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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 7

Se jouer des frontières

Par Lucie Renaud / 1 avril 2011


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Trois créations contemporaines dédiées à autant de familles distinctes d’instruments, quatre relectures de pages médiévales, cinq solistes investis, quinze musiciens qui dialoguent avec ceux-ci, une équipe de vidéastes allumés et un homme de la Renaissance pour placer en perspective ce projet qui ne ressemble à aucun autre : Les Cinq As promet d’en mettre plein la vue et plein les oreilles. « Nous avons souhaité tendre une perche au grand public, explique la directrice artistique de l’ECM+ Véronique Lacroix, l’aborder par ce que j’appellerais le cerveau droit. Je crois en la capacité de l’art de nous sortir de notre quotidien, de continuer à nous faire rêver. »

Après avoir atteint l’année dernière ce qu’elle qualifie d’une « certaine maturité » dans la manipulation du multimédia avec l’opéra BD Les aventures de Madame Merveille (production qui sera reprise à l’automne), elle invite de nouveau le public à s’ouvrir à l’imaginaire, à une certaine déstabilisation temporelle, en optant pour un éloge de la virtuosité, à travers la création de concertos signés David Adamcyk (Double Concerto, pour trompette et trombone), Serge Arcuri (Au cœur du son, pour violon) et Pierre Klanac (Variations II pour duo de pianos). « J’ai beaucoup d’admiration et d’attrait pour la virtuosité, cette capacité à déployer un agencement de gestes difficiles dans un langage musical cohérent et expressif, précise-t-elle. Cette répétition du geste jusqu’à ce qu’il soit sublimé est selon moi ce qu’il y a de plus beau dans la nature humaine, ce qui appartient au divin. Si le terme est généralement associé au répertoire classique, nous avons décidé de le mettre au service de la nouvelle musique. » Ce parti pris pour la virtuosité a permis l’association presque naturelle des solistes aux as d’un jeu de cartes, clin d’œil au compositeur du 15e siècle Baude Cordier, qui pratiquait le délicat ars subtilior, déclinaison de l’ars nova qui transformait une partition en véritable œuvre picturale.

Les personnages des jeux de cartes deviendront ainsi narrateurs d’une histoire parallèle, complémentaire, mise en images par l’équipe de Foumalade. Le programme alliant compositions contemporaines et musique des 14e et 15e siècles, les vidéastes se sont inspirés de cette dualité. « Visuellement, nous puisons dans un langage visuel médiéval, mais nous l’avons adapté au monde d’aujourd’hui, explique Étienne Després. Nous souhaitons établir une synthèse entre les deux mondes. Nous sommes donc partis d’images de jeux de cartes des 14e au 18e siècle, pour les réinterpréter de façon contemporaine. La vidéo servira de ponts entre les époques et servira de fil conducteur, transmettra un même univers du début à la fin. » Le concert s’articulera autour de la forme, également audible, d’un château qui s’érige, les concertos devenant tourelles et les arrangements d’œuvres médiévales signées Matthias Maute esquissant l’enceinte de l’édifice.

Cette juxtaposition musique et images ne devant pas paraître gratuite, Véronique Lacroix a décidé de faire appel à ce dernier pour unifier le propos et offrir quelques éléments de mise en scène auxquels le public pouvait se rattacher. « Matthias est un véritable homme de la Renaissance, mentionne-t-elle, il joue, compose, imagine, conçoit. » Le principal intéressé parle plutôt d’une « mise en espace », les éclairages magnifiant instrumentistes et déplacements, la vidéo se voulant plus que simple soutien, mais sans jamais voler la vedette à la musique entendue. « C’est comme le verre de vin qui accompagne un bon repas, croit Matthias Maute. La musique nous dirige pour comprendre le visuel, l’association entre les deux médias offrant des associations complémentaires. Le visuel devient une clé pour comprendre la musique contemporaine, une façon de s’approcher de l’auditoire. » Il constate que l’attitude a beaucoup changé au cours des dernières années et se révèle à contresens des diktats des années 1960, alors que la musique contemporaine privilégiait une confrontation de l’auditeur. « Il faut trouver le bon contexte pour apprivoiser une musique qui serait sinon étrangère à plusieurs, réussir à décloisonner les genres », soutient-il.

Véronique Lacroix parle quant à elle de la nécessité d’« élargir les horizons et l’auditoire » et, dès 1991, a osé le pari des concerts multidisciplinaires avec l’ECM+. « Il est important de parler au grand public, assure-t-elle, de ne pas avoir beaucoup de tabous, tout en restant dans le bon goût. La musique contemporaine est trop souvent confinée à ce côté intellectuel; il faut plutôt s’y abandonner. On peut le faire sans renier ou dénaturer les qualités purement musicales ou intellectuelles d’une œuvre. »

» Salle Pierre-Mercure, 4 mai, 19 h 30. Cette soirée-bénéfice est placée sous la présidence d’honneur de Phyllis Lambert. www.ecm.qc.ca


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