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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 5

Pierre Jansen : La vraie musique contemporaine, c’est peut-être la musique minimaliste

4 février 2011


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Propos recueillis par Stéphane Abdallah

Pierre Jansen est encore et toujours un compositeur ¬engagé et passionné. Passé par Darmstadt avant de se consacrer au cinéma, pour revenir ensuite à la musique de concert, il est aussi exigeant à 80 ans qu’à 20 ans, même si sa vision de l’évolution du langage musical a beaucoup changé. Curieux de tous les mouvements qui ont agité la musique contemporaine depuis 50 ans, passionné par les créations de certains jeunes compositeurs d’aujourd’hui, il porte un regard sans concession sur les « errances » de l’avant-garde.

LSM :Vous avez fait partie, aux côtés de compositeurs comme Pierre Boulez et Antoine Duhamel, de l’aile la plus intransigeante de l’avant-garde sérielle des années 1950. Quel regard portez-vous sur la musique de cette période ?

PJ : Je la trouve inécoutable ! Pour la plus grande partie, elle est bonne à mettre à la poubelle ! À l’époque déjà, je me demandais comment j’avais pu me retrouver dans un merdier pareil. On se retrouvait à composer une musique incroyablement complexe, qu’on n’avait absolument pas envie d’écrire. J’avais écrit une sonate pour piano à cette époque, dans un style assez traditionnel, tonal, que j’ai été obligé de cacher des années dans un tiroir, pour que mes collègues ne la voient pas !

Il y avait vraiment un terrorisme musical. Mais nous étions quelques-uns déjà à nous demander ce que le public allait pouvoir penser de cette musique. Je ne crois pas qu’il restera quoi que ce soit des œuvres écrites pendant cette période.

Et la musique d’aujourd’hui ?

J’admire beaucoup John Adams. C’est évidemment très américain, mais quand j’entends sa musique, je me dis parfois : « C’est ça, c’est ça qu’il faut faire », même si par certains côtés, c’est une musique très démonstrative, qui sollicite peut-être trop l’auditeur. Il y a encore en France un « art contemporain officiel ». Écoutez certaines soirées radio consacrées à la musique contemporaine : dans certaines œuvres, le public sait que l’œuvre est finie parce que le chef lui fait signe d’applaudir ! Pour beaucoup de ces musiciens, la question se ¬résume à ceci : qu’est ce qu’on peut encore faire qui n’ait pas déjà été fait ?

Vous ne rejetez pas tout en bloc ?

Ah non ! Je trouve par exemple que certains musiciens répétitifs ou minimalistes sont très habiles et très honnêtes. C’est peut-être ça, la vraie musique contemporaine, en tout cas une partie importante de la musique contemporaine. C’est une musique de réaction contre l’extrême complexité de l’école sérielle, mais il y a une subtilité chez certains de ces musiciens, qui consiste à transformer une idée de manière insensible, si bien que malgré l’impression de quelque chose de répétitif, au bout de dix ¬minutes, on a quelque chose de complètement nouveau. Il y a aussi beaucoup d’autres ¬compositeurs que je trouve très estimables : Henri Dutilleux, Serge Nigg, Philippe ¬Hersant, ¬Dalbavie…

Pour beaucoup de gens, vous restez avant tout le collaborateur musical de Claude Chabrol. ¬Comment jugez-vous les musiques que vous avez écrites pour le cinéma ?

J’ai été intéressé très tôt par le cinéma, mais j’envisageais cela comme un moyen de gagner ma vie comme compositeur pendant un temps, pour pouvoir ensuite me consacrer à ma propre œuvre. Mais travailler pour le cinéma, c’était très mal vu à cette époque, et encore aujourd’hui, car on est vite catalogué.

J’ai eu cependant la chance de travailler avec des gens qui me laissaient de bonnes conditions de travail sur le plan créatif, Chabrol bien sûr, mais aussi Josée Dayan ou Serge Moati (La croisade des enfants en 1988). Mais j’ai choisi d’arrêter de travailler pour le cinéma et pour la télévision au début des années 1980. On me demandait de faire des choses qui ne m’intéressaient pas, de composer des musiques très commerciales. Je répondais : « Ne vous adressez pas à moi pour faire ça, ce n’est pas mon métier. Je ne fais pas cette musique-là, d’autres le font beaucoup mieux que moi. »

Vous n’avez jamais été heureux dans votre ¬travail pour le cinéma ?

Il y a quelques films où j’ai pu me réaliser comme compositeur, mais pas beaucoup. Celui où je suis allé le plus loin, c’est évidemment Le Boucher de Chabrol, où vraiment j’ai utilisé des techniques qui venaient de Darmstadt, des citations rappelant Messiaen. Mais c’est la seule fois, vous savez… Chabrol était l’un des rares réalisateurs à ne pas avoir peur de la musique. Quand il a découvert dans le studio d’enregistrement ce que j’avais composé, il jubilait : « Houlala, c’est décadent, c’est décadent, c’est formidable ! » J’aime beaucoup aussi ma musique pour Landru, mais là par contre, on est plus dans le pastiche, notamment de la musique d’opéra.

Une expérience formidable aussi, la musique pour le film muet Intolérance de Griffith, que j’ai coécrite avec Antoine Duhamel en 1985. Une expérience intéressante de ¬composition à deux, quelque chose que les compositeurs font très rarement. Un DVD doit sortir depuis plusieurs années, mais pour l’instant, toujours rien…

Composez-vous encore ?

Non, pratiquement plus. J’ai élaboré par le passé mon propre système harmonique et maintenant, la difficulté est de le renouveler, de le faire évoluer. Mais je participe quand je le peux à la préparation des concerts où mes œuvres sont données.


(c) La Scena Musicale 2002