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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 3

Louis-Philippe Marsolais : un « corps à cor » avec la musique

Par Arthur Kaptainis / 1 novembre 2009

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« Ce n’est pas tous les jours qu’on donne la Cinquième de Tchaïkovski, et pour moi, c’est là tout le problème. » Voilà ce que nous a confié le corniste de 32 ans Louis-Philippe Marsolais, ancien élève de l’École de musique Schulich de l’Université McGill, où nous l’avons rencontré. Il parlait de la place du cor dans l’orchestre : peu de partitions lui donnent l’occasion de briller autant que le solo au début du mouvement lent de cette œuvre. Aussi, Marsolais remplit son agenda de prestations de tout genre–concerts avec orchestre, musique de chambre, solos–en attendant de savoir vers quoi s’oriente sa carrière.

Un corniste virtuose itinérant, cela se peut-il ? Le dernier quart du 20e siècle en a connu un : Barry Tuckwell, mais il a joué avec le London Symphony Orchestra pendant 13 ans avant de se lancer dans une carrière de soliste. Son grand rival, dans les pays germaniques, était Hermann Baumann. De nos jours, Radovan Vlatkovic a pris la relève; ce Croate fort talentueux se produit également avec le Mozarteum de Salzbourg. On parle aussi de Ben Jacks, cor solo du Sydney Symphony Orchestra. Un corniste globetrotteur, Martin Hackleman, a déjà joué pour le Canadian Brass, le Vancouver Symphony et bien d’autres ensembles, et on le retrouve dans les enregistrements du National Symphony de Washington. Un autre corniste endisqué est James Sommerville, ancien membre du Toronto Symphony et de l’Orchestre symphonique de Montréal, à présent cor solo du Boston Symphony. Le fait que ce Torontois dirige souvent le Hamilton Philharmonic en dit long sur ses aspirations de soliste, ou plutôt sur l’absence de celles-ci.

Un peu plus jeune que ses illustres prédécesseurs, Marsolais leur emboîte le pas vaillamment. Il a remporté le deuxième prix au Concours de musique 2005 de l’ARD à Munich, compétition organisée par la radio bavaroise, l’une des rares à ne pas s’en tenir à l’inévitable trio violon-piano-voix. « Ce sont les Olympiques du cor », plaisante Marsolais, faisant allusion au calibre élevé des compétiteurs, tels Vlatkovic (premier prix 1983) et Sommerville (deuxième prix 1988). Certes, la médaille d’or est revenue à Zabolcs Zempléni, cor solo de la Symphonie de Bamberg, mais notre virtuose était le seul lauréat nord-américain cette année-là, toutes catégories confondues. En plus de la médaille d’argent, il a remporté le premier prix pour l’exécution du morceau imposé, attirant l’attention du producteur allemand Dieter Oehms qui lui a demandé d’enregistrer pour son étiquette, avec le pianiste David Jalbert, de merveilleuses pages du répertoire romantique allemand. Notre virtuose a récemment réalisé avec le même partenaire un enregistrement pour ATMA, où la Sonate pour cor de Beethoven (que d’aucuns voient comme le plus négligé de ses chefs-d’œuvre) côtoie des œuvres d’étudiants et de disciples du grand maître, parmi lesquelles une surprenante sonate de Ferdinand Ries. À l’écoute de ces deux disques, on a l’impression d’entendre un musicien qui devrait faire carrière de soliste, mais hélas, Marsolais n’a d’inscrit à son agenda en ce moment que des collaborations avec des orchestres ou de petits ensembles.

La relative rareté d’occasions pour un cor de jouer solo (à part quatre beaux concertos de Mozart et deux de Richard Strauss) est peut-être attribuable à sa réputation d’extrême difficulté. Le long tube et le large pavillon créent la tonalité suave si caractéristique de l’instrument, mais ils exigent un positionnement parfait des lèvres. Les fausses notes (les « couacs » comme on dit) sont plus courantes et perceptibles que celles d’autres instruments. À certains endroits, toutefois, on s’engoue pour le cor, et Montréal fait partie de ces villes atypiques où tout corniste qui se respecte doit réussir.

Louis-Philippe Marsolais a connu des débuts modestes dans sa ville natale de Joliette. Inspiré comme bien des jeunes musiciens par un pédagogue de renom, le père Rolland Brunelle, il a commencé à s’initier à son instrument auprès de Jean-Jules Poirier. Il a fait partie des orchestres symphoniques des jeunes de Joliette et de Montréal, ce dernier ensemble étant dirigé par Louis Lavigueur. En 1996, Marsolais entame à McGill des études auprès du cor solo de l’OSM, John Zirbel, qui jouit d’une enviable réputation internationale. « Il m’a appris à mettre la musique au-dessus de tout », se remémore son ancien élève. L’évidence même, direz-vous. Pourtant, ce précepte s’oppose au style rigide et perfectionniste qui préfère l’exactitude au courage et qui donne des résultats passablement ennuyeux. Marsolais a également été encouragé par le chef de l’Orchestre symphonique de McGill, Timothy Vernon, adepte du style austro-germanique. D’ailleurs, notre virtuose a joué le deuxième concerto pour cor de Strauss au dernier concert de cette formation sous la baguette de Vernon.

Étape suivante : Fribourg, en 1999, sous la férule de Bruno Schneider. « Il y a des différences techniques entre l’école dite allemande et la nôtre, explique Marsolais. Par exemple, leur façon de faire les notes liées n’est pas du tout la même, et il m’a fallu du temps pour m’y habituer. À présent, je suis content d’avoir le choix entre les deux techniques selon le morceau que je joue. Ce qui m’a le plus aidé, c’est certainement d’entendre d’excellents musiciens et de travailler avec eux. Dans les cours et les concours, j’écoutais très souvent mes camarades jouer et je réfléchissais aux façons de m’améliorer. Apprendre un instrument, c’est le labeur de toute une vie. Il faut rester à l’affût des choses à améliorer pour y arriver ! » Du point de vue tonal et technique, Marsolais (à l’instar d’autres cornistes montréalais) a les pieds plantés des deux côtés de l’Atlantique, à cheval entre le son américain un peu lourdaud et l’idéal européen, plus coulant.

Le bagage de connaissances que Marsolais a rapporté d’Allemagne lui a valu le poste de cor solo de l’orchestre de Kitchener-Waterloo. Toutefois, celui-ci étant à la recherche d’un chef en 2000-2001, Marsolais a quitté cette situation incertaine pour se joindre à l’Orchestre symphonique de Québec la saison suivante, en tant que cor solo associé. C’est alors qu’il a été atteint du « virus » Tchaïkovski, lui qui devait se contenter d’ouvertures et de concertos, sans guère se frotter au véritable répertoire symphonique.

« En trois ans, raconte Marsolais, j’ai aimé peut-être trois concerts. Si tous les autres avaient été comme ça, je serais peut-être resté. On ne sait jamais d’une fois à l’autre s’il y aura quelque chose d’intéressant à jouer. Quand ça fait près d’un an qu’on n’a rien joué d’emballant, on risque de se dire que personne ne se rendra compte si on est moins assidu. J’ai vu que j’allais prendre ce chemin et qu’il me fallait éviter cela à tout prix. »

L’heure du retour à Montréal avait sonné. Le quintette à vent Pentaèdre avait besoin d’un cor et Marsolais a sauté sur l’occasion. Directeur artistique depuis 2005, il reste à l’affût de chances pour la formation de sortir du répertoire standard en s’investissant dans des opéras (A Chair in Love de John Metcalfe et Così fan tutte de Mozart, avec une troupe de mime) et des transcriptions étonnantes, comme le Winterreise de Schubert (de Normand Forget) avec le ténor allemand Christoph Prégardien. Un enregistrement de ce cycle a remporté le prix Opus l’année dernière. Les projets théâtraux ont permis à la formation de mieux comprendre la dynamique de son auditoire. « Chaque mouvement qu’on fait sur scène est essentiel à la communication. À chaque nouveau projet, on tâche d’en avoir conscience. » Normalement, tous les musiciens de Pentaèdre s’adressent aux auditeurs de leurs concerts, mais quand s’il s’agit de le faire en allemand ou en italien, c’est Marsolais qui s’empare du micro. (Il possède des rudiments d’italien depuis sa tournée asiatique de l’été 2004 avec l’Orchestre national d’Italie.)

Mais on est encore loin de la carrière de soliste. « La situation est difficile pour un corniste, explique Marsolais. Les orchestres ont tendance à juger qu’ils ont déjà un excellent cor solo qui s’en tire très bien quand un concerto pour cor est au programme. » En ce qui concerne les sociétés de musique de chambre, elles ne sont pas habituées à envisager des œuvres avec cor; et pourtant, le répertoire possible comprend des pièces du calibre de la sonate de Beethoven déjà mentionnée, du superbe Adagio et Allegro de Schumann, du quintette de Mozart et du trio de Brahms avec cordes, sans parler d’œuvres plus modernes.

Il existe, fort heureusement, une voie de salut pour les cornistes :la musique ancienne. Marsolais connaît le cor baroque (dont il a joué dans la Messe en si mineur de Bach avec Matthias Maute et son Ensemble Caprice en octobre) et aussi le cor naturel sans piston, qui exige du joueur qu’il crée les sons avec la main et des mouvements des lèvres d’une précision extrême. Malgré une performance impressionnante de la sonate de Beethoven sur cet instrument, en 2007, pour l’enregistrement il a préféré reprendre son cor moderne (réalisé par le facteur allemand Engelbert Schmid). En effet, s’est-il dit, les CD se rendent en Europe et on n’était pas tout à fait prêts à se confronter à des spécialistes du cor naturel.

De retour en Amérique du Nord, en particulier à Montréal, où il habite avec sa conjointe, l’actrice Julie Daoust, Marsolais a atteint un certain équilibre dans sa vie de musicien. Certes, les engagements de soliste sont rares, mais il jouera l’Oratorio de Noël de Bach avec Bernard Labadie et Les Violons du Roy à Carnegie Hall en décembre, et il fera une tournée dans les provinces de l’Atlantique avec la soprano Marianne Fiset et le pianiste Michael McMahon en mars (quelques mois après avoir gravé un CD pour ATMA avec les mêmes artistes). Le 22 novembre prochain, Pentaèdre offre un programme axé sur le cinéma, avec le pianiste accompagnateur de films muets Gabriel Thibaudeau. Et le nouveau cor solo associé (avec Pierre Savoie) de l’Orchestre Métropolitain pourra poursuivre sa relation d’amour-haine avec le répertoire symphonique.

En ce qui concerne la difficulté à faire carrière de soliste, Marsolais ne peut qu’essayer de combattre les préjugés qui entourent son instrument. « C’est une question de culture, dit-il à ce sujet. En Allemagne, ce n’est pas pareil. Là-bas, on idolâtre ceux qui savent jouer du cor. Tous les orchestres les mettent à l’honneur dans leur programmation. Ici, les gens trouvent que c’est un instrument capricieux et peu harmonieux, puisqu’ils l’entendent de façon imparfaite. Il suffirait peut-être de les amener à l’écouter différemment. »

[Traduction par Anne Stevens]


 » Avec Pentaèdre et le pianiste Gabriel Thibaudeau, le 22 novembre (19h).

 » Concerto brandebourgeois no 2 de Bach, Symphonie no 103, « Roulement de timbales » de Haydn, Symphonie no 2 de Schumann. Avec l’Orchestre Métropolitain, le 9 novembre (19h30).

 » Concerto pour piano de Poulenc, La Tragédie de Salomé de Schmitt, Ma Mère l’Oye de Ravel. Avec l’Orchestre Métropolitain, le 22 novembre (16h).


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