Se jouer des frontières Par Lucie Renaud
/ 1 avril 2011
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Trois créations contemporaines dédiées
à autant de familles distinctes d’instruments, quatre relectures
de pages médiévales, cinq solistes investis, quinze musiciens qui
dialoguent avec ceux-ci, une équipe de vidéastes allumés et un homme
de la Renaissance pour placer en perspective ce projet qui ne ressemble
à aucun autre : Les Cinq As
promet d’en mettre plein la vue et plein les oreilles. « Nous avons
souhaité tendre une perche au grand public, explique la directrice
artistique de l’ECM+ Véronique Lacroix, l’aborder par ce que j’appellerais
le cerveau droit. Je crois en la capacité de l’art de nous sortir
de notre quotidien, de continuer à nous faire rêver. »
Après avoir atteint l’année dernière
ce qu’elle qualifie d’une « certaine maturité » dans la manipulation
du multimédia avec l’opéra BD Les aventures de Madame Merveille
(production qui sera reprise à l’automne), elle invite de nouveau
le public à s’ouvrir à l’imaginaire, à une certaine déstabilisation
temporelle, en optant pour un éloge de la virtuosité, à travers la
création de concertos signés David Adamcyk (Double Concerto,
pour trompette et trombone), Serge Arcuri (Au cœur du son, pour
violon) et Pierre Klanac (Variations II
pour duo de pianos). « J’ai beaucoup d’admiration et d’attrait
pour la virtuosité, cette capacité à déployer un agencement de gestes
difficiles dans un langage musical cohérent et expressif, précise-t-elle.
Cette répétition du geste jusqu’à ce qu’il soit sublimé est
selon moi ce qu’il y a de plus beau dans la nature humaine, ce qui
appartient au divin. Si le terme est généralement associé au répertoire
classique, nous avons décidé de le mettre au service de la nouvelle
musique. » Ce parti pris pour la virtuosité a permis l’association
presque naturelle des solistes aux as d’un jeu de cartes, clin d’œil
au compositeur du 15e siècle Baude Cordier, qui pratiquait
le délicat ars subtilior, déclinaison de l’ars nova
qui transformait une partition en véritable œuvre picturale.
Les personnages des jeux de cartes deviendront
ainsi narrateurs d’une histoire parallèle, complémentaire, mise
en images par l’équipe de Foumalade. Le programme alliant compositions
contemporaines et musique des 14e et 15e siècles,
les vidéastes se sont inspirés de cette dualité. « Visuellement,
nous puisons dans un langage visuel médiéval, mais nous l’avons
adapté au monde d’aujourd’hui, explique Étienne Després. Nous
souhaitons établir une synthèse entre les deux mondes. Nous sommes
donc partis d’images de jeux de cartes des 14e au 18e
siècle, pour les réinterpréter de façon contemporaine. La vidéo
servira de ponts entre les époques et servira de fil conducteur, transmettra
un même univers du début à la fin. » Le concert s’articulera autour
de la forme, également audible, d’un château qui s’érige, les
concertos devenant tourelles et les arrangements d’œuvres médiévales
signées Matthias Maute esquissant l’enceinte de l’édifice.
Cette juxtaposition musique et images
ne devant pas paraître gratuite, Véronique Lacroix a décidé
de faire appel à ce dernier pour unifier le propos et offrir quelques
éléments de mise en scène auxquels le public pouvait se rattacher.
« Matthias est un véritable homme de la Renaissance, mentionne-t-elle,
il joue, compose, imagine, conçoit. » Le principal intéressé parle
plutôt d’une « mise en espace », les éclairages magnifiant instrumentistes
et déplacements, la vidéo se voulant plus que simple soutien, mais
sans jamais voler la vedette à la musique entendue. « C’est comme
le verre de vin qui accompagne un bon repas, croit Matthias Maute. La
musique nous dirige pour comprendre le visuel, l’association entre
les deux médias offrant des associations complémentaires. Le visuel
devient une clé pour comprendre la musique contemporaine, une façon
de s’approcher de l’auditoire. » Il constate que l’attitude a
beaucoup changé au cours des dernières années et se révèle à contresens
des diktats des années 1960, alors que la musique contemporaine privilégiait
une confrontation de l’auditeur. « Il faut trouver le bon contexte
pour apprivoiser une musique qui serait sinon étrangère à plusieurs,
réussir à décloisonner les genres », soutient-il.
Véronique Lacroix parle quant à elle
de la nécessité d’« élargir les horizons et l’auditoire » et,
dès 1991, a osé le pari des concerts multidisciplinaires avec l’ECM+.
« Il est important de parler au grand public, assure-t-elle, de ne
pas avoir beaucoup de tabous, tout en restant dans le bon goût. La
musique contemporaine est trop souvent confinée à ce côté intellectuel;
il faut plutôt s’y abandonner. On peut le faire sans renier ou dénaturer
les qualités purement musicales ou intellectuelles d’une œuvre.
»
» Salle Pierre-Mercure, 4 mai, 19 h
30. Cette soirée-bénéfice est placée sous la présidence d’honneur
de Phyllis Lambert. www.ecm.qc.ca |
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