeunes du Nouveau-Brunswick. Il est fort probable que d’autres initiatives ont discrètement vu le jour. Toutes ces activités adoptent une grande variété de modes de financement, de fonctionnement et de gestion, mais elles ont un point commun : elles font effet. Les cinq fondements d’el Sistema (voir le 5e article de la série) ne visent ni à imposer ni à proscrire quoi que ce soit; ce ne sont que des lignes directrices qui aident à réorienter les activités musicales existantes de façon à produire le plus grand bien dans la communauté. C’est la simplicité d’el Sistema qui rend ce programme si efficace.

[Traduction : Anne Stevens]

Jonathan Govias revient tout juste d’une tournée de direction d’orchestre, d’enseignement et de consultation au Brésil et en Afrique du Sud. Pour en savoir davantage sur ses aventures, visitez
www.jonathangovias.com.


(c) La Scena Musicale 2002