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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 2 octobre 2010

Xenakis : un grand classique

Par Propos recueillis par Lucie Renaud / 1 octobre 2010


Version Flash ici.

Dans le premier segment de cette nouvelle chronique, « Une œuvre, un regard », la chef d’orchestre Lorraine Vaillancourt nous parle du programme Xenakis présenté par le NEM le 6 octobre prochain.

 On connaît l’amour de Xenakis pour l’architecture, chacune de ses œuvres provoquant autre chose sur le papier que son amour de la musique. Quand on voit une partition de Xenakis, ce qu’on découvre, si on regarde un peu de loin, ce sont des édifices, en général pas des ponts suspendus, l’écriture n’étant pas très aérée, mais compacte. Ce n’est pourtant pas le résultat d’une démarche scientifique, plutôt d’une pensée très sensible aux formes, à la matière. Xenakis a inventé un monde sonore que beaucoup d’autres ont exploité par la suite, cette transmission de la masse à travers les sons des vents, des harmoniques qui ne sont pas vraiment harmonieuses. Il y a souvent de la microtonalité, cela déchire. Cette force, cette masse sonore qui bouge, cette succession de vagues ascendantes et descendantes, ces nombreux glissandos, se retrouvent dans toutes ses œuvres.

Xenakis reste particulièrement actuel. D’une part, ses œuvres n’ont pas vieilli, elles continuent d’avoir le même impact, justement grâce aux contrastes, à ces masses, aux frottements qu’ils provoquent, aux dynamiques extrêmes, très exigeantes pour tous les musiciens qui soufflent dans leurs instruments. C’est toujours limite; Xenakis pousse les musiciens vraiment très loin dans ce sens-là, il faut toujours que ce soit plus, plus haut, plus fort, plus dur, ou alors dans l’extrêmement doux. Il faut donc aller puiser très loin dans ses ressources. Le choc entre les différentes familles d’instruments permet des effets absolument merveilleux et on finit par oublier qu’on a des instruments devant soi, même quand on l’a joué plusieurs fois. Qu’il prenne des moyens détournés ou non, on reconnaît Xenakis comme Mozart, on se retrouve dans des pistes balisées.

Premières rencontres avec l’univers Xenakis

Quand je faisais mes études en Europe, dans les années 1960 et 70, pendant les grandes années du Festival international d’art contemporain de Royan [manifestation pluridisciplinaire annuelle, organisée de 1964 à 1977], j’y ai entendu des premières de Xenakis, dont Metastasis, qui m’avait beaucoup marquée. Une œuvre coup de poing, pas dans le sens brutal, mais plutôt parce qu’elle laisse une forte impression. En quittant la salle de concert, tu te dis : « Mais où sommes-nous ? » Je me souviens aussi très bien de Nomos Alpha, pour violoncelle solo. Cela questionne énormément les idées reçues sur la musique. On sort complètement du langage connu, il y a des choses impossibles à faire. Il faut contourner, savoir où aller, quoi transmettre. Pour un chef, ce n’est pas évident parce qu’il faut que les musiciens acceptent d’être des instruments, quelqu’un qui essaie de transmettre envers et contre tout la musique, une idée, ce qui les rend souvent inconfortables, car ils doivent lutter un peu contre leur instrument. Quand on se tient constamment au bord du précipice ou dans l’au-delà de son instrument, il faut faire attention de ne pas tomber en bas ! Il faut trouver le geste, ce qui est très libérateur aussi.

Un défi pour le chef

Le chef, au moment du concert, tient le volant, il n’y a pas de virtuosité au niveau de la battue chez Xenakis. Au contraire, les battues sont en général très lentes et la musique à l’intérieur de celles-ci très rapide. Ce sont des repères pour les musiciens, qui ont énormément de choses à faire en très peu de temps. La chorégraphie leur permet de savoir à quelle rue ils sont rendus ! C’est le soutien de tout l’édifice et essentiellement un travail de profondeur, effectué en répétition. Une fois les segments travaillés, au moment du concert, on parle plutôt d’une énergie; il faut maintenir cette force-là, tendre l’arc reste le défi.

En tant que chef, je rends les musiciens conscients de ce qu’ils font, des gestes des autres, de l’endroit dans lequel ils doivent se trouver au sein de cette masse sonore. Souvent, on regarde le texte et on n’est pas satisfait de ce qu’on entend sur les (rares) enregistrements; il faut plutôt s’accrocher à ce que Xenakis a inscrit dans sa partition. Tout ce travail se fait dans les répétitions. En concert, effectivement, il y a des œuvres sûrement plus exigeantes, qui en mettent plein la vue par les changements de mesures par exemple et parfois, dans Xenakis, le chef voudrait pouvoir bouger davantage sur le podium. Quand on est vraiment actif, on distribue les énergies. Il faut tenir quelque chose qui est très fort, très puissant, et vous avez seulement un geste lent pour le faire, que vous ne pouvez pas changer, le repère étant très important; c’est une autre forme d’exigence.

Xenakis est un homme qui a beaucoup souffert et la juxtaposition de la beauté et d’une certaine laideur demeure toujours présente en lui. Ce qui fait la beauté de sa musique, c’est qu’elle nous pousse à demeurer sur le fil, qu’elle soit la confrontation de deux extrêmes.

» Hommage à Xenakis, 6 octobre. Seront entendus ce soir-là : Anaktoria, Échange, Ikhoor, O-Mega et Thalleïn.
Info au www.lenem.ca/nem

» L'exposition Xenakis : compositeur, architecte et visionnaire se tient au CCA jusqu'au 17 octobre


(c) La Scena Musicale 2002