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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 8 May 2010

Critiques / Reviews

Par/by Francine Bélanger, René Bricault, Frédéric Cardin, Éric Champagne, Alexandre Lazaridès, Norman Lebrecht, Claudio Pinto, Paul E. Robinson,  Camille Rondeau, Joseph K. So / May 1, 2010


Version Flash ici. / Flash version here.

MUSIQUE VOCALE

Bach Cantatas Vol 13
Joanne Lunn, Brigitte Geller, soprano ; William Towers, Michael Chance, alto ; Jan Kobow, ténor ; Dietrich Henschel, basse ; The Monteverdi Choir ; The English Baroque Soloist/John Eliot Gardiner
Soli Deo Gloria SDG162 (CD1: 65 min 19 s ; CD2: 69 min 3 s)

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Cet album est un bijou. La pochette qui en constitue l’écrin est d’une grande sobriété tout en étant d’une beauté émouvante. Comme le sont d’ailleurs toutes les pochettes de cette collection des cantates de Bach enregistrées lors d’une série de concerts donnés dans plus de 60 églises à travers l’Europe ainsi que trois concerts présentés à New York lors des festivités de Noël de l’année 2000. Le but de ce pèlerinage était de commémorer les 250 ans de la mort du compositeur. Il s’agit ici des cantates pour le premier et le quatrième dimanche de l’Avent, enregistrées à l’église St. Maria de Cologne et à l’église Michael de Lünebourg où le jeune Jean-Sébastien Bach, âgé de quinze ans, faisait partie de la chorale. Nul doute que jouer Bach pendant une année complète, dans des lieux historiques vibrants d’émotions, ne peut qu’ajouter à la compréhension de l’œuvre et donner encore plus d’intériorité à l’interprétation, au plus grand bonheur des auditeurs. Comme toujours, John Eliot Gardiner et le Monteverdi Choir ainsi que les English Baroque Soloists offrent des versions exceptionnelles. C’est un coffret dispendieux, certes, mais loin de la pacotille et des clinquants. Cette musique transcendante nous emporte avec elle sur le toit du Monde.   FB

Carl Maria von Weber : Der Freischütz
Arno Schellenberg, Heinrich Pflanzl, Margarete Teschemacher, Elfride Trötschel, Kurt Böhme, Lorenz Fehenberger, Sven Nilsson ; Chor der Staatsoper Dresden ; Staatskapelle Dresden/Karl Elmendorff
Profil PH07060 (CD1 : 63 min 36 s ; CD2 : 54 min 44 s)
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Cette réédition d’une production enregistrée à Dresde en 1944, quelques mois à peine avant la destruction presque totale du Semperoper sous les bombes alliées, a certes une valeur historique considérable. Plusieurs chanteurs de cette distribution méritent amplement d’être écoutés encore aujourd’hui, notamment les sopranos Margarete Teschemacher et Elfride Trötschel, respectivement en Agate et Ännchen, le ténor Lorenz Fehenberger,  en chasseur Max, et l’impressionnant Kaspar de la basse Heinrich Pflanzl. Toutefois, l’assez mauvaise qualité sonore des bandes disponibles ne peut que laisser deviner l’énergie et l’originalité de l’orchestre de Weber, le tout se fondant en une saturation presque constante. Les chœurs aussi sont assez difficilement audibles, encore suffisamment cependant pour qu’on y dénote une certaine indiscipline. Il est un peu difficile de se retrouver dans le livret du disque, joliment illustré, mais en allemand et en anglais seulement, l’information y étant assez mal organisée. Il y manque surtout l’essentiel : la traduction du texte chanté. L’absence sur l’enregistrement des passages parlés, où se déroule la majeure partie de l’action, rend un tel outil plus indispensable encore, vu que la succession d’airs et de chœurs présentée n’a aucune continuité possible. On appréciera cependant la scène fantastique du coulage des balles, où transparaît le mieux le génie de Weber.   CR

La Veillée Imaginaire : Airs populaires harmonisés, de Chopin à Canteloube
Françoise Masset, soprano ; Les Musiciens de Saint-Julien (Basile Brémaud, violon ; Anne-Lise Foy, vielle à roue et chant ; Françoise Tillard, piano ; François Lazarevitch, flûte traversière, cornemuse, chant et dir.)
Alpha 528 (64 min 38 s)
2/6  $$$

Recréer en musique une veillée champêtre à travers des transcriptions et harmonisations réalisées aux XIXe et XXe siècles par des musiciens de formation classique, telle est l’idée que poursuivent François Lazarevitch et les Musiciens de Saint-Julien dans leur dernier disque. Malheureusement, malgré d’assez bons moments et quelques chansons charmantes, qui amuseront toutefois probablement plus les petits que les grands, la soirée tombe à plat. La voix de Françoise Masset, qu’on admire dans l’opéra français du XVIIIe siècle, est déplacée et irritante dans ces chants traditionnels. La présence d’un piano parmi des instruments qu’on associe spontanément à ce répertoire, tels que la cornemuse et la vielle à roue, met franchement mal à l’aise, et la tentative de justification de ce choix donnée dans le livret n’y change rien. Mais surtout, ce disque ne fait absolument pas le poids à côté des deux magnifiques recueils de chansons de la France d’autrefois du Poème Harmonique, très semblables et parus ces dernières années dans la même collection. Là, la beauté envoûtante de complaintes portées par des voix raffinées et expressives côtoie l’ivresse de danses instrumentales endiablées. Rien de cela dans cette Veillée imaginaire, qui semble en avoir calqué la forme sans en saisir l’esprit, et qu’on oubliera bien vite.   CR

Ophélie : Lieder et Mélodies
Marianne Fiset, soprano ; Louis-Philippe Marsolais, cor ; Michael McMahon, piano
Atma classique ACD2 2628 (67 min)

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Le répertoire romantique regorge de lieder et de mélodies avec instrument « ajouté ». On n’a qu’à penser au répertoire pour voix, clarinette et piano, qui fut très populaire dans l’Allemagne du XIXe siècle. Pour ce récital, la soprano Marianne Fiset propose un répertoire où la voix se marie avec le cor. Les Gounod, Schubert, Berlioz, Richard Strauss et Donizetti côtoient d’autres créateurs moins connus, tels Lachner et Reissiger, dans un programme poétique et romantique où la tendresse pastorale anime l’ensemble du répertoire. À cela s’ajoute une pièce de Denis Gougeon, Ophélie, sur le célèbre poème de Rimbaud, qui a été spécifiquement écrite pour ces musiciens. Les interprètes font preuve ici d’une agréable finesse et d’une complicité palpable. Marianne Fiset est particulièrement à l’aise dans ce répertoire et la beauté de son timbre est des plus charmantes. Au cor, Louis-Philippe Marsolais déploie une sonorité ronde et chaleureuse qui est judicieusement bien équilibrée avec la voix. Michael McMahon est un accompagnateur hors pair et donne à son piano une couleur feutrée des plus délectables. Au final, il en résulte un très joli disque qui plaira assurément aux amateurs de musique vocale.   EC

Per Nørgård : Der göttliche Tivoli
Fabienne Jost, Andrea Stadel, soprano ; Sandra Rohrbach, mezzo-soprano ; Simone Tschöke, contralto ; Steffen Kubach, Hubert Wild, baryton ; Bernd Gebhardt, baryton-basse ; Dorian Keilhack, dir.
Dacapo 6.220572-73 (125 min)

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Né en 1932, le compositeur danois Per Nørgård s’est passionné pour la vie et l’œuvre d’Adolf Wölfi (1864-1930), peintre et écrivain suisse qui créa l’ensemble de son œuvre durant son internement à l’asile, ce qui lui vaut aujourd’hui d’être reconnu dans le monde de l’art brut comme un « génie fou ». Avec l’aide de nombreuses percussions, grands cris et bruits divers, Nørgård retrace les affres de l’aliénation mentale qui assaille l’esprit de son héros dans un opéra qui prend des allures de voyage au centre de la schizophrénie. Der göttliche Tivoli est une histoire pleine d’étrangeté et d’humour macabre, dépeinte musicalement par différentes esthétiques allant du baroque à la musique répétitive, le tout réuni avec un égal et surprenant bonheur. L’enregistrement, réalisé devant public au Stadttheater de Berne, traduit parfaitement la richesse de cet « opéra de fou ». La distribution vocale est époustouflante et incroyablement bien rodée, nous permettant de plonger avec plaisir dans cet univers déroutant mais indéniablement fascinant. Peut-être que l’œuvre aurait été mieux servie par une captation sur DVD, mais le présent enregistrement constitue néanmoins une très bonne approche de cet opéra iconoclaste. Un bémol d’importance, le livret ne contient pas de texte en français.   EC

Russian Romances : Joys and Sorrows
Eugène Osadchy, violoncelle ; Anastasia Markina, piano
Bolo Classique BSCD8010-2 (47 min 20 s)

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Voici un album qui n’attirera sans doute pas les regards sur les présentoirs de disques. La pochette semble sortie d’une collection d’enregistrements bon marché que l’on retrouve parfois à la pharmacie et le nom des interprètes est écrit tellement petit qu‘on pourrait croire qu’ils voulaient passer incognito. Il s’agit cependant d’un enregistrement de grande qualité. Le violoncelliste Eugene Osadchy, qui a fait lui-même les arrangements pour ce disque, est connu surtout aux États-Unis et dans l’Ouest canadien comme un musicien à la personnalité musicale bien définie. Il donne à son instrument une tonalité très riche, capable d’interpréter toute la gamme d’émotions que l’on retrouve dans la musique russe. Pour sa part, Anastasia Markina, native de Saint-Pétersbourg, n’en est pas à ses débuts puisqu’elle a déjà remporté de nombreux concours à travers le monde. Elle demeure maintenant aux États-Unis où elle poursuit ses études tout en continuant de briller sur les scènes internationales. Pour les amateurs de violoncelle et pour ceux qui aiment la musique nostalgique, c’est un bon choix.   FB

Schumann : Dichterliebe / Frauenliebe und -leben
Lotte Lehmann, soprano ; Marian Anderson, Kathleen Ferrier, contralto ; Aksel Schiøz, ténor ; Charles Panzera, Gerhard Hüsch, baryton ; Gerald Moore, Charles Panzera, Hanns Udo Müller, Paul Ulanowsky, Franz Rupp, Bruno Walter, piano
Music&Arts CD-1235 (2) (CD1 : 78 min 35 s ; CD2 : 62 min 42 s)

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Voici un concept nouveau dans le domaine des rééditions d’enregistrements anciens qui est appellé à faire école : la juxtaposition, sur un même album, d’une œuvre intégrale dans différentes interprétations. Ce format invite à une comparaison qui permet de dégager des constantes propres à une époque tout en cernant mieux les particularités de chaque musicien. Sur le premier disque, trois chanteurs, un ténor et deux barytons, interprètent le cycle Dichterliebe de Schumann. Sur le second, une soprano et deux contraltos livrent des versions très contrastées de Frauenliebe und –leben. Grâce à une restauration minutieuse, la qualité de ces enregistrements réalisés de 1935 à 1950 est plus que satisfaisante. Chacun aura sans doute ses préférences et ses réserves quant aux six chanteurs et autant de pianiste ; il y a fort à parier pourtant que la personnalité et le timbre d’une Kathleen Ferrier trouveront peu de détracteurs, et que la diction allemande pour le moins fantaisiste de Marian Anderson, en plus de ses tics vocaux appuyés, en feront pouffer plus d’un. Cet album est une source précieuse tant pour le musicien à la recherche des racines de son art que pour le mélomane désireux de découvrir de grands chanteurs du passé sous un éclairage intelligent.   CR

Schumann : Lieder
Bernarda Fink, mezzo-soprano ; Anthony Spiri, piano
Harmonia Mundi
HMC 902031 (62 min 56 s)

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Il y a deux ans, Bernarda Fink avait ému dans Schubert. Cette fois, dirait-on, elle semble se tenir sur le seuil de la demeure sans oser y pénétrer. La mélancolie souvent empreinte d’angoisse de Schumann échappe à son chant, toujours lumineux, certes, mais qui sied peu au clair-obscur dans lequel baignent la plupart des œuvres pour la voix du compositeur. Ainsi du premier lied de l’op. 39, In der Fremde (En pays étranger), où tant de schumanniens parviennent à déchiffrer un mystère indicible, celui de l’exil terrestre peut-être, et que Bernarda Fink déclame assez bizarrement d’une voix de tête. Une sorte d’uniformité recouvre les trente-trois lieder de ce programme plutôt hétéroclite. On y compte deux cycles, Gedichte der Königin Maria Stuart, op. 135, et Liederkreis, op. 39, et deux séries de lieder, d’abord six extraits de Myrthen, op. 25, ensuite dix compositions sur des poèmes de Friedrich Rückert (parmi lesquels se retrouvent d’autres lieder de Myrthen). Enfin, alors que la chanteuse bénéficiait d’un accompagnement soutenu dans ses précédents enregistrements, ici, son pianiste reste objectif, presque distant.   AL

Tenor Arias
Marc Hervieux, tenor; Orchestre Metropolitain/Yannick Nézet-Séguin
ATMA Classique ACD2 2618 (53 min 3 s)

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Marc Hervieux is the latest in a long line of fine tenors from Quebec. I first heard him as Rodolfo in La bohème for Opera Ontario about nine years ago, near the beginning of his career. In addition to opera, he has also established himself as a pop singer, a veritable household name in Quebec as a result of Starmania, which was seen in Montreal, Ottawa, Quebec City, Paris and Seoul. His dark-hued tenor with its warm, Italianate timbre is ideal in the verismo repertoire showcased on this disc, for example the arias from Cavalleria Rusticana, Pagliacci, L’ Arlesiana and Tosca. Hervieux sings with full-bodied tone and dramatic impact, a few very tight top notes notwithstanding. The tempo adopted by Yannick Nezet-Seguin leading his Orchestre Metropolitain is slow and somewhat wanting in dramatic urgency. The disc at 53 minutes is short, especially when three of the selections do not involve the tenor. A few more verismo arias, so well suited to Hervieux’s voice, would have been welcome. The booklet contains the usual artist bios and song texts, plus over a dozen candid photos of the recording sessions. This is an enjoyable disc, where the ingratiating vocalism of Marc Hervieux is in full display.   JKS

The Best of Thomas Quasthoff
Thomas Quasthoff, baryton-basse ; autres artistes
RCA Red Seal 88697 57143 2 (73 min 13 s)
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Cette compilation d’extraits présentés comme les meilleurs de la discographie du baryton-basse allemand Thomas Quasthoff comprend cinq lieder de Schubert, cinq de Schumann, trois airs de la Passion selon saint Jean de Bach et six airs et un duo de Mozart. Pas question ici d’établir un lien quelconque entre ces extraits de répertoire pour le moins disparates. Quasthoff cherche sans doute à séduire totalement l’auditeur grâce aux diverses facettes de sa voix exceptionnellement flexible et le pari est assez réussi. On a rarement entendu un Erlkönig qui glace le sang à ce point, et le plus rare Belsazar de Schumann n’est pas moins captivant. Dans ce répertoire où tout baryton risque de souffrir de l’ombre de Fischer-Dieskau, Quasthoff se taille une place honorable. Il chante les airs d’opéra de Mozart avec fraîcheur, de quoi faire regretter qu’il n’ait pu mener une grande carrière scénique. Les quelques ombres à ce disque sont Mondnacht de Schumann, étrangement faux pour un enregistrement en studio, l’air de concert Mentre ti lascio de Mozart, qui ne paraît qu’insipide et redondant, et les airs de Bach, d’un mielleux qu’on ne devrait plus avoir à endurer depuis quelques décennies déjà ; difficile de croire qu’un tel enregistrement date de 2004.   CR

MUSIQUE INSTRUMENTALE

Brahms : Piano Concerto no. 3 in D major after Violin Concerto, op. 77
Dejan Lazic, piano ; Atlanta Symphony Orchestra/Robert Spano
Channel Classics CCS SA 29410 (66 min 10 s)
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Je dois admettre certains scrupules éthiques face à ceux qui semblent préférer remanier inlassablement les classiques plutôt que promouvoir les créateurs contemporains. Cela dit, l’idée de transformer le Concerto pour violon op. 77 de Brahms en concerto pour piano s’avère loin d’être mauvaise, et un miracle inespéré pour les amateurs de Brahms peu attirés par la musique concertante pour violon. Il faut dire que l’exercice de transcription/recomposition par le pianiste lui-même a visiblement été fait avec sérieux et rigueur, puisque le résultat étonne par sa transparence et son naturel. Lazic y mord à pleines dents, avec un jeu costaud et viril (il en va de même pour les op. 4 et 79). Malheureusement, l’orchestre est sans saveur, ordinaire (pour ne pas dire coincé), et Lazic ne réussit pas à lier ses phrases de façon convaincante, affaiblissant d’autant plus une conception formelle sans direction dramatique. À défaut de mieux, on se contente du bien.   RB

Mozart : Symphonies nos 39 & 40
Freiburger Barockorchester/René Jacobs
Harmonia Mundi HMC 901959 (65 min 15 s)

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René Jacobs sait toujours surprendre. Rares sont ses interprétations qui laissent indifférent. Il y a les pour et il y a les contre. Cette version de deux canons du répertoire symphonique mozartien est fidèle à la réputation de concision et de vivacité du chef. Nous avons droit à un Mozart allumé, baroque, plein de coup d’arrêts et de départs sur les chapeaux de roue. Le menuet de la no 39 sera peut-être le plus surprenant. Le départ fait penser à une sinfonia extraite d’une cantate de Bach ! Les puristes grinceront des dents. Ceux qui aiment cette musique pour sa vitalité et son humanisme débridé en seront ravis. Votre humble serviteur y compris.   FC

Rachmaninov 4 – Medtner 2
Yevgeny Sudbin, piano ; North Carolina Symphony/Grant Llewellyn
BIS SACD-1728 (73 min 53 s)

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Les SACD hybrides sonnent parfois de façon ouatée lorsqu’ils sont lus en stéréo, avec des graves sans articulation. C’est ce qui semble se passer dans le présent enregistrement. Le Quatrième Concerto de Rachmaninov se déroule de façon étale, sans sursauts pour relancer le mouvement. Un chef mou et un orchestre désorienté semblent en cause plus que le soliste, lui-même un peu trop sage sans doute. Peter Rösel soutenu par le rigoureux Kurt Sanderling avait donné de cette œuvre une exécution galvanisante (Berlin Classics, 1996). Il faut croire que la musique pour piano de Medtner, lui-même pianiste réputé, donne plus de plaisir à l’exécutant qu’à celui qui l’écoute. Par un jeu incisif, Demidenko (Hyperion, 1992) parvenait à donner sens aux formules virtuoses qui fourmillent dans son Deuxième Concerto. Ce qui n’est pas le cas de Sudbin, non moins
virtuose, mais loin d’être aussi bien accompagné. Et c’est libéré de la tutelle de l’orchestre qu’il livre en fin de programme sa propre transcription de la célèbre mélodie Eaux printanières, de l’opus 14 de Rachmaninov, joué de façon inspirée.   AL

Sibelius, Prokofiev: Violin Concertos
Vilde Frang, violin; WDR Sinfonieorchester Köln/Thomas Søndergård
EMI Classics 50999 6 84413 2 6 (53 min 56 s)

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This is Norwegian violinist Vilde Frang’s debut recording. She is obviously a gifted young woman with flawless technique and a pleasing tone throughout the entire range of her instrument. The coupling of the Sibelius Violin Concerto and three humoresques with Prokofiev’s Violin Concerto No. 1 looks a little odd but David Gutman’s notes make some very convincing connections between the two composers. On the other hand, I have no idea what he means by “Sibelius’ use of unison (sic) cellos at the opening of the Third Symphony.”
The performance of the Sibelius concerto is largely impressive except for the last movement. Frang and Søndergård start way too fast – Allegro, ma non tanto – then have to slow down for the second subject at letter 3 before tearing off again at the faster tempo. The ending is exciting but it is also messy. The Humoresques have always struck me as fragments from a concerto that Sibelius never got around to writing. That makes them tantalizing but ultimately unsatisfying.   PER

MUSIQUE DE CHAMBRE ET SOLO

Armenian Chamber Music: Babadjanian, Kradjian, Khachaturian, Arutiunian
Amici Chamber Ensemble (Joaquin Valdepeñas, clarinette ; David Hetherington, violoncelle ; Serouj Kradjian, piano) ; Benjamin Bowman, violon ; Isabel Bayrakdarian, soprano
Atma classique ACD2 2609 (74 min 15 s)

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L’âme arménienne semble s’exprimer plus volontiers par la voix humaine et les instruments à vent, symboles d’une mélancolie enfouie au plus profond. La clarinette, entre autres, s’y prête bien, et ce n’est donc pas hasard si elle se retrouve ici dans quatre œuvres sur cinq,
l’exception étant le Trio pour piano, violoncelle et piano d’Arno Babadjanian. Cette composition aux accents souvent brahmsiens est imposante par ses dimensions et son souffle. La longue Élégie de Serouj Kradjian par laquelle il évoque et commémore le tremblement de terre qui a secoué son pays en 1988 émeut par sa sincérité. La soprano Isabel Bayrakdarian chante quelques trop brèves minutes une vieille berceuse (Oror de Ganatchian, dans un bel arrangement de Kradjian), encore célèbre dans sa communauté. Si le Trio pour violon, violoncelle et piano d’Aram Khatchatourian laisse une impression de virtuosité plutôt creuse, la Suite d’Aroutiounian en quatre mouvements est une fantaisie pleine de charme. Prise de son rapprochée dans une acoustique sèche.   AL

Carter: The Complete String Quartets 1-5
Pacifica Quartet
Naxos 8.503226 (199 min 37 s)

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La musique d’Elliott Carter est astringente. Ce remarquable créateur né en 1908 (il a eu 101 ans le 11 décembre dernier !) a écrit les partitions les plus difficiles à écouter du 20e siècle, et certaines des plus difficiles à interpréter. Robert Mann, premier violon du Quatuor Juilliard, raconte qu’il a fallu deux répétitions complètes uniquement pour maîtriser la première mesure du 3e Quatuor, au moment de sa création ! La maison Naxos a réalisé un bon coup en confiant au Quatuor Pacifica la lecture complète des quatuors du maître, réalisée dans les cinq dernières années, et dont voici l’intégrale enfin réunie en coffret. Le Quatuor Pacifica a donné ses lettres de noblesse à ce corpus de Carter, en les parcourant de manière exemplaire, relevant les défis techniques et interprétatifs avec brio. Le premier est la création époustouflante d’un compositeur de 40 ans, qui s’attaquait pour la première fois à ce genre parmi les plus intransigeants. Amalgame surprenant d’arrêts brusques et d’élans dynamiques haletants, il représente un défi d’endurance pour les musiciens. Notons aussi le troisième, un monument de complexité où les musiciens sont divisés en deux duos opposés. On dit que le mouvement minimaliste est en partie né en réaction contre ce genre de musique. Soyez avertis. En prime dans ce coffret, un DVD présentant une entrevue avec le compositeur. Difficile, certes, mais essentiel à toute discothèque sérieuse qui se respecte.   FC

Hommage à Chopin
Jonathan Plowright, piano
Hyperion 67808

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À l’occasion du 200e anniversaire de Chopin, la maison Hyperion a publié un recueil de pièces de compositeurs ayant rendu un hommage personnel au génie polonais. Le jeune pianiste britannique Jonathan Plowright, gagnant du prix d’Europe, livre ici sa vision à la fois savante et poétique de ces morceaux peu connus du répertoire pour piano. À lui seul, ce disque témoigne du culte que plusieurs grands noms de la musique ont voué à Chopin et en cela il présente un intérêt réel. Les morceaux les plus prenants sont les Dix variations sur le Prélude en do mineur de Chopin de Busoni, le Souvenir de Chopin de Honegger, mais surtout les Douze Variations sur un thème de Chopin de Federico Mompou, œuvre étonnante dont le matériau de base est le Prélude en la majeur de l’opus 28 de Chopin. D’autres morceaux tels que l’Hommage à Chopin de Franz Bendel, qui fut l’élève de Liszt, ainsi que d’autres pièces de compositeurs moins connus comme Benjamin Godard et Theodor Leschetizky complètent le recueil. Le jeu de Jonathan Plowright est clair et franc, sensible à la coloration, laissant respirer la poésie de ces œuvres. Servi par une prise de son équilibrée, ce disque s’avère un achat plus qu’intéressant pour les amateurs de la musique de Chopin.   CP

Horowitz the Legendary Berlin Concert 18th May 1986
Vladimir Horowitz, piano
Sony Classics 88697604812 (CD1 : 48 min 18 s ; CD2 : 42 min 38 s)

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En 1986, après cinquante-quatre ans d’absence, Vladimir Horowitz retourne à Berlin pour la première fois. À quatre-vingt-deux ans, il se présente devant un public déjà conquis, qui l’écoute dans un silence religieux pour ensuite exploser littéralement de joie et d’enthousiasme. Ce coffret de deux CD témoigne de cet événement historique. Pour cette raison seulement il vaudrait la peine de se le procurer. Mais il est plus que cela. C’est une rencontre avec une légende. Sa parfaite maîtrise de la technique lui permet de jouer comme si tout était facile et l’auditeur se laisse emporter par l’émotion pure. De Scarlatti avec qui il débute le concert à Moszkowski en passant par Schumann, Rachmaninov, Liszt, Chopin et Scriabine, sa palette de couleurs est immensément riche. Il se dégage de son jeu une force magistrale lorsqu’il joue la Polonaise par exemple, mais aussi une délicatesse absolue lorsque ses doigts semblent voler sur le piano en l’effleurant à peine.En prime, le livret qui accompagne les CD présente une biographie de Vladimir Horowitz, des photos et des témoignages de gens qui l’ont connu et ont eu le bonheur d’assister à cette représentation légendaire.   FB

Mykola Suk plays Franz Liszt piano favorites
Mykola Suk, piano
Music & Arts CD-1234 (79 min 15 s)

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C’est un réel défi pour un pianiste d’interpréter les œuvres pour piano de Franz Liszt. Ce défi a été relevé de façon magistrale par Mykola Suk, salué par les critiques comme possédant un talent exceptionnel, dégageant par son jeu un mélange de poésie et de force incroyable. Né à Kiev
en 1945 et diplômé du Conservatoire de Moscou, il émigra en 1990 aux États-Unis où il est professeur associé à l’Université du Nevada à Las Vegas. Gagnant du premier prix et de la médaille d’or du Festival Liszt- Bartók de Budapest en 1971, il a mis du temps à se faire reconnaître comme un grand pianiste. Sa lecture personnelle de Liszt était mal perçue et on le considérait un peu comme un cheval rétif difficile à dompter. En 2008 cependant, il reprit en concert la Sonate en si mineur avec une nouvelle approche qui subjugua ceux qui l’avaient entendu quelques années auparavant. Ce fut la consécration. Il a réussi à intérioriser la musique de Liszt, poussant son interprétation à la limite de l’improvisation ; il joue bien sûr les notes écrites par Liszt, mais en prenant quelques libertés dans les tempos, la pédale, la touche, et donne à l’œuvre tout son sens dramatique. Il croit que le compositeur ne pouvait mettre sur papier toute l’émotion contenue dans sa musique et que c’est à l’interprète d’en comprendre et d’en faire ressortir le sens. C’est pourquoi il est considéré par la critique américaine comme le plus grand interprète de Liszt de notre époque. Les cinq pièces de l’album ont été enregistrées sur une période de quatre ans lors de récitals dans le cadre de festivals au collège Mannes de New York.   FB

Now would all Freudians please stand aside: Bach, Busoni, Beethoven – Piano Recital
James Rhodes, piano
Signum Classics SIGCD185 (77 min 09 s)

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Few pianists can change the sound of a concert grand without tampering with its insides, as John Cage did, or adopting an eccentric regime in the manner of Glenn Gould. James Rhodes, bookmark the name, does it without resorting to gimmickry. His sound, from the opening of the Bach Toccata in Ferruccio Busoni’s transcription, cannot be mistaken for that of any other pianist, alive or dead. It is confrontational, brittle, intermittently seductive. Further adjectives are superfluous and potentially misleading. The sound is what it is, like it or not. My personal reaction veered from curiosity to irritation to wonderment and all the way back again. Rhodes, whose last record was titled Razor blades, little pills and big pianos, has a turbulent psychiatric history and no formal music education. He is 34 years old and has just been signed by the rock division of Warners, more for his attitude than for the music he plays, which is irreproachably classical. The Bach pieces here ring true and the Beethoven Sonata, No. 30, Op. 109, is done without excessive introspection. If anything, it is a little underdone, too matter-of-fact for comfortable listening, a tad lacking in tenderness. Nevertheless, it clings to the ear long after the final note and the residue is by no means unpleasant. There is an original talent at work on this piano, and we are going to hear much more of it.   NL

Shostakovich – Schnittke : Piano Trios
Kempf Trio (Freddy Kempf, piano ; Pierre Bensaid, violon ; Alexander Chaushian, violoncelle)
BIS SACD-1482 (69 min 33 s)

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L’auditeur restera assurément perplexe face à cette demi-réussite. Certes, le Trio Kempf se montre capable d’une grande intensité (comme en témoigne le climax du dernier mouvement du second Trio de Chostakovitch), mais celle-ci n’est ni assez soutenue ni toujours présente lorsque nécessaire. Le manque de cohésion se pointe dès le début du programme dans les rythmes et à la fin dans la dynamique – pour ne citer que les exemples les plus frappants. Notons également que le Trio de Schnittke est en fait un arrangement de son Trio à cordes, et cela pose problème dans la mesure où les textures, densités et degrés de dissonance ont initialement été pensés en fonction de l’intimité homogène du trio à cordes. En version trio avec piano, l’auditeur ressent une dissonance exagérée par rapport à l’« épaisseur » instrumentale, en tenant compte du timbre et des nécessaires compléments harmoniques au piano. S’il s’agissait de l’unique version endisquée du Trio no 2 de Chostakovitch, seule œuvre vraiment importante, l’offrande resterait plus qu’acceptable ; mais pour le prix et vu la forte compétition, sans doute vaut-il mieux aller voir ailleurs.   RB

Sol Gabetta
Sol Gabetta, violoncello; Kammerorchester Basel/Sergio Ciomei
RCA Victor Red Seal 88697547812 (68 min 54 s)

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Sol Gabetta is a 29-year-old cellist from Argentina. She has won several major competitions and this is already her third recording for RCA. The programme on this CD is unusual. We have the rarely heard Cello Concerto in D major by Leopold Hofmann, a contemporary of Haydn and Mozart, Haydn’s familiar D major Cello Concerto and an arrangement for cello of Mozart’s Flute Concerto in D major, K. 314. In all three works Gabetta displays a phenomenal technique and a beautiful tone. The Basel Chamber Orchestra plays well and is directed from pianoforte by Sergio Ciomei. The use of a pianoforte instead of a harpsichord is a nice touch; it means that one can actually hear what is being played on the keyboard. The Mozart Flute Concerto was actually transcribed for cello by conductor George Szell. But Szell thought the slow movement didn’t suit the cello at all and substituted another Mozart piece. Ciomei begs to differ and comes up with his own transcription of the slow movement of the flute concerto. The Szell/Ciomei transcription is worth a listen but it seems to me that the piece is far more effective in its original version for flute or oboe; the cello plays mostly in its middle register and is easily covered by the orchestra. The audio quality is less than ideal. It lacks definition, especially in the bass.   PER

5X3
Trio Fibonacci (Julie-Anne Derome, violon; Gabriel Prynn, violoncelle; Anna D’Errico, piano)
Centredisques CMCCD 15710 (63 min)

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Un excellent disque ! Voilà une belle illustration de ce dont sont capables les musiciens d’ici. Certes, les compositions ne se montrent pas sans influences notables : B. A. Zimmermann pour Le projet Mozart de Lesage, Xenakis pour Tricycle de Llugdar, un certain Messiaen pour le Trio avec piano de Harman, voire Schnittke pour les Quark Tropes de Frehner. Cela ne les empêche pas pour autant d’imposer le respect dû à un grand art, au sens le plus noble du terme. Il n’y a que la toujours surprenante Ana Sokolovic pour sortir encore une fois du lot, avec un éclectisme qui semble être le plus important apport à la musique de sa génération, celle qui voit au-delà du postmodernisme et de la « nouvelle complexité ». De plus, le Trio Fibonacci s’est visiblement donné beaucoup de peine pour offrir aux compositeurs et aux mélomanes de véritables versions de référence : précision extrême, techniques parfaitement maîtrisées, émotion communicative. Une chance, car rares sont les œuvres locales enregistrées plus d’une fois – ou même une seule ! À insérer illico dans la liste des disques canadiens de l’année.   RB

DVD

Birtwistle : The Minotaur
John Tomlinson, Johan Reuter, Christine Rice, Magnus Staveland, Sunhae Im, Alexandrina Pendatchanska, Andrew Watts, Philip Langridge ; The Royal Opera Chorus ; The Orchestra of the Royal Opera House/Antonio Pappano ; Stage Director : Stephen Langridge
Opus Arte OA BD7052 D (180 min)

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Le compositeur Harrison Birtwistle (né en 1934) peut être l’un des compositeurs contemporains les plus difficiles à « digérer ». Sa musique ne laisse aucune place au compromis, et pour le commun des mortels, l’écoute d’une de ses œuvres sur disque peut représenter un défi insurmontable. Mais bien que la musique de l’opéra The Minotaur (créé en 2008 à Covent Garden à Londres) ne fasse pas de cadeau au Zeitgeist de « néo-accessibilité » ceci ou cela, l’avantage que procurent la mise en scène soignée, les décors épurés mais spectaculaires et l’éclairage subtil de cette production acclamée par la presse internationale n’est pas à négliger. L’histoire du monstre mythique mi-homme mi-taureau est bien connue, mais elle inspire ici une réflexion captivante sur l’identité et l’image de soi. L’orchestre de Birtwistle fait usage d’une impressionnante quantité d’instruments à percussion, qui relatent avec éclat la trame dramatique de l’œuvre. Chez Birtwistle, malgré la violence de l’écriture, la voix règne en maîtresse absolue. L’orchestre accompagne et transpose la substantifique moelle du livret de David Harsent, au demeurant brillant et raffiné. Une œuvre à découvrir absolument, et qui plus est dans une glorieuse qualité visuelle. Pour ceux qui n’ont pas froid aux oreilles.   FC

Opéra Féerie : l’eau qui danse, la pomme qui chante et l’oiseau qui dit la vérité
Jean Maheux, Marianne Lambert, Marie-Annick Béliveau, Michèle Motard, Scott Belluz, Taras Kulish, Sylvain Paré, Claudine Ledoux, Stéphanie Pothier, Anne Saint-Denis, Julien Patenaude, Philippe Martel ; Nouvel Ensemble Moderne/Lorraine Vaillancourt
Mise en scène : Robert Bellefeuille
Chant Libres CL 2010 (2 h 15 min)

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La création à l’automne 2009 de l’opéra de Gilles Tremblay sur un livret de Pierre Morency a été certainement l’un des événements d’importance de la saison hommage à ce grand compositeur d’ici. Si l’œuvre n’a pas fait l’unanimité chez les critiques, soulevant des réactions de toutes sortes, il faut néanmoins réaffirmer l’importance et le courage d’une telle production. Cette captation, réalisée en direct au Monument-National de Montréal lors de la création, documente à merveille cette production et permettra assurément une plus large diffusion de l’œuvre. Techniquement correct, ce DVD nous permet de revoir une production bien rodée, aux magnifiques costumes et à l’ingénieuse mise en scène. La prise de son est tout à fait satisfaisante et nous permet d’apprécier la distribution vocale où se démarquent Marianne Lambert, Marie-Annick Béliveau, Michèle Motard et Claudine Ledoux. L’auditeur pourra se forger lui-même son appréciation de cette œuvre somme toute unique en son genre. En complément, un documentaire sur la production qui se résume en une entrevue avec le metteur en scène et des séquences filmées lors des répétitions. On aurait aimé en avoir plus de ce côté !   EC


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