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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 2 octobre 2010

Marie-Ève Munger : les rêves lyriques les plus fous d’une soprano prometteuse

Par Daniel Turp / 1 octobre 2010


Version Flash ici.

En mai dernier, de passage à Montpellier, je faisais la connaissance sur les ondes de France Musique d’une jeune soprano à l’accent québécois. Interrogée au sujet de la production du Théâtre du Chatelet de l’opéra Magdalena d’Hetior Villa-Lobos, Marie-Ève Munger parlait avec éloquence du rôle de Maria qu’elle allait tenir dans l’œuvre du compositeur brésilien. Cette première et très bonne impression m’a amené à vouloir connaître davantage cette chanteuse originaire d’un Royaume du Saguenay, devenu pépinière d’interprètes de renom.

C’est à Cooperstown, jolie ville américaine de l’État de New York connue pour son Temple de la renommée du baseball et hôte du Glimmerglass Opera Festival que j’ai retrouvé Marie-Ève Munger à la fin du mois de juillet 2010. Choisie pour participer au prestigieux Young American Artists Program organisé dans le cadre du festival, la soprano y séjournait depuis près de deux mois déjà et s’était vu confier un rôle dans Le mariage de Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart, en plus de faire partie du chœur de la production de Tosca de Giacomo Puccini.

Mais avant de monter sur scène, elle devait offrir un récital solo dans le magnifique décor de l’Hôtel Otesaga. Avec la complicité de son pianiste-accompagnateur, Timothy Hoekman, Marie-Ève Munger a présenté un programme diversifié et original, conçu fort judicieusement pour mettre en valeur la tessiture de sa voix. Son interprétation de Quatre madrigaux sur des poèmes anonymes de Joaquín Rodrigo a démontré la justesse de la voix et une véritable intensité dramatique dans l’interprétation. Son interprétation des Quatre chansons pour les oiseaux de Louis Beydts a offert des moments de pur plaisir et elle a manié l’humour avec intelligence, notamment dans la mélodie L’oiseau bleu qui consiste en une énumération, à la vitesse lumière, de prénoms de femmes. Les trois Brentano Lieder de Richard Strauss avec lesquels elle terminait son récital ont permis à la soprano de révéler l’amplitude de sa voix de colorature et une réelle virtuosité.

Le lendemain, elle se prête volontiers au jeu de l’entrevue. Invitée à se projeter dans l’avenir, elle n’hésite aucunement à répondre : « Vous m’invitez à partager avec vous mes rêves les plus fous. » Elle identifie le Metropolitan Operade New York et La Scala de Milan comme les deux maisons dont elle veut fouler les planches, mais évoque une présence sur les scènes de l’Opéra national de Paris et du San Francisco Opera. Elle profite de la question pour me parler de son amour de la scène et de l’importance qu’elle accorde à la théâtralité. Cherchant constamment à se dépasser, elle espère pouvoir incarner Zerbinetta dans Ariadne auf Naxos et Sophie dans Der Rosenkavalier, révélant ainsi sa fascination pour l’écriture lyrique de Richard Strauss. L’opéra français l’intéresse aussi, et elle aimerait bien tenir les rôles qui conviennent à sa voix dans Lakmé de Léo Delibes, Hamlet d’Ambroise Thomas et deux opéras de Francis Poulenc, Le Dialogue des Carmélites et Les Mamelles de Tirésias. L’artiste me dit aussi être intéressée par la création lyrique : elle participera notamment à la création de l’opéra Opening Night au Théâtre Bouffes-du-Nord au printemps 2011 à Paris.

Elle se révèle par ailleurs assez critique du monde de l’opéra, qui « tourne en rond », et plaide pour une « renaissance lyrique », laquelle doit passer par un renouvellement du répertoire et par des œuvres dont les livrets auront été rédigés par des librettistes qui savent écrire pour les chanteurs. Quand on la presse d’évoquer chefs et metteurs en scène qui l’inspirent, les noms de ses compatriotes québécois Yannick Nézet-Séguin, Robert Lepage et Renaud Doucet sont les premiers noms qui lui viennent à l’esprit, mais elle mentionne également le metteur en scène canadien Leon Major qui la dirige dans Le mariage de Figaro au Glimmerglas Opera. Et les concours ? Elle hésite un peu, mais elle pourrait être tentée – ce serait sa dernière chance – de prendre part au Concours Reine Élisabeth en 2011, ainsi qu’au Concours Operaliade Placido Domingo.

La chanteuse garde les deux pieds ancrés dans le présent. Elle apprécie l’expérience Glimmerglass et, même si sa carrière est bien amorcée, elle estime qu’elle y perfectionne son art. Le milieu est stimulant, le très haut niveau de performance offre ses défis et les auditions organisées par le Glimmerglas Opera sont l’occasion de décrocher des contrats. Elle m’annonce d’ailleurs que, grâce à ces auditions, elle tiendra le rôle d’Eritea dans l’opéra Eliogabalo de Cavalli présenté au Alice Tully Hall à New York avec le Gotham Chamber Opera en février 2011. Elle interprétera également le rôle de la Second Woman dans Opening Night de Peter Brooks en avril 2011et sera de retour sur la scène de l’Opéra-théâtre de Metz-Métropole pour interpréter Nanetta dans le Falstaff de Verdi à l’automne 2011. D’ici là, on pourra l’entendre dans Le Messie de Haendel avec le Charlotte Symphony les 15 et 21 décembre prochains et dans des œuvres de la tradition liturgique anglaise du compositeur britannique John Rutter avec le Chœur et l’Orchestre symphonique du Saguenay–Lac-Saint-Jean le 11 décembre.

Si l’avenir s’inspire du passé, la diplômée de l’École de musique Schulich de l’Université McGill et celle qui a dirigé la Société d’art lyrique du Royaume de 2007 à 2009 – et se réjouit aujourd’hui que la compagnie soit entre les mains du baryton Marc-Antoine d’Aragon – voudra sans doute continuer de promouvoir, en parallèle d’une carrière qui s’annonce si prometteuse, ses idées pour l’opéra et la création lyrique. L’art total sera ainsi bien servi par cette merveilleuse ambassadrice.

L’auteur diffuse Le blogue lyrique de Daniel Turp qui est accessible à l’adresse www.danielturpqc.org/lebloguelyrique


(c) La Scena Musicale 2002