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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 2 octobre 2009

L’argent des autres

Par Jean-Pierre Sévigny / 1 octobre 2009


Changement de cap au Fonds de la musique du Canada administré par Patrimoine canadien. On met dorénavant l’accent sur la rentabilisation des investissements et on supprime les programmes d’aide à la diversité culturelle et à l’enregistrement historique.

Au cours de l’été le gouvernement Harper, avec la ténacité qu’on lui connaît, a remanié les programmes de Patrimoine canadien. Plusieurs commentateurs avaient noté l’approche affairiste du gouvernement Harper. Désormais, les arts et la culture sont considérés sur le même plan que les autres secteurs de l’économie. Ça doit rapporter ! Les programmes seront évalués en fonction de leur rentabilité et de leur profitabilité. En matière de culture, l’idéologie des conservateurs repose sur la nature économique des arts. On en vient donc ainsi à vouloir arrimer la notion de valeur artistique au rendement brut. Quand on investit le précieux argent des citoyens, on est en droit d’exiger la rentabilité du capital investi. Pourquoi les arts devraient-ils être l’exception ?

Rappelons qu’en 2001, le gouvernement canadien avait créé le Fonds de la musique du Canada (FMC) dans le but « d'aider l'industrie ». On voulait aider les créateurs, les entrepreneurs, les producteurs et les associations par le biais de sept programmes qui devaient, disait-on, refléter la diversité et la richesse des musiques canadiennes. C’était une autre époque.

À ce jour, le FMC demeure le seul outil global d’aide à l'enregistrement sonore. Or depuis cet été, le gouvernement Harper a annoncé qu’il éliminait le programme d’aide à l’enregistrement historique Souvenirs de la musique canadienne, administré jusqu’ici par le Trust pour la préservation de l’audiovisuel du Canada, pour en reconfigurer un autre dont la politique et les critères restent à déterminer. Sera-t-il un programme « discrétionnaire » ? C’est une histoire à suivre. Nous en informerons la communauté dès que les critères seront connus.

Plusieurs étiquettes indépendantes voient dans ces changements une volonté claire du gouvernement Harper d’abandonner le secteur de la musique dite « spécialisée ». Selon Tony Reif, qui possède l’étiquette indépendante de Vancouver Songlines, la culture canadienne telle que nous l’avons connue a disparu de façon brutale. « Ceux qui veulent réaliser des disques dont la seule raison d’être est la créativité et l’excellence de la musique auront de la misère. (…) Les enregistrements musicaux sont une forme d’art qui se doit d’être soutenue financièrement si cet art est amené à s’épanouir. »

En 2010, Patrimoine canadien supprimera le programme Diversité de la musique canadienne administré par le Conseil des arts du Canada. En gros, l’histoire et la diversité culturelle, pourtant une des valeurs fondamentales de la société canadienne, sont des entités culturelles « non rentables » qui doivent être supprimées. Toutes les voix indépendantes, étiquettes de disques, artistes, associations, etc., n’ont qu’à bien se tenir. Le gouvernement Harper a fait son lit. Il prône le retour à la culture « mainstream » payante qui reflète les valeurs de la majorité des Canadiens. La célèbre chercheure et musicologue canadienne Elaine Keillor croit que la suppression des programmes de diversité musicale et d’histoire de la musique canadienne témoigne « d’une vision à court terme. Après tout, cela ne représente que le salaire de quelques ministres. »

(c) La Scena Musicale