Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 15, No. 7 avril 2010

Le théâtre et les formes au Festival TransAmériques

Par Nathalie de Han / 1 avril 2010


Version Flash ici.

Comme une lame de fond, le Festival TransAmériques déferle chaque année sur la ville de Montréal, entraînant dans un fabuleux raz-de-marée les fervents de danse et de théâtre. Du 27 mai au 12 juin, l’édition 2010 versera sur la cité un torrent de créations et mêlera dans ses eaux vingt-six spectacles d’artistes phares en provenance de vingt-quatre villes et quatre continents. La très attendue tétralogie de Wajdi Mouawad LE SANG DES PROMESSES et la trilogie d’Ivo van Hove TRAGÉDIES ROMAINES sont des douze productions qui forment le vif théâtral de la programmation du festival.

Un esprit de résistance traverse cette quatrième édition du FTA. Marie-Hélène Falcon, directrice artistique et générale du Festival TransAmériques, poursuit en effet son engagement envers les artistes qui nomment courageusement leur époque. Ils dénoncent l’oppression, l’obscurantisme, la perte d’identité qui ne cessent de surgir dans le monde, et scandent le droit fondamental à la différence. Des artistes emblématiques et d’autres moins connus du grand public mais tout aussi stimulants rendent ainsi compte de notre ère et poussent toujours plus loin réflexion et recherche de formes nouvelles, visitant des registres aussi épiques ou poétiques que politiques.

Le ton sera donné par la plus grande compagnie théâtrale des Pays-Bas, Toneelgroep Amsterdam. « C’est un théâtre fort, important pour notre époque », explique Marie-Hélène Falcon. TRAGÉDIES ROMAINES éclaire, par le truchement de Shakespeare, les mécanismes actuels du pouvoir et les formes que privilégie Ivo van Hove projettent dans notre siècle Coriolan, Jules César et Antoine et Cléopâtre, installant ces trois tragédies romaines dans un centre de congrès ultramoderne.

« Le FTA accompagne les artistes dans leurs avancées et dans leurs découvertes », poursuit Marie-Hélène Falcon, revenant sur l’importance de formes nouvelles au théâtre. Philippe Quesne, de la compagnie parisienne Vivarium Studio, clame dans cet esprit la première nécessité de l’acte créateur. La compagnie sonde les paradoxes de l’humain et propose, avec la pièce faussement ingénue L’EFFET DE SERGE, un théâtre exploratoire et iconoclaste. Avec DOMAINE PUBLIC, le Catalan Roger Bernat démontre lui aussi que la recherche formelle n’implique pas systématiquement l’abstraction. Il équipe d’abord chacun des « spect-acteurs » d’un casque d’écoute. Ceux-ci répondent ensuite aux questions qu’ils entendent par des gestes qui ont été auparavant bien établis. Sans l’aide de la convention du personnage ou celle du texte, ils élaborent des scénographies renouvelables à l’infini.

Le FTA accueille cette année deux spectacles de la compagnie mexicaine Lagartijas tiradas al sol. Les jeunes Luisa Pardo et Gabino Rodriguez tentent un théâtre propre à la réalité de leur génération. ASALTO AL AGUA TRANSPARENTE est le récit du désastre écologique de l’irrigation forcenée des lacs de Mexico. La neutralité formelle de ce théâtre factuel laisse poindre une poésie sans ostentation. Le solo CATALINA montrera une autre facette du travail du tandem.

« La découverte n’exclut pas la fidélité et il faut, lorsqu’un artiste est important, donner une juste idée de son univers », reprend Mme Falcon. Conséquemment, Alvis Hermanis, qui présentait l’an dernier au FTA The sound of silence, sera de nouveau l’invité du festival. Le Nouveau Théâtre de Riga propose cette année SONIA, un cruel conte pour adulte. Autre retour, celui de la compagnie Vancouver Theatre Replacement qui avait, l’an passé, emballé le public avec Bioboxes et WeeTube. L’insolite THE GREATEST CITIES IN THE WORLD s’inscrit dans la démarche quasi ethnographique qui est la leur. Le Torontois Tony Nardi poursuivra pour sa part “…AND COUNTING!” en dénonçant cette fois dans le cadre du FTA les compromissions du milieu artistique.

Le FTA présentera bien entendu des créations d’artistes d’ici. Le metteur en scène montréalais Jérémie Niel, directeur de la compagnie Petrus, a adapté le roman Terres et cendres de l’Afghan Atif Rahimi. Il a invité le cinéaste Denis Côté (Les états nordiques, Carcasse) à collaborer à la création de CENDRES, l’histoire tragique de trois hommes qui survivent au bombardement de leur village. Claude Poissant du Théâtre PàP compte déployer pour cinq comédiens THE DRAGONFLY OF CHICOUTIMI de Larry Tremblay, un rôle créé par Jean-Louis Millette il y a quinze ans au festival. L’histoire de ce Québécois unilingue de Chicoutimi qui se réveille en parlant anglais demeure pertinente en ces temps de mondialisation.

Enfin, le très international Wajdi Mouawad reviendra au festival fermer la boucle du cycle de la saga LE SANG DES PROMESSES, ouverte en 1997 avec la création de Littoral. « Je suis un enfant du FTA », déclarait l’auteur et metteur en scène lors de ses débuts au festival. Les trois premiers volets du quatuor – Littoral, Incendies et Forêts – conduiront la quête de leurs personnages à la recherche des origines dans un labyrinthe de mythes anciens, le temps d’une seule et unique représentation qui sera certainement un événement incontournable du festival. Les spectateurs et les personnages seront, pour le suspense du dernier volet CIELS, captifs du même lieu. Wajdi Mouawad situe CIELS dans un univers formaté par les événements du 11 septembre et dénonce le poids des fantômes de nos pères. « Le théâtre est un état d’esprit », rappelle l’artiste qui, au retour de la tournée française de la tétralogie, brûle « d’arrêter tout cela » et d’écrire dans la solitude, une fois son mandat au théâtre français du Centre National des Arts complété.

Une journée pour Haïti sera le fier point d’orgue du festival. Martin Faucher, Brigitte Haentjens et Denis Marleau mettront en lecture les trois monologues de l’adaptation théâtrale que José Pliya a tirée d’Amour, colère et folie, le roman de l’auteure haïtienne Marie Vieux-Chauvet. Les artistes participent tous à ce formidable projet à titre gracieux et toutes les sommes recueillies lors de cette journée seront versées au Centre d’étude et de coopération internationale. Avis aux amateurs : d’avantageux forfaits sont en vente, en quantités toutefois limitées. Des rencontres avec les artistes Wajdi Mouawad, Claude Poissant, Philippe Quesne, Larry Tremblay, Ivo van Hove sont aussi à inscrire à nos agendas de festivaliers.


(c) La Scena Musicale 2002