En première ce soir : Le compositeur Éric Champagne nous parle Par Éric Champagne
/ 1 avril 2011
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En première ce soir : Le compositeur
Éric Champagne nous parle des étapes menant à la création de
sa nouvelle œuvre
Le 17 avril prochain, l'Orchestre
Métropolitain interprétera ma plus récente
œuvre symphonique, Vers les astres. On m'a invité
à parler en ces pages de la création de cette pièce. Je suis toujours
embêté en pareille situation, ne sachant jamais trop ce qu’il peut
être pertinent de souligner.
Permettez-moi un retour dans le passé.
Lorsque j’étudiais au CÉGEP, Gilles Vigneault est venu donner une
conférence. Je me souviens d'une question posée par un étudiant qui
m'avait semblé un peu bête et simpliste : « N'avez-vous pas l'impression
de répéter ce que d'autres ont déjà dit ? » Et Vigneault de répondre
avec son éloquente simplicité : « Tout a peut-être déjà été
dit, mais pas par moi ! » Cela m'avait alors grandement impressionné.
Je suis de ces compositeurs qui, comme
Gustav Mahler, John Adams ou Michel Longtin, sont une sorte d'éponge.
La musique qu'ils ont composée puise à même l'univers (sonore
ou autre) de leur quotidien. C'est la musique de leur vie, une résultante
de leur perception du monde qui les entoure. Le discours, qu'il soit
nouveau ou non dans son contenu, devient original dans la façon de
le formuler. C'est là que résident la singularité d'un créateur,
l'originalité de son œuvre, que son individualité se concrétise.
Paradoxalement, c'est peut-être par ce même cheminement que l'universalité
d'une œuvre se développe. Je m’identifie à ces compositeurs principalement
à travers ce processus de composition qui vient de la vie pour s'élancer
vers l'art. Par la suite, les notions de langages musicaux et de style
prennent un autre sens : ils ne sont plus une fin en soi, mais un moyen
pour accéder à ce que l'on veut transmettre.
Je ne suis pas de ceux qui aiment parler
de technique d'écriture, un peu comme si j'allais rencontrer le boulanger
au coin de ma rue et que je lui demandais comment il fait son pain.
La technique est le propre de chaque métier. À moins d'une grande
curiosité ou d'un intérêt poussé, ce genre de discussion ne me semble
pas pertinent. Cela me rappelle une citation de Jacques Brel : « Le
talent, c'est avoir envie de faire quelque chose. » N'étant pas né
dans une famille de musiciens, je me suis orienté par choix vers la
composition, car je « voulais faire quelque chose ». J'avais certes
des affinités, un intérêt pour la musique, mais un talent naturel,
j'en doute. Or, j'avais cette volonté de créer. J'ai donc travaillé
et étudié pour acquérir le métier et ses techniques propres. Quand
vient le temps de parler technique, je n'y vois donc pas d'intérêt,
puisque cela ne concerne pas l'essence de l’œuvre. Je suis beaucoup
plus intéressé à la raison qui pousse un compositeur à créer sa
musique plutôt qu'à la façon dont il s’y prend.
Ce long préambule m'amène à me
pencher sur Vers les astres. L’œuvre est une commande qui s'inscrit
dans un contexte bien précis, les 30 ans de l'Orchestre Métropolitain,
représenté par trois œuvres de trois compositeurs montréalais :
Claude Vivier, Denys Bouliane et moi-même, chacun représentant plus
ou moins une période de 10 ans dans l'histoire de l'orchestre. Ce triptyque
débute par Orion de Vivier, une œuvre orchestrale qui me fascine.
La commande ne stipulait pas que je devais « faire du Vivier » : on
me demandait d'écrire une œuvre d'Éric Champagne ! Néanmoins, j'ai
décidé de faire quelques références, directes ou indirectes, à
Orion. Ainsi, Vers les astres demeure indépendante en elle-même, mais
elle acquiert une certaine complémentarité lorsque jumelée à Orion.
L'inspiration première m'est venue étrangement
d'une sculpture vue à Québec, Ad astra d'Henri Hébert, qui représente
un homme bras tendu vers le ciel, avec un fond évoquant des plumes
(au premier coup d’œil, on dirait une représentation d'Icare) ou
une abstraction rappelant l'élan et l’envolée. En examinant cette
sculpture, j'ai ressenti ce désir d'absolu, d'extase et de vie qui
nourrit un tel geste. Cette énergie est celle que j'ai voulu donner
au finale de ma pièce, puisant dans la puissance rythmique d'un John
Adams et dans une certaine métaphysique proche du Poème de l'extase
de Scriabine. Parallèlement, le nom de cette sculpture m'inspirait
à la fois la contemplation et l’effroi. Je me souvenais des nombreuses
heures passées, jeune adolescent, à observer le ciel étoilé, à
contempler la beauté de la nature et à profiter de la volupté de
cet arrêt du temps. Une sensation que j'ai retrouvée, entre autres,
dans des musiques de Vivier et de Messiaen que j'écoutais beaucoup
en composant ma pièce. L’effroi se veut quant à lui d'un ordre plus
réfléchi : c'est un peu le questionnement existentiel qui nous assaille
devant l'immensité et l'infini du ciel. Pour représenter cela, j'ai
choisi d'exploiter le tuba solo en contraste avec des attaques massives
de l'orchestre. Le tuba devient ici une métaphore de l'humanité, géant
au pied d'argile, imposant mais fragile dans son essence.
Tout cela a contribué à nourrir
mon imagination; cependant, je sais par expérience que l'auditeur perçoit
bien souvent autre chose à l'écoute. C'est la beauté de la musique
: incapable de représenter le concret, elle réussit néanmoins à
éveiller diverses émotions et perceptions chez l'auditeur. Ce que
je viens d’évoquer ici ne relève pas d’un absolu : il s'agit plutôt
de guides personnels dans mon travail de création qui deviennent des
pistes d'écoute pour l'auditeur. Le reste lui appartient.
» Le 17 avril, salle Wilfrid-Pelletier,
Place des Arts
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