Simone Dinnerstein en contrepoint Par Lucie Renaud
/ 1 juillet 2011
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« Tout dans la vie est contrepoint,
c’est-à-dire opposition, mouvement contraire. » La pianiste Simone
Dinnerstein pourrait faire siens ces mots de Glinka, ayant brisé l’une
après l’autre les règles tacites du milieu. Elle reçoit ses premières
leçons à l'âge tardif de sept ans, ses parents ayant du mal à croire
au rêve de leur fillette - donner un récital solo sur une grande scène
new-yorkaise - et craignant que la pratique intensive d’un instrument
ne l’isole. Quand, à 13 ans, Simone Dinnerstein entend pour la première
fois la mythique version de Glenn Gould des Variations Goldberg,
elle ignore que, 17 ans plus tard, l’apprentissage de cette œuvre
fera basculer sa vie.
Après quelques années d’études à
Juilliard, elle sidère famille et amis en choisissant d'aller se perfectionner
à Londres et d’y rejoindre celui qui deviendra son mari, Jeremy Greensmith.
Refusant de « courir les concours », elle finit par rentrer à Brooklyn
et Juilliard. Le train-train s’installe ensuite, entre vie de famille,
studio d’enseignement et concerts occasionnels, notamment dans les
prisons.
Si les Goldberg ne la hantent
pas encore, Bach reste pourtant une source d’inspiration constante.
À 30 ans, avec l’impression de tourner vaguement en rond, elle y
revient, pendant neuf mois les dissèque, les médite, puis les enregistre.
Quelques plages « s'échappent » sur Internet et suscitent une déferlante
d’intérêt. Ne sachant trop comment tirer parti de ce succès
inattendu, Simone Dinnerstein joue le tout pour le tout et convoque
les critiques au Weill Recital Hall du Carnegie Hall pour un live
des Goldberg en 2005. Le pari paie. Les étiquettes prestigieuses
se bousculent au portillon et Telarc lance son album le 28 août 2007.
Ce dernier grimpera non seulement au sommet des ventes classiques de
l’US Billboard, mais aussi du palmarès Amazon, tous genres
musicaux confondus, devant les rois de la musique populaire. Or, Dinnerstein
renouvelle la prouesse avec son disque suivant, The Berlin Concert
!
Rejoindre le public
Simone Dinnerstein aurait pu choisir de céder aux sirènes de la
célébrité, mais elle préfère rester ancrée dans la réalité.
Elle fonde Neighborhood Classics, une série de concerts offerts dans
les écoles publiques de New York (dont celle où enseigne son mari
et où étudie leur jeune fils) et demeure très active au sein de la
Fondation Piatigorsky, qui propose des récitals dans des lieux moins
traditionnels, notamment maisons de retraite, écoles et centres communautaires.
« Je pense que si vous jouez dans une petite salle, vous pourrez communiquer
de façon beaucoup plus directe avec le public, explique-t-elle en entrevue
téléphonique, mais je présente toujours la musique de la même manière,
que je joue pour un public de connaisseurs ou un autre qu’on pourrait
considérer comme moins éclairé. J’aime jouer dans des lieux qui
n’accueillent pas habituellement les concerts classiques, car le public
apprécie énormément, réagit de façon authentique. Que vous alliez
au concert ou qu’il vienne à vous, il devrait vous aider à mieux
comprendre le monde. En tant qu’interprète, vous devez être
honnête et jouer de façon cohérente, mais vous ne pouvez pas contrôler
la réaction des gens. Que la salle soit grande ou petite n’y change
rien. Vous pourriez en dire autant de la radio, le plus large public
qu'on puisse atteindre. J’ai reçu de nombreuses lettres d'auditeurs
de radio. Je n’avais aucune connexion directe avec leur expérience
d’écoute et pourtant, pour eux, c’était important de m’avoir
entendue. Comme si j’envoyais ma musique dans le monde, ne sachant
où elle atterrira. »
L’essence de la musique
Simone Dinnerstein, qui alterne volontiers périodes d’écoute
intensive et silence, se laisse inspirer par certains grands pianistes
du passé : « Ces jours-ci, je suis particulièrement intéressée
par le travail de Myra Hess. J’aime aussi écouter Schnabel, Cortot,
Lipatti. J’aime leur approche, leur son, leur toucher, l’unité
entre la façon dont ils conçoivent la musique et la façon dont ils
l’expriment, sans aucune coupure entre les deux. »
Pour elle, l’expérience de concert
se construit au gré des salles et des programmes. « Mes concerts préférés
sont ceux qui me permettent de ressentir la musique comme centre d’intérêt.
J'aime sentir que tous les membres du public sont particulièrement
attentifs, que nous partageons quelque chose de profond. Pour moi,
rien ne ressemble exactement à la musique, si abstraite, et qui pourtant
suscite des réactions uniques. Je pense que chaque personne en extrait
un message précis, différent; pourtant, nous avons tous l’impression
de comprendre réellement ce qu'elle exprime, comme si nous étions
tous familiers d'une forme préverbale du langage. »
Festival de musique de chambre d’Ottawa,
29 juillet. www.ottawachamberfest.com English Version... |
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