Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 16, No. 5

John Newmark : pianiste complet

Par Lucie Renaud / 3 février 2011


Version Flash ici

Né Hans Joseph Neumark à Brême le 12 juin 1904, issu d’une famille qui vénérait musique et peinture, le pianiste a étudié dans sa ville natale avec Karl Boerner, puis à Leipzig avec Anni Eisele, avant d’auditionner à 17 ans pour le réputé accompa¬gnateur Coenraad V. Bos. Rapidement, il est sollicité pour des tournées européennes et américaines, mais son père préfère l’envoyer étudier le dessin à Dresde, activité qu’il pratiquera en parallèle à partir des années 1950.

La montée du nazisme freine sa carrière européenne et il quitte l’Allemagne en 1939 pour Londres, avant d’être interné à l’île de Man en 1940. Libéré en 1942, il se rend à Toronto, puis se fixe à Montréal en 1944, ville qu’il adoptera unilatéralement, malgré les ponts d’or qui lui auraient permis de ¬s’installer à Londres ou New York.

Dès que John Newmark se joint à la scène musicale montréalaise, les solistes d’ici et d’ailleurs souhaitent travailler avec lui, saluant la façon dont il semblait se mettre entièrement au service de l’interprète. Avec le violoniste Alexander Brott et le violoncelliste Roland Leduc, il devient ainsi le premier à présenter à la SRC l'intégrale des trios de Beethoven en 1944.

En août 1947, il se voit confier par Wilfrid Pelletier le premier cours d’accompagnement du Conservatoire de musique de Montréal. « Ma classe d’“accompagnement” de cette année constituera une innovation grâce à l’initiative de M. Wilfrid Pelletier qui s’est depuis longtemps rendu compte des déficiences qui règnent dans notre monde musical sur ce point, explique-t-il dans une entrevue accordée au Devoir. Il s’agit, non seulement d’assurer la formation des jeunes musiciens qui préféreraient la carrière d’accompagnateur à celle de pianiste virtuose, mais aussi d’habituer les élèves au travail d’équipe. »

Lorsque le journaliste lui demande de résumer les qualités essentielles d’un bon accompagnateur, il avance cette réponse : « En plus d’une intelligence musicale supérieure, doublée d’un authentique amour pour la musique tout entière, trois points sont requis : a) une connaissance approfondie de la littérature complète soit de la sonate, de l’opéra ou du lied sans oublier le style propre à chacune de ces formes; b) un sens infaillible, voire même une intuition décisive apte à faire deviner ce qui se passe dans l’esprit de l’artiste qu’on accompagne, ou ce qui s’y prépare. Ainsi, sentir à l’avance une personnalité, démarquer un style apparent ou non afin d’adapter son propre style à celui du soliste; c) un sang-froid remarquable pour parer à un accident toujours possible du soliste, une présence d’esprit toujours en alerte quand il faut dissimuler une de ses indispositions. »

En 1949, il accompagne le célèbre contralto Kathleen Ferrier dans deux tournées nord-américaines et enregistre notamment avec elle des cycles de Schumann et Brahms – leurs Vier Ernste Gesänge de Brahms remporteront d’ailleurs un Grand prix du disque de l'Académie Charles-Cros en 1952.

Salué comme l’un des cinq plus grands pia¬nistes accompagnateurs – au même niveau qu’Edwin Fischer et Gerald Moore –, John Newmark a participé à des milliers de récitals et a travaillé avec plus de 80 artistes internationaux et plus de 160 musiciens canadiens, dont le contralto Maureen Forrester, qui considérait lui devoir tout. Il excellait dans le ¬domaine du lied allemand, de Mozart à Mahler, mais savait également démontrer ¬élégance et subtilité dans la mélodie française. Du côté instrumental, il a toujours admis une préférence pour le violoncelle. Il a notamment joué avec Zara Nelsova, Maurice Eisenberg, Paul Tortelier et Walter Joachim. « John avait une intelligence musicale remarquable, évoque ce dernier dans la biographie de Renée Maheu Un piano sur la mer. Il avait travaillé avec les chanteurs et il connaissait tout le répertoire, que ce soit allemand, français ou italien. C’est pourquoi, connaissant le sens du phrasé, il était le seul à savoir ce que je voulais faire d’une ligne musicale. »

Dans le même ouvrage, le pianiste Helmut Blume, avec lequel John Newmark a participé à quelques tournées, se souvient de lui en ces termes : « Johnny ne travaillait jamais sa technique : il n’y croyait pas. Sa manière de travailler le piano était différente de la mienne. Il n’a ¬jamais songé à une carrière de virtuose. Il ne s’intéressait qu’au répertoire de musique de chambre. Il avait un talent exceptionnel pour lire n’importe quoi à première vue – tout lui semblait facile à la condition d’avoir la musique sous les yeux. » Le violoniste et chef d’orchestre Alexander Brott ajoute : « John Newmark était un musicien intègre, de grande culture et sa connaissance du répertoire de musique de chambre était assez exceptionnelle. »

Quand le gouvernement québécois lui décerne le Prix Denise-Pelletier en 1988, trop affaibli par la maladie, John Newmark ne peut se présenter à la cérémonie officielle. Il demande donc à son ami Marcel Brisebois de lire le texte de remerciement, dont sont extraites ces quelques phrases qui résument une vie consacrée au partage de la musique : « Il m’est ¬difficile de communiquer l’incroyable joie que j’éprouve à travailler avec un autre musicien. Le cheminement de mon propre esprit dans la pensée d’un autre être, la communion intime de deux sensibilités favorisent la découverte ¬exaltante de richesses insoupçonnées du texte musical au bénéfice de l’auditeur. » Il s’éteint le 14 octobre 1991, à Montréal.

Le CD découverte propose de découvrir John Newmark soliste, alors qu’il interprète les quatre Sonatines de Reger en 1964. Le CD est une coproduction avec les Disques XXI et est offert en exclusivité aux abonnés payants de LSM.


(c) La Scena Musicale 2002