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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 4 décembre 2009

L’Ensemble Caprice : inspiré & bouillonnant

Par Wah Keung Chan / 1 décembre 2009

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Lorsque le directeur artistique de l’Ensemble Caprice Matthias Maute, âgé de 46 ans, parcourt une partition, son enthousiasme juvénile se communique à chaque membre du groupe, la musique s’en trouve inspirée. La Scena Musicale a rencontré Maute pour la dernière fois en juin 2007, alors qu’il venait de composer une nouvelle fin de l’Orfeo de Monteverdi pour le festival Montréal Baroque. Récemment, ce virtuose de la flûte à bec et traversière et compositeur baroque a ajouté la direction à son parcours impressionnant et, en quelques années seulement, a mené cette formation qui existe depuis 20 ans à de nouveaux sommets.

Le printemps dernier, l’enregistrement sur étiquette Analekta du Gloria de Vivaldi par l’Ensemble Caprice a été couronné, à la surprise générale, par un prix Juno dans la catégorie « Chanteur solo ou chorale », habituellement réservée aux disques de solistes – les cinq années précédentes, le prix avait été remporté par les sopranos Isabel Bayrakdarian (4 fois) et Measha Brueggergosman (1 fois). Le mois dernier (novembre 2009), le New York Times accordait une page entière à la série de projets de l’ensemble reliés à la Collection Uhrovska (1730) de mélodies gitanes. Les deux disques suivants de ce projet ont récemment été lancés par Analekta, rattachant la musique gitane à Vivaldi et Telemann. Leur concert new-yorkais du 14 novembre intitulé « Bach et les gitans de la Bohême » a été encensé par le New York Times : « La musique de l’ensemble et ses arrangements étonnants étaient de tout premier ordre. »

Les derniers succès de l’ensemble ont fait suite à un élargissement de son répertoire, au-delà du baroque jusque dans la période classique, lequel l’a mené à employer un effectif musical plus puissant et un chœur. En janvier dernier, l’Ensemble a présenté une version pour piano à quatre mains et chœur de vingt chanteurs du Requiem de Brahms. Après cette réussite, Maute, qui enseignait la flûte à bec et la musique de chambre à McGill, a été nommé nouveau chef des prestigieux McGill Chamber Singers.

Lorsque Maute a créé l’Ensemble Caprice en Allemagne en 1989, il s’agissait d’un duo flûte à bec et viole de gambe se spécialisant exclusivement dans le répertoire baroque. Tout cela a changé en 1994 quand il a rencontré la flûtiste à bec et traversière canadienne Sophie Larivière, laquelle s’est jointe à l’ensemble trois ans plus tard. Il se sont mariés et Maute a déménagé à Montréal en 1999 pour fonder le volet canadien de l’Ensemble Caprice. Ici, il a trouvé une communauté baroque féconde. Son ensemble a commencé à s’agrandir, d’abord à quatre musiciens, puis six. Le noyau est aujourd’hui constitué de Larivière, aussi codirectrice artistique, de la gambiste et violoncelliste Susie Napper, du claveciniste Eric Helyard, du guitariste baroque David Jacques et du violoniste Olivier Brault.

Réunissant des musiciens aussi talentueux, Caprice s’est acquis la réputation d’être flexible, jouant des œuvres allant de John Cage à Piazzolla, du tango et du jazz à la musique baroque. « Nous cherchons à explorer autant que possible afin de satisfaire notre curiosité, affirme Maute. C’est toujours un processus d’inspiration, et nous allons et venons entre les genres. Lorsque les musiciens sont devenus accrocs de la musique gitane, ils ont réagi de façon différente. Cela ouvre toutes sortes de portes. » Il raconte comment un jour les musiciens ont demandé de laisser tomber une répétition afin d’être plus frais et spontanés pour improviser dans une séance d’enregistrement.

Le passage de la chaise au podium a exigé une certaine adaptation. « Il faut du courage, admet Maute. J’ai dû apprendre à défendre ce que je voyais comme une bonne idée et à convaincre les autres de faire de leur mieux pour s’y tenir. C’est un énorme défi mental, dont on parle trop peu. Cela exige autant de psychologie que de connaissances du théâtre et de la musique. » La direction, toutefois, est l’aboutissement de son expérience comme interprète, professeur, arrangeur et compositeur. « Le temps était venu de faire la somme et de prendre de plus grandes responsabilités professionnelles. On ne peut communiquer le sens d’un morceau directement à l’auditoire. Il faut communiquer cette signification aux musiciens et alors compter sur toute leur énergie pour la transmettre au public. »

La Messe en si mineur de Bach

Le dernier projet de l’Ensemble Caprice est la Messe en si mineur de Bach, qui a récemment ouvert le Festival des musiques sacrées à Québec et qui a été louangée par les critiques. « On savait que Matthias Maute jouait diablement bien de la flûte à bec. Mais on ignorait encore que, une fois glissé dans la peau du chef d’orchestre, il pouvait guider un chœur vers de célestes sommets, ainsi qu’il l’a fait si habilement, jeudi soir à l’église Saint-Roch », écrivait Richard Boisvert dans Le Soleil. Ce concert sera repris à Montréal en décembre.

Ce n’est nullement un hasard si Maute a obtenu un nouveau succès. Sa curiosité naturelle et ses talents de compositeur et d’arrangeur créent un mélange extrêmement informé et novateur. Il analyse en profondeur chaque aspect de la partition afin d’en découvrir le sens caché, lequel en retour l’amène à ne faire plus qu’un avec la musique.

Maute estime que, dans la Messe en si mineur, Bach souhaitait que l’auditoire « participe au drame à mesure qu’il se déroule. C’est de la musique vulnérable, un drame très humain, et il veut que nous prenions part à une expérience particulière. »

Selon Maute, l’œuvre s’ouvre de façon opératique. « Le Kyrie eleison est en si mineur, c’est lassant, très long et nous avons le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond, dit-il. Arrivés au Sanctus, nous sommes au ciel. C’est l’un des morceaux les plus fabuleux, de la riche ouverture à la fugue la plus rapide jamais composée, où Dieu remplit le ciel. » Bach dépeint le paradis en utilisant une instrumentation extrêmement astucieuse. Dans le Sanctus, un trio de trompettes représente la trinité de Dieu. Les trompettistes incarnent habituellement des personnages puissants, des ducs, des rois, un pape ou Dieu. C’est le seul morceau qui requiert trois hautbois, là encore symbolisant la trinité. Le résultat est un son extrêmement brillant. On ne peut trouver des accords plus riches. Vous utilisez les timbales pour marquer des points d’exclamation lorsque le Roi apparaît, et la trompette joue également. C’est presque une partition symphonique, en majeur, avec un son très brillant, très ouvert. »

Pour Maute, le chœur représente souvent le peuple, alors que les solistes apportent des points de vue individuels. De même, les instruments sont entraînés dans le drame, devenant à leur tour des personnages. Dans le 2e mouvement, « Christe eleison », les premiers et deuxièmes violons représentent la misère que l’humanité a amenée dans le monde, alors que les solistes implorent notre salut. Dans l’avant-dernier mouvement, l’« Agnus Dei », les premiers et deuxièmes violons jouent de nouveau à l’unisson, mais cette fois en canon avec le chanteur. Ce jeu croisé entre les cordes et la voix signifie un grand développement, du début de la messe jusqu’à la fin.

Tout au long de la partition, Maute observe un conflit persistant entre le quatre temps de certaines sections et le triple temps d’autres sections. Un bon exemple de cette tension temporelle se trouve dans l’aria « Quoniam » pour basse, cor, deux bassons et continuo. C’est une aria inhabituellement très longue, explique-t-il. En concert, on a l’impression que tout s’effondre, l’énergie est perdue. Pourquoi est-ce si long ? Or, dans la partition, on voit qu’on a ici une petite scène de théâtre. Le cor est le roi, entouré de deux bassons. Jouant dans le registre aigu, les bassons sonnent comme des cors, comme si, en serviteurs, ils essayaient d’imiter le roi. Le cor joue à trois temps, accentuant le contre-temps – le roi essayant d’imposer au peuple sa loi. Là-dessus, les serviteurs jouent à quatre temps. Ils sont dans un monde complètement différent, ce qui produit un chaos total. La basse est comme un prêtre, alors que le cor joue contre les bassons. Nous prenons ce passage à un rythme rapide de 108 à la noire, plutôt que l’habituel 80. »

Un autre bon exemple est le finale, « Dona nobis pacem », écrit en mesure coupée (en 2), mais qui accentue un trois temps. « Il est strictement impossible de faire tenir tout cela ensemble, dit Maute. Cela dit que nous sommes ici, alors que la paix est là-bas, très loin. On commence à saisir la profondeur de la connaissance de Bach du cœur humain, et à comprendre qu’il tente d’exprimer l’univers avec sa musique. »

Projets à venir

L’Ensemble Caprice prépare de nombreux projets fort intéressants. En mars, il dévoilera un nouveau programme, « Salsa baroque » pour chanteurs et instrumentistes, qui réunira la polyphonie européenne du xviie siècle et la musique latino-américaine traditionnelle. L’ensemble le présentera en tournée et en fera un nouveau disque. Sa saison 2010-11, intitulée Les Grands classiques, comprendra des concerts allant de l’Oratorio de Noël de Bach et ses Concertos brandebourgeois à un programme de concertos de Mozart. « Nous voulons raconter la vie de Mozart à travers ses concertos pour piano, sa Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre et le Concerto pour clarinette », ajoute Maute. Les œuvres de Mozart feront contraste avec un nouveau concerto pour violon, alto, clarinette et piano-forte avec orchestre classique que nous avons commandé au compositeur québécois Maxime McKinley. » Maute entend naturellement se montrer novateur avec les partitions de Mozart, les pousser hors des sentiers battus. Il est d’avis que, comme Beethoven, Mozart en est arrivé à un point où il a transcendé son époque et il juge donc nécessaire d’apporter un certain tranchant aux interprétations de sa musique.


Ensemble Caprice en concert :
 » 3 déc, 2009 à 20h : Messe en si mineur de J. S. Bach à la Fonderie Darling (qui fait partie du Festival Bach de Montréal). 514-523-3611.
 » 16 janv, 2010 à 20h : Les perles retrouvées avec chanteur invité Daniel Taylor à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours. 514-523-3611.
 » 21 fév, 2010 à 15h30 à la Chapelle historique du Bon Pasteur. 514-872-5338.
 » 20 mars, 2010 à 20h : Salsa baroque à la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours. 514-523-3611.


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