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La Scena Musicale - Vol. 16, No. 1 septembre 2010

Marin Nasturica : la magie au bout des doigts

Par Roxana Pasca / 1 septembre 2010


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Il a joué pour les plus grands au monde, du général De Gaulle au président Nixon, en passant par Léonid Brejnev, Sandro Pertini, Anouar el-Sadate, le maréchal Tito et les astronautes d’Appolo qui ont marché sur la Lune. Il a joué sous la baguette de grands chefs d’orchestre québécois dont Marc Bélanger, Agnès Grossman, Paul-André Boivin, Gilles Bellemare, Stéphane Laforest, David Bowser et même le très renommé Charles Dutoit. Il a à son actif un grand nombre de disques qui ont tous remporté des succès phénoménaux et il est mondialement reconnu pour ses enregistrements remarquables de pièces classiques adaptées à l’accordéon, qu’elles soient de Bach, Rimski-Korsakov, Khatchatourian, Rachmaninov, Chopin, Sarasate, Liszt ou Paganini. On a pu récemment l’entendre au Festival de Lanaudière, au Carrefour mondial de l’accordéon à Montmagny et il sera présent, les 4 et 5 septembre, à la Fête de la musique de Tremblant. Mais qui est et d’où vient ce musicien hallucinant qui soulève les foules partout où il passe ?

Roumain, québécois et sans frontières

C’est dans sa Roumanie natale que Marin Nasturica pose pour la première fois, à l’âge de quatre ans, ses mains sur un accordéon. Dès lors, il n’a plus jamais quitté cet instrument. « Je me suis tout de suite dit que je voulais mourir avec l’accordéon », affirme le musicien. Bien qu’il maîtrise également le piano et le violon, c’est l’accordéon qui lui apporte le plus de satisfaction et de bonheur, bonheur découvert grâce à sa grand-mère qui lui fait cadeau d’un tout petit accordéon. « Elle chantait et moi je l’accompagnais avec mon minuscule instrument », explique-t-il. Très vite, Marin Nasturica passe de jeune amateur à prodige. À l’âge de 10 ans, on le voit régulièrement jouer dans des cafés-concerts et faire quelques apparitions à la télévision roumaine. Or, comme il n’y avait pas d’école d’accordéon en Roumanie, c’est avec des professeurs privés que ce dernier se formera, dont Gicu Cofler et Costel Stingaciu. « Je les écoutais, je les observais et j’apprenais, dit-il. C’est ainsi que je m’enrichissais et que je perfectionnais mon art. »

Outre ces grands maîtres, qui ont contribué à faire de Marin Nasturica le formidable accordéoniste qu’il est aujourd’hui, ce dernier collabore également avec Gica Petrescu, un des plus grands chanteurs populaires de la Roumanie, tout de suite séduit et impressionné par le jeune accordéoniste d’à peine 16 ans. S’ensuit alors une grande collaboration en plus d’une grande amitié. Ils vont jouer maintes fois ensemble, notamment pour Nicolae Ceausescu, que ce soit lors de visites officielles ou tout simplement pour le simple plaisir du « Génie des Carpates », qui ne se gênait nullement, même en pleine nuit, pour convoquer Marin Nasturica au palais pour l’entendre jouer.

À partir de l’âge de 19 ans, les succès se font également connaître à l’étranger. En effet, Marin Nasturica sera amené à parcourir le monde avec son accordéon : Allemagne de l’Est et de l’Ouest, Autriche, Danemark, Hollande, Grèce, Belgique, Égypte, Italie, États-Unis, Japon, U.R.R.S. et Canada. C’est seulement après son septième voyage au Canada, en 1986, que Marin Nasturica décide d’adopter ce pays. À cette époque, quitter la Roumanie, où il est une véritable vedette et un privilégié du système, n’est pas une décision facile. Outre les difficultés reliées à l’immigration, son établissement au Québec le coupe, pour une très longue période, de son pays natal et de sa famille, sous risque de purger une peine de 17 ans de prison pour avoir choisi librement le Canada.

Pourquoi avoir décidé de s’établir au Québec, alors qu’on est une véritable « star » dans son pays ? Pour la musique, tout simplement. Marin Nasturica avait des ambitions beaucoup plus grandes et rêvait, depuis très longtemps, de jouer avec un orchestre symphonique, occasion qu’il n’a jamais eue en Roumanie. Ce rêve, c’est ici au Québec qu’il le réalisa en 1986, et ce, grâce à un seul homme : Michel Buruiana. « Michel m’a énormément encouragé, affirme l’accordéoniste. Il voyait ma véritable valeur. » En effet, Michel Buruiana, un géant de l’univers culturel et artistique québécois, organise et produit deux concerts à la Place des Arts dans lesquels Marin Nasturica joue avec l’Orchestre Métropolitain, sous la direction de Marc Bélanger. Le public québécois est tout de suite séduit et impressionné par la performance de Marin Nasturica et par sa fameuse interprétation du Vol du bourdon de Rimski-Korsakov et de l’Hora Staccato de Dinicu-Heifetz.

Cet événement, véritable succès autant pour l’Orchestre Métropolitain que pour Marin Nasturica, ouvrit la porte à toute une série de concerts à travers le Québec et à l’établissement définitif de l’accordéoniste dans la belle province. En 1987, Marin Nasturica est de nouveau amené à jouer avec l’Orchestre Métropolitain, mais cette fois sous la direction d’Agnès Grossman et en tant qu’invité d’Oliver Jones. Il jouera ensuite tour à tour avec l’Orchestre symphonique de Laval sous la direction de Paul-André Boivin, l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières sous la direction de Gilles Bellemare, la Sinfonia de Lanaudière sous la direction de Stéphane Laforest, l’Orchestre symphonique de Québec sous la direction de David Bowser et l’Orchestre symphonique de Montréal dirigé par Charles Dutoit.

Très vite, le nom de Marin Nasturica devient associé à celui de phénomène de l’accordéon. « C’est un virtuose qui a le cœur au bout des doigts », affirme la journaliste Francine Grimaldi. « La performance de Marin Nasturica est imprégnée de virtuosité et de son sens musical inné. Il fait honneur à l’accordéon », affirmait Jacques Hétu. « Quel grand artiste ! Au sommet des sommets », affirme le musicien roumain Gheorghe Zamfir. « Je suis allé à Moscou, j’ai vécu un mois à Sarajevo, mais c’est à Montréal, en plein cœur de ma ville, que j’ai entendu la plus grande musique slave », affirme quant à lui Réjean Tremblay de La Presse.

La musique, de la grande musique

Outre la musique classique, Marin Nasturica maîtrise également la musique tzigane (en arrangement symphonique), la musique roumaine folklorique, la musique russe et le jazz, qui occupe une place primordiale dans la vie et la carrière du musicien. On le retrouve notamment dans les albums Tendresse et Passion, Jazz & Romance, Marin Nasturica Virtuose et Marin Nasturica & Friends. Ses nombreuses collaborations avec, entre autres, le contrebassiste Michel Donato font de lui un habitué du Festival de Jazz de Montréal, du Festival de Jazz de Québec ainsi que du Festival de Lanaudière. « En plus d’être de commerce agréable, Marin maîtrise une variété impressionnante de styles musicaux. Clairement, il est un virtuose de son instrument, il fait des trucs incroyables », affirme d’ailleurs le contrebassiste, qui a fait partie du trio formé de Nasturica et du pianiste géorgien Laurenti (Laurent) Djintcharadze et d’un quatuor avec les deux guitaristes Luc Fortin et Richard Léveillé.

Pierre Côté, James Gelfand, Richard Ring, Alain Labrosse, Éric Lagacé et Magella Cormier sont également quelques-uns des musiciens qui ont collaboré, à travers les années, avec Marin Nasturica, ainsi que David Oïstrakh, Louis Armstrong, Benny Goodman et Oliver Jones. Ce dernier n’a eu besoin que de quatre mots pour décrire Marin Nasturica : « Réellement un musicien merveilleux. »

Virtuose incomparable dont l’inspiration très riche puisse dans le répertoire folklorique ou tzigane aussi bien que dans la musique classique et le jazz, Marin Nasturica a démontré qu’il est l’un des grands. « Quand je joue, j’ai une grande force, affirme-t-il. C’est seulement à ce moment que je parle ma propre langue. » Cette langue, c’est celle de la musique, de la grande musique.


(c) La Scena Musicale 2002