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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 9 juin 2010

Jean-Claude Labrecque : cinquante ans de carrière

Par Roxana Pasca / 1 juin 2010


Version Flash ici.

Comment présenter un titan, un homme qui, grâce à sa caméra, a fait l’histoire du Québec ? Faut-il relater ses grands succès, tels Les Smattes, Les Vautours, À hauteur d’homme, Félix, Infiniment Québec ? Faut-il encore rappeler qu’il fut derrière le tournage de la mémorable visite du général de Gaulle au Québec, en 1967, et des Jeux Olympiques de 1976 ? Voici Jean-Claude Labrecque, un homme remarquable et attachant.

LSM : Jean-Claude Labrecque, la Cinémathèque québécoise a présenté une rétrospective de vos cinquante ans de carrière. Que ressentez-vous face à cet hommage ?

JCL : J’en suis fier. Je trouve même amusant de revoir mes films, dont je refais quelquefois le montage dans ma tête. De plus, cette rétrospective couvre une assez bonne période de ma carrière : Marie Uguay, Claude Gauvreau, Claude Léveillée, Félix Leclerc, etc. Donc, ce sont des films qui vont rester présents, car ils marquent une histoire.

Avez-vous l’impression que vous avez couru derrière l’histoire ou que l’histoire vous a rejoint, qu’elle a couru derrière vous ?

Je crois que j’ai juste suivi l’histoire en parallèle.

Après l’annonce de l’arrivée du général de Gaulle au Québec, en 1967, je me suis rapidement informé si l’ONF allait couvrir l’événement. Non. Québec ? Non. J’ai alors saisi l’occasion en démarrant moi-même ce projet.

Quant à Jeux de la XXIe Olympiade, l’ONF était celui qui devait, en principe, le produire. Mais si l’ONF ne le produisait pas, les Américains allaient débarquer en engageant l’ONF pour tenir la porte. Donc, j’ai participé à ce projet, car je sentais qu’il fallait que cela se fasse et que cela se fasse ici, au Québec.

Toutefois, je ne peux pas nier que j’ai aussi provoqué les événements, comme par exemple Les nuits de la poésie 1970, 1980 et 1990, qui sont devenus mythiques. Rappelons-nous seulement Michèle Lalonde qui lit Speak White. Ce furent des moments importants, des moments historiques. Cependant, encore une fois, je sentais la nécessité de le faire.

De plus, c’était une période où tout était possible. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile. La preuve, c’est que je n’arrive même pas à lever de terre le Moulin à paroles. Il y a quelques années, je démarrais un tel projet les yeux fermés, alors qu’aujourd’hui ce n’est pas faisable. Ça bloque de partout ! Donc, c’était une période beaucoup plus accessible et j’en ai profité, tout simplement.

Revenons un peu en arrière pour parler de vos débuts dans le monde du cinéma.

J’ai commencé à Québec en travaillant chez un photographe de quartier, Lefaivre et Desroches. J’y ai appris la chambre noire et les éclairages de studio. Tranquillement, j’ai commencé à photographier des mariages, des bébés, des grands-mères, des carnavals.

Néanmoins, je rêvais d’une seule chose : faire du cinéma. C’est à ce moment que j’ai été accepté comme assistant caméraman à l’ONF. Toutefois, à cette époque, ce travail consistait à déménager des boîtes et à conduire les autos. Donc, une job de bras. De plus, enthousiaste comme j’étais, j’acceptais tout ce que l’on me proposait, même ce que je ne savais pas faire. Conséquemment, je n’étais pas très bon.

Après une pause de deux ou trois ans, durant laquelle je suis allé travailler dans l’industrie privée, je suis revenu à l’ONF, mais en tant que premier assistant et j’ai commencé à tourner en tant que caméraman. Cette fois, je suis arrivé au bon moment, c’est-à-dire au moment des premiers films de Gilles Carle, d’Anne-Claire Poirier, de Don Owen, etc.

De plus, à cette époque, la camaraderie était formidable. Le groupe était important. Et si le groupe est fort, les individus sont plus forts. Lorsque j’enseignais à l’université, je disais toujours à mes élèves : « Quand vous faites un film, n’essayez pas d’aller chercher un ingénieur du son connu, un caméraman connu, mais faites-le avec votre groupe. Restez chez vous et vous allez être plus forts dans quatre ans. Si on va chercher un caméraman connu, on peut faire de belles images, mais pour le film d’après, il ne reviendra pas. Tandis que ton camarade, lui, il va revenir pour le film d’après et il va s’améliorer avec toi. »

L’ONF a été mon université, mon école. À cette époque, l’Office avait de meilleurs laboratoires, de meilleurs studios, un département de caméra formidable, une section de films scientifiques qui était dirigée par Wally Gentleman. Donc, il avait des forces étonnantes.

Vous avez fait la caméra pour un film sur le grand Michelangelo Antonioni. Parlez-moi de cette expérience.

Ce film a été fait par un jeune réalisateur, Gianfranco Mingozzi. Mais, comme dans toutes les belles histoires italiennes, le réalisateur était en conflit avec le producteur, et donc c’est moi qu’il a envoyé tourner les images à Rome. J’y ai passé un long moment.

Toutefois, un conflit est survenu entre Soraya (épouse du dernier shah d’Iran, Mohammed Reza Pahlavi) et moi. Soraya avait une très grande emprise sur le déroulement du film et, selon son contrat, aucun caméraman ne devait la filmer de l’angle gauche, car elle paraissait moins belle. Cependant, je suis arrivé sur le plateau comme un chien dans un jeu de quilles. Un jour, elle s’est fâchée contre moi en disant que si je n’arrêtais pas de la filmer de l’angle gauche, elle quitterait le studio. Cela a créé une commotion générale, 190 personnes m’ont regardé en me traitant de « Canadese » ! Antonioni m’a fait une de ces crises. C’était formidable !

J’ai donc quitté Antonioni pendant deux semaines et je suis allé sur le tournage de Fellini qui réalisait alors Giulietta degli spiriti. Un film merveilleux ! À cette époque, je ne savais pas où j’étais, mais j’étais là.

Vous êtes une légende du documentaire québécois tout en étant un grand réalisateur de fiction. Toute votre vie, vous avez alterné entre les deux. Aujourd’hui, en regardant en arrière, lequel a la priorité : le documentariste ou le cinéaste de fiction ?

Tous les films que j’ai faits, ils ont été basés sur un documentaire fort. Même les Smattes, film qui a nécessité la présence de comédiens, était plus documentaire que fiction. Je n’ai jamais fait un film totalement de fiction, ils ont toujours été basés sur des faits réels, comme L’Affaire Coffin. Donc, c’est le documentaire qui prend toujours le dessus. Il faut dire que c’était ma formation de base, j’étais beaucoup plus documentariste.

Vous faites allusion aux Smattes, votre premier long métrage qui vous a valu une invitation à la Quinzaine des réalisateurs. Est-ce que pour la carrière de Jean-Claude Labrecque, cette présence à Cannes fut importante ?

Oui, ma présence à Cannes fut importante, que ce soit pour Les smattes, Les vautours ou Les jeux de la XXIe Olympiade. Cela m’a permis d’agrandir mes connaissances cinématographiques et de faire de nouvelles rencontres. De plus, Cannes est un événement prestigieux qui procure une certaine fierté.

Vous venez de publier Souvenir d’un cinéaste libre, une sorte de survol de votre carrière. Comment on s’y prend, lorsqu’on a une carrière aussi immense, pour écrire un livre autobiographique ?

Ce livre a été écrit avec certaines contraintes comme, par exemple, celle de parler uniquement des films que j’ai réalisés. Les critiques m’ont beaucoup reproché le fait que je ne me raconte pas assez, il aurait fallu que j’en dise davantage. Toutefois, j’ai participé à beaucoup de tournages, non en tant que réalisateur, mais en tant que directeur de production, pour notamment Gilles Carle, Anne-Claire Poirier et Don Owen. Ce sont là des tournages mémorables durant lesquels tant de choses se sont passées. Donc, ce livre aura peut-être une suite.

Maintenant, après 50 ans de carrière, quels sont vos projets ?

Je travaille sur trois projets en ce moment. Le premier est un long métrage, Le fou du prince, qui porte sur un personnage d’Infiniment Québec, le prince Sixte de Bourbon-Parme. Le deuxième est un long métrage sur un pédiatre étonnant, délinquant et qui ne se gène pas pour dire ce qu’il pense. Le dernier est un projet de trois films d’une heure sur les salles de projection au Québec.


(c) La Scena Musicale 2002