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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 7 avril 2010

Les saisons d'Arion

Par Philippe Gervais / 1 avril 2010


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L’histoire de la redécouverte des Quatre Saisons de Vivaldi offre un cas intéressant et exemplaire, à l’image de ce que fut au XXe siècle le mouvement de retour aux musiques anciennes. D’abord jouée pendant plus de trente ans sur instruments modernes, entre autres par des ensembles italiens déjà pleinement convaincus de la valeur de cette musique, l’œuvre subit dès 1976 une relecture radicale, sous la direction de Nikolaus Harnoncourt, et devient un cheval de bataille des « baroqueux ». Les voici qui s’y essaient tour à tour (pensons aux Simon Standage, Monica Huggett, Jeanne Lamon), concurrençant ainsi les modernes, toujours présents mais désormais plus audacieux (Gidon Kremer, Nigel Kennedy). En 1991, l’enregistrement de Fabio Biondi, couronné de nombreux prix, marque avec éclat le retour des Italiens – sur instruments anciens cette fois – et pave la voie à de nombreux interprètes issus de la Péninsule, aux approches très variées (Enrico Onofri, Giuliano Carmignola). Que les Saisons, au fil des ans, aient été aussi victimes de leur succès n’étonnera personne : récupérées en fragments par la publicité (qui aime beaucoup le début du Printemps !), servies en musique de fond pour nombre de documentaires à saveur historique ou artistique, arrangées de toutes les façons, elles font partie de notre culture commune, et pourtant rares sont les occasions de les entendre bien exécutées dans leur intégralité. Le prochain concert d’Arion, qui propose l’œuvre dirigée du violon par Stefano Montanari, fait donc figure d’événement, comme nous l’explique la directrice artistique de l’ensemble, Claire Guimond. 

Les Quatre Saisons, malgré leur célébrité, ne sont pas souvent jouées en concert. Est-ce à cause de leur difficulté ?

» Oui, ce sont des concertos très exigeants sur le plan technique, et peu de violonistes se risquent à les donner sur scène. Au disque, avec des prises multiples et quelques jours de travail, on peut obtenir un résultat impressionnant, mais le concert ne pardonne pas. De plus, comme ce sont des œuvres extrêmement connues et souvent enregistrées, on hésite parfois à les jouer parce que le public dispose de multiples points de comparaison et ne se satisfait pas d’une simple lecture correcte : il faut lui proposer une vision exceptionnelle, un soliste transcendant, et nous l’avons trouvé en Stefano Montanari.

Comment êtes-vous entrée en contact avec lui?

» L’orchestre Tafelmusik de Toronto, avec lequel nous entretenons des rapports très amicaux, l’a déjà invité quelques fois et les musiciens, dont certains sont aussi membres d’Arion, ont été renversés par son dynamisme. Je n’ai donc pas hésité à faire appel à ses services, d’autant que la chef Jeanne Lamon m’a dit voir en lui un des meilleurs violonistes baroques au monde, ce qui n’est pas un mince compliment venant d’une violoniste elle-même remarquable ! Stefano Montanari n’est peut-être pas aussi connu chez nous que ses collègues italiens Fabio Biondi et Giuliano Carmignola, mais cela vient du fait qu’il n’appartient pas à la même génération. C’est un jeune interprète, déjà au sommet de son art, et dont la notoriété ira croissant. Il a d’ailleurs déjà gravé les Saisons avec l’Accademia Bizantina d’Ottavio Dantone.

Les Saisons sont une musique à programme et certains interprètes se plaisent à souligner les effets imitatifs dont elle est parsemée. Qu’en pensez-vous ?

» On peut écouter les Saisons avec grand plaisir sans être toujours conscient des nombreux effets voulus par Vivaldi – ivresse, orage, oiseaux, mouche, crépitement du feu et j’en passe ! Cela dit, je ne crois pas qu’il faille pour autant reléguer ce programme narratif au second plan, puisque c’est lui justement qui pousse Vivaldi à faire preuve d’une inventivité sans borne. De la même façon, lorsque je joue à la flûte le célèbre concerto du Chardonneret (Il Gardellino), j’aime bien qu’on sente la présence de l’oiseau. Si le public est conscient des effets voulus par le compositeur, son expérience s’en trouvera forcément enrichie. C’est d’ailleurs pourquoi nos concerts sont maintenant précédés d’une brève conférence qui sert d’introduction aux œuvres jouées.

Selon les interprètes, le choix des instruments de continuo peut varier beaucoup. Qu’avez-vous retenu pour ce spectacle ?

» Nous croyons qu’en concert, il est tout indiqué d’utiliser un continuo très riche. En plus des basses d’archet (violoncelles et contrebasse), nous avons opté pour le clavecin, l’orgue et le théorbe. Pour autant, n’allez pas croire que tout est décidé à l’avance ! L’ensemble Arion aime bien travailler avec des solistes invités qui font aussi office de chefs, ce qui nous réserve bien des découvertes et des surprises en répétition. Nous pouvons ainsi nous renouveler peut-être plus facilement que si nous étions toujours sous la direction d’un chef attitré.

Les Saisons forment une œuvre riche en émotions et en contrastes, mais néanmoins assez courte. Quel sera le complément de programme ?

» J’ai pensé ouvrir la soirée en jouant le concerto intitulé La Nuit (La Notte). Il en existe une version pour flûte, cordes et basson (RV 104) et une autre écrite seulement pour flûte et cordes (RV 439). J’ai choisi cette dernière, qui contient de nombreuses variantes intéressantes, en particulier dans le premier et le second mouvements. C’est une musique à programme qui devrait très bien accompagner les Saisons. On y trouve une description du sommeil, comme dans le concerto de l’Été. Par ailleurs, Stefano Montanari exécutera aussi le long et virtuose concerto RV 286, que Vivaldi a écrit pour la fête de Saint Laurent, qui était célébrée chaque année avec faste à Venise.

Comme bien d’autres ensembles baroques, Arion a été fondé dans les années quatre-vingt et arrive aujourd’hui à maturité. La trentième saison qui débute cet automne sera sûrement pour vous une occasion de célébrer…

» Je préfère ne pas dévoiler dès maintenant l’ensemble de la programmation, mais je peux annoncer que le premier concert présentera une des Passions de Bach, en collaboration avec les Voix Baroques. En guise de clin d’œil à nos débuts, où nous n’étions que quatre musiciens (Chantal Rémillard, Betsy Macmillan, Hank Knox et moi-même), nous offrirons aussi parallèlement à notre série régulière une série de musique de chambre, et donc au total plusieurs concerts supplémentaires.


Les 29 et 30 avril, 20 h, salle Pierre-Mercure du Centre Pierre Péladeau. Une conférence de Lucie Renaud sera présentée une demi-heure avant le concert, en collaboration avec La Scena Musicale. Réservations : 514 355 1825 ou www.arionbaroque.com  Les billets s’envolent vite !


(c) La Scena Musicale 2002