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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 6

La Société de musique contemporaine du Québec : Histoire à suivre

Par Réjean Beaucage / 18 mars 2011


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Nous vous proposons ici un extrait du livre de Réjean Beaucage, aux Éditions Sep­tentrion, en librairie depuis la fin février.

La Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) a été fondée en 1966 et son histoire est intimement liée à celle du développement de la scène des musiques nouvelles au Québec. L’auteur examine le travail de ses trois directeurs artistiques (Serge Garant, de 1966 à 1986, Gilles Tremblay, de 1986 à 1988, et Walter Boudreau depuis 1988), qui ont invité les meilleurs éléments de la scène internationale à se produire dans le cadre des saisons de la SMCQ, tout en participant activement à l’éclosion du talent local en matière d’interprétation et de composition. Il se penche également sur le rapport trouble entre la société de concerts et les médias… De la Grande noirceur à la Grande Muraille, en passant par la Symphonie du millénaire et une multitude de grands festivals internationaux, l’histoire de la SMCQ est toujours en marche et sera encore à faire.

De Pierre Mercure à Pierre-Mercure

Ça peut sembler bien peu de chose, une qua­rantaine d’années, dans le grand livre de l’histoire. Et pourtant, il y a tout juste un peu plus de quarante ans, la lune était encore vierge de toute présence humaine…

L’histoire de la Société de musique contemporaine du Québec n’est pas une petite histoire; c’est l’histoire d’une grande institution. Ses animateurs ont joué un rôle important dans l’émancipation artistique du peuple québécois au sortir de la Grande Noirceur, et même avant, alors que le Québec était mené par la poigne ferme du premier ministre Duplessis (le concert de 1954 que donnèrent à Montréal Serge Garant, François Morel et Gilles Tremblay traverse cette « nuit » comme un éclair). Après le décès de Maurice Le Noblet Duplessis, en septembre 1959, les choses allaient se mettre en branle rapidement. Une Semaine internationale de musique actuelle de Montréal (SIMAM) a lieu en 1961, déjà, grâce à Pierre Mercure. Comme Garant, Morel et Tremblay en 1954, Mercure ne recherche pas une quelconque approbation, il ne cherche pas à séduire; il présente l’état des choses. Son expérience permet de faire un constat : le retard à rattraper, au regard de ce qui se déroule simultanément aux États-Unis ou en Europe en recherche musicale, semble énorme. Le choc de la Semaine est si important que certains observateurs n’ont pas l’impression de constater un décalage, mais littéralement d’assister à la naissance d’un nouveau monde. Ainsi, Clermont Pépin peut-il écrire, dans un compte rendu de la SIMAM publié dans le Canadian Music Journal :

Je suis persuadé que nous assistons à l’éclosion d’une ère nouvelle qui sera témoin d’une telle évolution en musique qu’il n’est pas impossible qu’éventuellement elle engendre un nouvel art. […] La contribution de trois compositeurs canadiens (Serge Garant, István Anhalt et Pierre Mercure) était très significative. Il est permis de penser que notre pays ne tarderait pas à se situer parmi les pays les plus avancés si les mouvements d’avant-garde s’y affirmaient davantage. […] L’initiative de Pierre Mercure ne peut pas et ne doit pas demeurer sans lendemain. Dès maintenant nous devons assurer : 1. La permanence de ces manifestations dans le cadre des festivals de Montréal; 2. La création d’un centre de recherche calqué sur ceux de Paris, Cologne, Milan et Tokyo.

Montréal, centre de la musique actuelle et d’avant-garde, pourquoi pas ?*

Après l’ère duplessiste, le Québec bénéficie d’une conjoncture extrêmement favorable au développement, aussi bien dans le secteur économique que dans le secteur culturel; il y a de plus en plus de compositeurs à découvrir, de musiciens à écouter et un public qui ne demande qu’à le faire. C’est en décembre 1966 que naît la Société de musique contemporaine du Québec, avec l’ambition de faire connaître ces compositeurs, de faire jouer ces musiciens et d’aller à la rencontre de ce public. La fin des années 1960 revêt des couleurs bien particu­lières dans l’histoire internationale récente : celles du psychédélisme et de la musique électronique; celle de la Terre vue de l’espace; celles, universelles, d’Expo 67 et du Gyrotron… Bref, c’était le bon temps, comme on dit, et on serait nostalgique à moins. À cette époque-là, presque chacun des concerts de la SMCQ créait l’événement, provoquait, scandalisait. Ces concerts, on les annonçait pratiquement chaque fois dans au moins quatre quotidiens montréalais (The Montreal Star, The Gazette, La Presse et Le Devoir), qui en faisaient aussi la critique, et on pouvait la plupart du temps les écouter à la radio… C’était encore le cas dans les années 1970. Puis, lentement, quelque chose a commencé à changer.

Octobre 1994. La directrice du Devoir, Lise Bissonnette, publie un éditorial qui reproche aux compositeurs de musique contemporaine d’être les premiers responsables d’une rupture importante avec le public. Les compositeurs auraient-ils été trop vite, creusant l’écart entre eux et le public en cherchant à combler le retard qu’avait identifié Pierre Mercure ? Et si la rupture était ailleurs ? Dans les médias, par exemple, qui préfèrent la facilité en offrant au public, et jusqu’à plus soif, tout ce qu’il connaît déjà, plutôt que de l’informer sur les développements de la scène musicale, comme ils le font pourtant en matière de littérature, de théâtre, d’arts visuels…

Février 2005. Je suis à Paris pour assister au festival Présences, organisé par Radio France. Un grand festival international de musique contemporaine qui offre, cette année-là, une place importante à la création québécoise. Ce n’est pas la première traversée de nos musiques, de nos compositeurs, tant s’en faut, mais celle-ci est particulièrement fructueuse et laisse entrevoir de futurs partenariats qui pourront assurer à la musique contemporaine d’ici une visibilité qui lui fait cruellement défaut et qu’elle a pourtant déjà eue. La recherche des causes ayant amené cette visibilité à s’estomper, c’est le fil conducteur de ce livre. Tant de chemin a été parcouru dans la deuxième moitié du XXe siècle et la route s’allonge encore sous nos yeux. Un coup d’oeil dans le rétroviseur nous aidera à nous situer…

Plus de quatre ans se sont écoulés entre les premières et les dernières lignes de cette introduction; quatre ans à trouver de nouvelles sources bibliographiques importantes ou un nouvel angle d’approche pour un fait particu­lier; quatre ans à vouloir tout inclure, puis à élaguer; quatre ans à observer l’incessant développement de la SMCQ en pensant « O .K.­, après avoir parlé de ce nouveau projet, j’arrêterai ! » En effet, si je mets enfin un point final à ce récit, il ne saurait être que temporaire et, donc, cette « histoire de la SMCQ », comme Marcel Duchamp l’a fait pour son Grand Verre, je la déclare définitivement inachevée.

Réjean Beaucage collabore régulièrement à l’hebdomadaire Montréalais Voir. Depuis 2000, on peut lire ses contributions dans la revue Circuit, consacrée à la musique contemporaine. Il était adjoint au rédacteur en chef du magazine La Scena Musicale entre 2003 et 2007 et est maintenant directeur général de la société de concerts Réseaux des arts médiatiques.

* Clermont Pépin, « Montréal : la Semaine internationale de musique actuelle », Canadian Music Journal, volume VI,

no 1,­ automne 1961, Toronto, University of Toronto Press,

p. 30-31.


(c) La Scena Musicale 2002