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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 7

Missa Coronationalis

Par Vo Ho-Thuy / 1 avril 2011


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En 1865, après l’échec de sa tentative d’un mariage religieux avec la princesse Carolyne de Sayn-Wittgenstein, Liszt entre dans les ordres. En véritable « nouveau Palestrina », il compose alors toute une série d’œuvres destinées à éveiller la piété religieuse, entre autres, La Légende de sainte Élisabeth de Hongrie, la Missa Choralis, le monumental Oratorio Christus et la Missa Coronationalis, encore connue sous le nom de Messe hongroise du couronnement.

Destinée au couronnement de François-Joseph 1er et de son épouse Élisabeth de Wittelsbach, dite « Sissi », comme roi et reine de Hongrie, la Missa Coronationalis a été jouée pour la première fois le 8 juin 1867 à l’église Mathias de Budapest. Le compositeur n’a pas dirigé son œuvre, mais était présent et a été ovationné à sa sortie par la grande foule rassemblée à l'extérieur.

Les circonstances entourant l’exécution de cette messe étaient cependant assez particulières, puisqu’on avait imposé à Liszt de « ne pas prolonger inutilement les très longues cérémonies du sacre ». Mais Liszt a réussi à mettre en relief « ses deux traits essentiels : son caractère religieux et son caractère national hongrois ». En effet, à côté d’éléments empruntés au chant grégorien, on trouve une harmonie moderne et colorée, ainsi que des réminiscences de la musique nationale hongroise en une synthèse extrêmement réussie, un des chefs-d’œuvre les plus condensés du compositeur.

Le Kyrie est en forme ternaire. Les blocs choraux du premier et du troisième volet soutiennent, tels des colonnes de marbre, la structure du mouvement, constituée par le solo suppliant et intensément expressif du Christe eleison.

Pour les circonstances, le Gloria est évidemment la partie la plus importante, empreinte de luminosité, de force et de rayonnement. Dans le Qui Tollis plein de gravité, on entend une gamme hongroise et un fragment répété du chant de Rákóczi. Un symbole éloquent.

Le Graduel est une mise en musique triomphale et élevée, sculptée en un seul bloc, du psaume 116 Laudate Dominum omnes gentes, prière qui réunit « tous les peuples » dans une seule et même foi; cette partie n’a été composée en fait qu’après coup, en 1869.

L’Offertorium, comme son nom l’indique, est conçu pour accompagner « la présentation des objets du sacrifice ». Ici, il s’agit de l’offrande de « l’esprit hongrois ». N’ayant pas de texte à sa disposition, Liszt a écrit ce mouvement seulement pour l’orchestre (violon solo accompagné de l’orchestre) tout en espérant qu’un poète pourrait un jour ajouter des paroles à ce mouvement à caractère hymnique. Miklós Takács a donc composé des paroles latines, qui sont en fait une paraphrase de l’hymne national de Hongrie, écrit par le poète Ferenc Kölcsey. Tout en respectant les parties instrumentales de Liszt, Miklós Takács a réussi à ajouter les quatre parties vocales du chœur, avec une citation musicale de l’hymne national composé par Ferenc Erkel.

Le Sanctus est caractérisé par le contraste particulièrement remarquable entre le début majestueux et l’Hosanna in excelsis aux accents éthérés. Ce rayonnement solennel se retrouve dans le Benedictus, musique de type verbunkos (danse traditionnelle hongroise de recrutement militaire) qui reflète une profession d’amour de Liszt envers sa patrie.

L’Agnus Dei évoque les notes hongroises du Qui tollis dans le Gloria. La douloureuse gamme hongroise et le chant de Rákóczi traduisent l’aspiration d’un peuple qui a terriblement souffert : Dona nobis pacem.

La Missa Coronationalis nécessite un effectif important puisqu’elle requiert, outre un orchestre, quatre solistes et un chœur mixte. Le ton est majestueux, mais sans excès. Faste, expressivité, mais aussi accents populaires, pompe et recueillement, foi et patriotisme, éclat et ravissement : ce sont là les principales caractéristiques de la Messe hongroise du couronnement qui expliquent sa popularité particulière, et pas seulement en Hongrie.

» Société Philharmonique de Montréal, 22 avril, église Saint-Jean-Baptiste, sous la direction de Miklós Takács www.philharmontreal.com

Le génie de Franz Liszt (1811-1886)

par Miklós Takács

À l’âge de onze ans, l'enfant prodige Franz Liszt fut présenté à Beethoven par Czerny, professeur de piano réputé à Vienne. Après l'avoir entendu jouer au piano, Beethoven, en prophète, lui dit : « Va ! Tu es heureux ! Car tu pourras donner la joie et le bonheur
à beaucoup d'humains ! » Telle une comète, toute sa vie, il ne cessera jamais de rayonner à l'horizon des ténèbres.

Pour esquisser le portrait de Liszt, « le plus musicien de tous les musiciens que je connaisse », disait Wagner, et « une des plus belles et des plus nobles âmes que j'ai rencontrées sur cette terre, où elles ne sont pas excessivement communes », selon de Lamennais, il importe peut-être de partager deux autres témoignages, qu’on pourrait considérer comme prophétiques.

Émile Vuillermoz écrivait : « Cet homme dont les triomphes de virtuose auraient pu exaspérer l'égoïsme et la vanité fut toute sa vie serviable et bon. Il se voua tout entier au service de la musique et trouva tout naturel de s'effacer devant ceux qu'il jugeait dignes de collaborer à cette glorification. Il fut un propagandiste héroïque. Berlioz, Wagner, Schumann, Schubert, Mendelssohn, Chopin lui doivent leur vulgarisation rapide. Comme pianiste, comme chef d'orchestre, comme organisateur de concerts, il ne cessa de se multiplier en faveur des autres, s'oubliant lui-même avec une abnégation véritablement exceptionnelle dans l'histoire de l'art. » Charles Baudelaire s’est quant à lui épanché en ces mots : « Cher Liszt, à travers les brumes, par delà les fleuves, par-dessus les villes où les pianos chantent votre gloire, où l’imprimerie traduit votre sagesse, en quelque lieu que vous soyez, dans les splendeurs de la ville éternelle ou dans les brumes des pays rêveurs que console Cambrinus, improvisant des chants de délectation ou d’ineffable douleur, ou confiant au papier vos méditations abstruses, chantre de la Volupté et de l’Angoisse éternelles, philosophe, poète et artiste, je vous salue en l’immortalité ! »


(c) La Scena Musicale 2002