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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 4 décembre 2010

CD Découverte : Otto Joachim

Par Julie Berardino / 1 décembre 2010


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Ce mois-ci, offrez-vous un tour d’horizon de la musique d’Otto Joachim, compositeur avide d’explorations aussi éclectiques que poétiques. Véritable source d’inspiration et pédagogue hors pair, altiste et violoniste accompli ayant pris part à de nombreux ensembles montréalais aussi bien professionnels qu’amateurs, Joachim aura su faire rayonner la musique tant par son travail acharné d’interprète et d’électroacousticien que par sa passion pour les instruments anciens et les langages modernes.

Né à Düsseldorf en 1910 et décédé en juillet dernier, quelques mois à peine avant son centième anniversaire, Joachim a notamment été récipiendaire du prix Opus 2007 ainsi que du Grand Prix Paul-Gilson en 1969. Arrivé presque accidentellement à Montréal en 1949, il s’y installa à la suite d’un séjour de quinze ans en Asie, après avoir été contraint de fuir l’Allemagne en 1934 et c’est ici qu’il fut le plus actif en tant que compositeur.

La première œuvre, L’Éclosion (1954), est interprétée avec raffinement par Suzanne Blondin, pianiste soliste à l’OSM dans les années 1970. L’enregistrement a été réalisé à la Chapelle historique du Bon-Pasteur de Montréal, au cours d’un concert hommage à Joachim qui célébrait alors ses 80 ans. Les possibilités sonores du piano sont exploitées à fond, dans toutes leurs subtilités. Dans cette sculpture sonore, les durées des groupes de sons et des silences sont organisées d’après des motifs numéraux, sans que le lyrisme de l’œuvre en soit affecté. Robin Elliott, musicologue, affirma même que cette œuvre et Concertante no1 dégagent « un esprit de compromis, un trait s’étant illustré comme fleuron de la psyché canadienne».

La musique de Joachim n’est pas qu’une merveille d’équilibre, mais aussi de substance : Concertante no1, œuvre brillante et fougueuse, emploie une variété de techniques et des matériaux d’une profonde richesse, tant au plan du contrepoint que de l’harmonie. Elle porte résolument la signature de l’instrumentiste à cordes d’expérience qu’était Joachim. Écrite pour violon solo (Hyman Bress), percussions (Louis Charbonneau) et orchestre à cordes (dir. Jacques Beaudry), elle est ici enregistrée par ses créateurs mêmes.

Successeur de Bach, Joachim s’est de plus employé à faire valoir les possibilités sonores du grand orgue. Rédigée dans un langage à la fois libre et dodécaphonique, sa Fantasia (1961) s’avère une œuvre puissante, noire, aux harmonies exaltées. Bien qu’exigeante d’écoute, elle fascine immédiatement par le ludisme de sa rythmique qui, furtivement, transcende l’atmosphère d’horreur qui l’imprègne. Joachim, comme l’ont fait Liszt ou Rimski-Korsakov avant lui, y cite aussi occasionnellement les notes B-A-C-H, avec transpositions et inversions. La pièce est interprétée par Kenneth Gilbert avec une précision indéfectible.

Amoureux de la technologie à la fine pointe du progrès, le compositeur a créé l’un des premiers studios de musique électroacoustique montréalais dans les années 1950. Musique électronique (1971), fresque de musicalité peu connue, a été composée avec spontanéité par l’auteur de Katimavik, véritable mosaïque sonore ayant animé le pavillon du Canada lors de l’Expo 67. La musique électronique de Joachim témoigne d’un grand souci du timbre, l’homme expliquant d’ailleurs en entrevue que « la musique électronique en soi n'existe pas. C'est la musique par des moyens électroniques ».

Six Pieces for Guitar (1971) consiste en une série d’œuvres frugales, mais puissamment expressives, dans une esthétique rappelant la suite classique. L’économie de moyens y est stupéfiante. Elles ont été enregistrées par le fils du compositeur, Davis Joachim, pour qui il a abondamment écrit. Chaque partie arbore une atmosphère unique, où de curieux jeux rythmiques se conjuguent tantôt à une violence calme, tantôt à une sensualité vibrante.

Créé par le Quatuor Molinari en 2000, le Quatuor à cordes (1997), dernière œuvre du disque, intègre des structures dodécaphoniques et aléatoires dans une musique d’inspiration coréenne. La musique de chambre était le médium de prédilection du compositeur. C’est un voyage à Séoul, en 1977, qui avait ravivé l’intérêt du compositeur pour la musique de l’Asie, où il a vécu pendant 15 ans.


(c) La Scena Musicale 2002