Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 16, No. 2 octobre 2010

Cinq organistes au service de Widor : Entrevue avec Jacques Boucher

Par Renée Banville / 1 octobre 2010


Version Flash ici.

Dans les petits villages du Québec au XXe siècle, la musique d’orgue et le chant grégorien ont bercé l’enfance de la plupart. Les municipalités étant dépourvues de structures culturelles, la vie musicale était concentrée dans les églises. « En fait, dit Jacques Boucher, titulaire de l’orgue Casavant de l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal depuis 1986, l’espace symphonique du village, c’était l’église avec son orgue et son chant grégorien. C’était le lieu de culture, le lieu municipal où l’on pouvait entendre de la musique ». Natif de Saint-Pascal de Kamouraska, il avait hâte au dimanche pour aller entendre le chant grégorien à l’église où son père a chanté la messe pendant 50 ans.

En 1995, à l’occasion du 150e anniversaire de naissance de Charles-Marie Widor et du 115e anniversaire de fondation de Casavant Frères, facteur d’orgues de Saint-Hyacinthe, l’intégrale des dix symphonies pour orgue de Widor fut donnée par cinq organistes différents dans cinq villes du Québec. Cette activité a eu lieu grâce à Jacques Boucher qui a fondé en 1984, avec l’organiste Antoine Reboulot, l’association « Les grandes heures de l’orgue symphonique français ». Le CD découverte de ce mois-ci vous propose un mouvement de chaque symphonie interprété par ces organistes.

Un génie musical méconnu

Charles-Henri Widor est décédé en 1937 à l’âge de 93 ans. Nommé organiste à l’église Saint-Sulpice de Paris à l’âge de 26 ans, il y demeura durant 64 ans. Il fut aussi professeur au Conservatoire de Paris et compte parmi ses élèves de nombreux compositeurs de renom et la plupart des organistes influents de France. Compositeur prolifique, il est connu également comme chef d’orchestre, auteur et critique musical. Toutefois, malgré l’importance de sa production et les différents postes qu’il a occupés dans le milieu musical, son œuvre demeure peu connue, à l’exception de la célèbre Toccata, mouvement final de sa Cinquième Symphonie. Pourtant, l’ensemble grandiose de ses dix symphonies constitue, avec les œuvres de J.S. Bach, un des monuments du répertoire pour orgue. Il est le dernier survivant d’une époque révolue. « Dans la vision de Widor, note l’organiste Benjamin Waterhouse, la technique de l’orgue ne peut qu’être fondée sur l’étude des grands maîtres dont, bien sûr, Johann Sebastian Bach, et les habiletés de l’improvisateur ne doivent jamais faire oublier celles de l’interprète ».

La musique d’orgue à l’époque de Widor

Il existait à l’époque de Widor ce qu’on appelait les « messes d’orgue ». La musique commençait avant l’entrée du célébrant et ne s’interrompait que le temps du sermon. Le public, les intellectuels et les artistes pouvaient aller entendre le « concert » du maître dans le salon de la tribune d’orgue. Avec ses nominations à Saint-Sulpice et au Conservatoire, Widor était devenu un des musiciens les plus en vue de la capitale. Il fit construire un salon privé derrière l’orgue où il recevait le gratin de la grande société, et même Albert Schweitzer, dit-on.

Le coffret de l’intégrale des dix symphonies

Les quatre premières symphonies pour orgue paraissent sous le numéro d’opus 13 en 1872. Les quatre symphonies suivantes de l’opus 42 sont publiées entre 1879 et 1887. Ce n’est que huit ans plus tard qu’apparaît la Symphonie « gothique », suivie de la Symphonie « romane » en 1900 qui marque un changement de direction. Ce sont les deux seules symphonies de Widor qui utilisent un motif grégorien. Le motif de la Neuvième Symphonie, dédiée à l’orgue de la basilique Saint-Sernin à Toulouse (église gothique), est inspiré de la Messe de la Nativité, tandis que celui de la Dixième Symphonie, dédiée à l’orgue de l’église abbatiale Saint-Ouen de Rouen (église romane) provient de l’Haec dies, un chant grégorien festif de la Messe de Pâques.

Cinq organistes interprètent les œuvres dans cinq villes de la province, ce qui constitue une sorte d’itinéraire, de Montréal aux portes de la Gaspésie : Jean-Guy Proulx à la cathédrale Saint-Germain de Rimouski, Gilles Rioux à la basilique Notre-Dame-du-Cap du Cap-de-la-Madeleine, Benjamin Waterhouse à la cathédrale de Saint-Hyacinthe, Jacquelin Rochette à l’église Saint-Roch de Québec et Jacques Boucher à l’église Saint-Jean-Baptiste de Montréal. La facture d’orgue a connu un renouveau dans les années 1960, avec un retour à un type d’instrument qui peut jouer de la musique plus ancienne. Tous les instruments sont de la maison Casavant, qui possède une expérience riche de plus de 125 ans. Ils servent admirablement la musique de Widor.

L’avenir des orgues du Québec

Le cri d’alarme est lancé depuis un bon moment. L’un après l’autre, les orgues sont réduits au silence. Les angoisses suscitées par les discussions autour de l’église du Très-Saint-Nom-de-Jésus laissent présager un avenir incertain pour ces bijoux du patrimoine. D’après Jacques Boucher, le cas le plus triste est celui de l’église de Lacolle qui a été convertie en restaurant. « Elle possédait le plus vieil orgue jouable de Casavant. On ne peut pas demander aux seuls paroissiens pratiquants de soutenir une église. Il faut qu’on la considère comme un héritage patrimonial et non pas comme un patrimoine religieux. Le Ministère doit avoir des règles de conservation. Peut-on moralement dilapider un tel héritage ?

»Seuls les abonnés recevront le CD Découverte (en format disque ou format téléchargeable). Pour s’abonner, contactez-nous au 514-656-3947 ou sub(a)scena.org


(c) La Scena Musicale 2002