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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 7 avril 2010

Sur les traces de Gabor Szilasi

Par Julie Beaulieu / 1 avril 2010


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Les traces de l’homme m’intéressent au plus haut point, que ce soit l’architecture ou des intérieurs ou simplement une rue, une enseigne. Il doit y avoir un lien entre la nature et l’homme dans mes photographies.

Gabor Szilasi, 1980, Un parcours

Né en 1928 à Budapest, en Hongrie, Gabor Szilasi développe un intérêt marqué pour la photographie après avoir été forcé d’interrompre ses études en médecine. Son nom se retrouve sur la liste noire dès 1949 alors qu’il tente d’échapper au régime communiste en fuyant son pays. Il sera malheureusement intercepté aux frontières, puis jeté en prison pendant cinq mois. Ce n’est que quelques années plus tard, soit en 1957, que Szilasi réussit enfin à quitter la Hongrie. Muni d’un visa canadien, il débarque à Halifax à l’âge de 29 ans. Il vivra près de deux ans à Québec avant de s’installer définitivement à Montréal. C’est dans une galerie d’art montréalaise qu’il fera la rencontre de sa femme, Doreen Lindsay, venue de London (Ontario) pour le travail, et avec qui il partage toujours sa vie.

C’est au service de l’Office du film du Québec, organisme gouvernemental de l’époque dont les documents visuels couvrent la période allant de 1922 à 1976, que Szilasi participe à la documentation visuelle de la belle province. Dans son travail, il sera amené à utiliser différentes techniques, dont les grands formats. Par la suite, en tant qu’artiste indépendant, Szilasi réalisera une série de clichés pour des musées et des artistes, dont des sculpteurs. En parallèle avec ses projets personnels, il débutera une carrière en enseignement au Cégep du Vieux-Montréal en 1970, qui s’échelonnera sur une décennie. En 1980, il quittera le cégep pour rejoindre les rangs des professeurs de la Faculté des beaux-arts de l’Université Concordia où il enseignera la photographie pendant quinze ans.

Un regard

Szilasi n’a jamais été intéressé par la photographie de paysage, de ces paysages vierges selon son expression, lesquels sont évidés de ses personnages – de ses habitants : « Mes intérêts de base en photographie ont toujours été les gens, les êtres humains. » Les paysages, ou plutôt les environnements, s’avèrent d’intérêt pour l’artiste dès lors qu’ils se trouvent investis par des femmes, des hommes et des enfants. C’est-à-dire peuplés par des gens qui y inscrivent leurs us et coutumes, et ainsi les transforment, les sculptent à leur image : « J’étais très préoccupé par les changements sociaux », ajoute Szilazi. Et par conséquent par les variations et modulations du tissu social en constante évolution, qu’il a su observer et étudier en profondeur à l’aide de son objectif.

Le regard ethnographique que pose Szilasi sur l’architecture vernaculaire, celle-là même qui caractérise les villages québécois de l’époque, témoigne de son amour pour le Québec. Ses séries de clichés sur la Beauce, l’Abitibi, le Lac Saint-Jean et notamment sur Charlevoix, qui lui ont valu sa réputation internationale, demeurent les témoins d’une connaissance approfondie du Québec comme de sa culture, qui est sans aucun doute à la hauteur de son affection pour les « petites gens d’ici ». C’est d’ailleurs de l’intérieur, parce que sur les traces de ces gens du pays, comme disait Gilles Vigneault, désormais immortalisés en noir et blanc, que s’est construit l’univers réaliste du photographe.

Une œuvre

Pour le cinéaste Pierre Perrault, créateur de la célèbre trilogie sur l’Île-aux-Coudres et des cycles abitibiens, le devoir de mémoire demeure capital. Dans sa démarche artistique, Szilasi insiste aussi sur l’importance de documenter le temps présent : « Je crois que les choses doivent être documentées dans le présent, parce que tout change, tout est dans un devenir perpétuel. La plupart des sites dans la série de la rue Sainte-Catherine ou les personnes qui vieillissent ou les paysages urbains qui changent – tout cela doit être photographié maintenant. » (1997) Préserver la mémoire, c’est-à-dire faire l’archivage de ces petits moments qui façonnent le quotidien des gens d’ici, à l’exemple de Réjeanne et Gaétan Garon devant le restaurant Bellevue, Saint-Joseph-de-Beauce, Beauce (juin 1973), voilà ce qu’a fait Szilasi avec son objectif documentaire. Et tout comme Szilasi, Perrault s’intéressait d’abord à l’humain : « Mes films ne sont pas politiques. Ce sont des outils de réflexion, le matériel nécessaire à la reconnaissance de l’homme d’ici. » (La Patrie, 25 juillet 1971) Szilasi s’est d’ailleurs intéressé lui aussi à Marie Tremblay, femme d’Alexis Tremblay et « personnage » des films de Perrault, qu’il a immortalisée dans sa chambre, debout près de sa commode. Sur le bureau, un portrait d’elle dans la beauté de sa jeunesse, signe du temps qui passe comme les sillons sur le visage de la vieille dame.

Szilasi a travaillé presque exclusivement la photographie en noir et blanc, un choix esthétique qu’il justifie d’emblée par le caractère abstrait qui s’en dégage, particulièrement lorsqu’il s’agit du portrait. Il ne s’intéresse pas à l’architecture officielle, par exemple aux monuments, mais plutôt à la culture populaire, seul réel monument érigé à la mémoire de ces femmes, hommes et enfants qui ont façonné le Québec que nous connaissons maintenant. Ce sont eux, les sujets de la composition, littéralement encadrés dans leurs environnements respectifs, et ce faisant liés à leur classe sociale, qui ont su à l’époque toucher le cœur de l’artiste – et son objectif.

« Mes sujets en photographie sont en réalité la vie quotidienne, essentiellement les gens et leur environnement, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, et c’est ce qui m’a toujours intéressé », dit Szilasi (2008). La série de portraits Polaroid (1997) témoigne de cette préoccupation qui traverse son œuvre. Les clichés réalisés lors de ses nombreux retours au pays natal, à partir de 1980, s’inscrivent aussi dans cette volonté de rendre hommage aux gens, à la famille comme aux amis, mais ils servent aussi à immortaliser ce présent qui fuit et dont les traces modulent le paysage, à l’exemple des sites architecturaux. L’exposition Retour à Budapest, présentée en 1999, est composée de ces images qui caractérisent le travail de Szilasi.

Des photographies de Gabor Szilasi ont récemment été présentées au Musée canadien de la photographie contemporaine d’Ottawa dans une exposition organisée en collaboration avec le Musée d’art de Joliette. Le titre de l’exposition, Gabor Szilasi. L’éloquence du quotidien, et les clichés présentés sont à l’image des préoccupations du photographe. L’éloquence du quotidien rappelle effectivement la nature même de son art qui s’enracine dans cette vision humaniste de la vie urbaine et rurale, dont il est le principal observateur, vision qui lui est propre et pour laquelle il est désormais reconnu internationalement.

Gabor Szilasi est un des gagnants des Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques de 2010


(c) La Scena Musicale 2002