Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 15, No. 8 mai 2010

Les Aventures de Madame Merveille !! une BD en 3-D

Par Lucie Renaud / 1 mai 2010


Version Flash ici.

La littérature, qu’elle soit déclinée en poèmes, nouvelles, romans ou pièces de théâtre, stimule les compositeurs depuis des siècles. Mais s’inspirer de bandes dessinées pour créer un opéra ? Ce mois-ci, deux organismes tentent de prouver que le neuvième art pourrait bien être celui qui insufflera un vent de renouveau à ce genre quatre fois centenaire.

Vous souvenez-vous de ces après-midis paresseux quand, enfant, vous passiez des heures dans votre chambre à feuilleter des albums de bandes dessinées ? Un peu au hasard, vous en choisissiez un, vous vous laissiez happer par une péripétie de votre super héros préféré, rêviez que vous endossiez son justaucorps et sauviez le monde ? Voilà un peu ce que propose l’Ensemble Contemporain de Montréal avec Les Aventures de Madame Merveille, qui comprend quatre histoires originales, chantées, mises en scène, illustrées, projetées sur écrans tantôt opaques, tantôt translucides. « Tout adulte a entretenu une relation privilégiée avec un personnage de bande dessinée ou autre », croit la librettiste Cecil Castellucci, auteur de nouvelles, de romans pour jeunes adultes, de bandes dessinées… et de chansons punk. « Les romans graphiques semblent de plus en plus populaires et les bandes dessinées sont devenues tendance. On n’a qu’à penser aux récentes productions qui font revivre les X-Men, Iron Man et Batman. En tant que société, nous sommes maintenant plus à l’aise avec la stimulation visuelle. » Elle a donc choisi quatre genres bien typés qui se complètent et se répondent parfois, qu’elle a ensuite agencés en un tout cohérent.

Dans le premier acte, on retrouvera un récit classique illustré par Cameron Stewart, mieux connu pour ses planches de Batman & Robin, dans lequel une superhéroïne (Madame Merveille, alter ego d’une sage bibliothécaire) devra lutter contre des forces diaboliques. Le deuxième acte aborde le roman graphique sentimental, genre très prisé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Sommet d’un triangle amoureux typique, Catherine aura à choisir entre deux hommes, l’un plus sérieux, l’autre aventurier. Michael Cho, qui dessine notamment pour Random House et Penguin Books, proposera une palette monochrome, parfois onirique, pour soutenir le propos. On plonge dans l’univers de la bande dessinée pour enfants classique avec François, troisième segment aux couleurs pastelles, signé Pascal Girard, lauréat du prix Réal-Fillion du Festival de la bande dessinée francophone de Québec en 2006 pour ses albums Dans un cruchon et Nicolas. La soirée se conclura par une histoire d’anticipation, dans laquelle le Dr Klexx fuit une planète en guerre perpétuelle pour découvrir les charmes de notre Terre. Scott Hepburn, membre du collectif canadien TX Comics, offrira son coup de crayon unique à ce voyage interstellaire aux multiples rebondissements.

Même si elle est bilingue, Cecil Castellucci a d’abord travaillé son scénario en anglais, avant d’en faire parvenir une première ébauche au compositeur André Ristic, collaborateur de longue date de l’ECM+. Elle s’est ensuite mise à la traduction, pour constater que le rythme des mots s’avérait entièrement autre en français. « Je n’avais pas encore entendu la musique, explique-t-elle, mais j’étais confiante de pouvoir transmettre les subtilités de l’histoire, avec le soutien des autres éléments de la production. Et, il faut l’admettre, pour un auteur, c’est excitant de pouvoir lâcher prise sur ses mots et je n’étais pas intimidée à l’idée qu’ils deviennent musique ou soient permutés. »

Une fois le canevas, relativement minimaliste, tissé, André Ristic a réfléchi aux moyens à mettre en place pour habiller le livret et permettre au spectateur de s’approprier cet univers particulier : « Je souhaitais une lecture vivante du texte, que l’opéra devienne un immense album de bandes dessinées dont on tourne les pages, un livre vivant. » Il admet avoir usé d’un peu d’ironie (par exemple en faisant s’exprimer le facteur du troisième acte en faux japonais, clin d’œil aux mangas), de beaucoup d’exagération, de répétition de motifs et de réutilisation de certains sons échantillonnés. La part belle a été offerte aux cordes et à une rythmique forte, asymétrique, associée à la danse, a été privilégiée. « André Ristic est extraordinaire d’inventivité et certainement l’un des compositeurs les plus habiles pour soutenir un rythme haletant, maintient Véronique Lacroix, qui assume la direction artistique et musicale du projet. Il est un compositeur à surprises et il a ainsi pu déployer les nombreux tours de son sac. »

Le plus grand défi restait l’orchestration de la vidéo, afin que les différents plans perçus par le public, tant visuels et musicaux que scéniques, se complètent sans s’étouffer. Marie-Josée Chartier a ainsi opté pour une mise en scène relativement sobre, adaptée au contexte de la bande dessinée, dans laquelle les chanteurs deviennent des acteurs doublant un film. « Il fallait pouvoir reproduire en émotion, en voix et en gestes le propos exprimé, précise Véronique Lacroix, résoudre les chemins pour que cela paraisse un tout, trouver un espace commun pour harmoniser les quatre histoires. L’essentiel est de maintenir un sens du rythme, de tenir le spectateur en haleine et de trouver le bon dosage d’images qui colleront à la musique. » La chef devra-t-elle faire appel aux pouvoirs surnaturels de Madame Merveille ou du Docteur Klexx pour y parvenir ? Vous le saurez si vous vous glissez en salle.


Maison de la culture Frontenac, 6 et 7 mai
Billetterie et renseignements : 514-524-0173

 


(c) La Scena Musicale 2002