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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 7 avril 2010

Mathieu Gaudet et sa carrière hybride : musique et engagement social

Par Renée Banville / 1 avril 2010


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« Le musicien est quelqu’un à qui l’on peut s’en remettre pour dispenser de l’apaisement à son prochain, mais il est aussi un rappel de ce qu’est l’excellence humaine »

Cette définition de Yehudi Menuhin peut-elle mieux s’appliquer qu’à un musicien qui décide, en plus de sa carrière musicale, de travailler au soulagement de la souffrance humaine ? C’est le choix qu’a fait Mathieu Gaudet en projetant de mener de front la carrière de pianiste et de médecin.

L’évolution du musicien : un hasard qui fait parfois bien les choses 

L’histoire débute de façon habituelle. Un petit garçon suit des cours de piano au Conservatoire de Rimouski. La chance le favorise en lui donnant un excellent professeur. C’est à sœur Pauline Charron qu’il attribue cet amour de la musique qui marquera le reste de sa vie. À l’âge de 20 ans, il quitte Rimouski pour aller étudier à l’Institut Peabody de Baltimore avec Julian Martin, aujourd’hui professeur à Juilliard. De retour au Canada, il travaille à Toronto avec Marc Durand et André Laplante et obtient ensuite son doctorat en piano à Montréal avec Paul Stewart. Intéressé par la direction d’orchestre, il obtient en plus une maîtrise dans cette discipline avec Jean-François Rivest.

Depuis 1997, Mathieu Gaudet a participé à de nombreux concours et accumulé les récompenses, dont six premiers prix. Comme demi-finaliste au Concours Musical International de Montréal en 2004, il fut le « coup de cœur » du pianiste Jean-Philippe Collard. Artiste reconnu à travers le Canada et les États-Unis comme soliste et chambriste, il a joué sous la direction de chefs réputés comme Gustav Meier à Baltimore et Leon Fleisher à Toronto. Cofondateur en 2003 du 1er festival Gros Morne Summer Music à Terre-Neuve, il y a donné une vingtaine de récitals.

Une carrière musicale bien amorcée

La saison dernière a été particulièrement prolifique pour Mathieu Gaudet. En novembre 2008, après une tournée de récitals et de cours de maître en Inde, il a lancé son premier album, les 24 Préludes de Rachmaninov. Pianiste résident au festival Concerts aux Îles du Bic à l’été 2009, il donnait l’automne suivant à Winnipeg, avec le violoniste Jean-Sébastien Roy, un récital capté par CBC Radio 2. Au dernier gala des prix Opus en janvier 2010, Mathieu Gaudet accompagnait la soprano Karina Gauvin. Il vient de terminer une tournée de deux semaines dans l’Ouest canadien en compagnie de Jean-Sébastien Roy.

Le pianiste ouvrira Les Journées Schumann1 au Musée des beaux-arts de Montréal le 30 avril. Ce compositeur lui étant particulièrement cher depuis longtemps, il en parle avec enthousiasme et anticipe ce concert avec un plaisir évident. Il avoue porter une grande admiration à certains musiciens romantiques reconnus pour leur œuvre pianistique. « Un bon pianiste doit être capable de jouer Chopin et Rachmaninov », lui disait Marc Durand. Toutefois, quand on lui demande quels musiciens l’ont influencé, il mentionne les chefs d’orchestre Philippe Herreweghe et Bernard Labadie, reconnus pour leur approche vivante et authentique de la musique baroque. On comprend alors les motivations qui l’ont poussé à s’intéresser à la direction d’orchestre.

La médecine : un appel vers une action sociale

À 27 ans, au moment de son doctorat en piano, Mathieu Gaudet commence à s’intéresser à des mouvements d’action sociale. Poussé par le besoin de s’impliquer personnellement, le musicien décide d’ajouter une seconde carrière à un horaire déjà chargé : il sera aussi médecin. Inscrit à la faculté de médecine, il se retrouve, comme membre du Comité d’action sociale internationale (CASI), en route pour deux mois vers le Kenya, afin d’apprendre ce qu’est la pratique de la médecine dans les pays en voie de développement. Des moments difficiles de travail ardu sous le soleil tropical, mais une expérience enrichissante qui lui servira toute la vie. Mathieu Gaudet obtiendra son doctorat en médecine cette année et commencera sa résidence en médecine familiale à partir de juillet, dans un hôpital montréalais ou dans un CLSC.

  Ce n’était pas le plan de carrière de Mathieu Gaudet de jouer sur les deux tableaux. D’un côté la vie d’un artiste, avec un horaire bousculé, des déplacements continuels et des pratiques rigoureuses de l’instrument; de l’autre côté, celle du médecin dont les nombreuses occupations laissent peu de temps libre. Il faut une grande force de caractère et un sens aigu de l’organisation pour arriver à mener de front ces deux carrières exigeantes.

Pianiste et médecin : une question d’organisation

« La seule façon de concilier les deux carrières, selon Mathieu, c’est de fonctionner par projet. Au moment d’une période musicale importante, il faut mettre la médecine en veilleuse pour un moment et se concentrer sur la pratique de l’instrument, de cinq à six heures par jour. Par contre, quand un projet médical est annoncé, c’est la musique qui est alors mise en veilleuse. Maintenir une heure ou deux de pratique par jour peut alors faire vraiment la différence. Le plus important en musique est de faire travailler l’oreille plutôt que les doigts. Ça demande une grande concentration d’énergie, mais c’est quelque chose qu’on peut faire partout, avec ou sans partition. Se concentrer sur une pièce et la modeler dans l’oreille. »

À 33 ans, Mathieu Gaudet navigue déjà allègrement entre ses deux carrières avec une facilité déconcertante, coiffant à tour de rôle le chapeau de musicien et celui de médecin. Né sous une bonne étoile, il croit qu’il est possible de nourrir sa passion artistique tout en se mettant au service de la communauté. « Il faut aimer le plus possible, dit-il, aimer la musique, aimer la jouer et l’exprimer et aimer les patients. » Si on se base sur les résultats qu’il a obtenus à ce jour, nul doute que le musicien-médecin possède les qualités nécessaires pour réussir ce tour de force. Une personnalité exceptionnelle à suivre.

(1) Les Journées Schumann, du 30 avril au 9 mai. Après avoir souligné les anniversaires de Haydn et de Haendel, la Fondation Arte Musica honore ce printemps, à l’occasion du 200e anniversaire de sa naissance, Robert Schumann, un des grands compositeurs de l’époque romantique. Cinq concerts couvriront l’essentiel des différentes périodes créatrices du compositeur : sa musique pour piano, ses lieder et sa musique de chambre. Le premier concert a lieu le 30 avril, alors que le pianiste Mathieu Gaudet interprétera deux des plus grandes œuvres pour piano : les Kreisleriana et la Fantaisie en do majeur. La première est un recueil de huit pièces inspirées par Clara et dédiées à son ami Frédéric Chopin. La seconde est un des sommets de la littérature pianistique romantique, un long et déchirant cri d’amour à Clara. Pour connaître les autres activités des Journées Schumann : www.fondationartemusica.ca
Billetterie : www.mbam.qc.ca/concerts - (514) 285-2000 #5 


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