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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 2 octobre 2009

L’Héroïsme beethovénien : Analyse de la Septième symphonie en la majeur

Par René Bricault / 1 octobre 2009


Pilier de la littérature symphonique, la Septième de Beethoven s’inscrit parmi ses plus grandes réussites. Fascinante à la fois par son classicisme vigoureux et son originalité expressive, elle offre beaucoup de matière à réflexion. Nous nous attarderons ici à l’analyse du premier mouvement, somme toute assez imposant.

Celui-ci débute par une longue introduction; si longue, en fait, que n’eût été son tempo lent (Poco sostenuto, 69 à la noire), on aurait presque pu l’interpréter comme une exposition de sonate : deux courts thèmes contrastants, séparés par un pont en accords tenus aux vents et doubles-croches aux cordes (ce pont répète, en fait, le motif arpégé du début du premier thème), avec motif terminal à la dominante. Le second thème est joué deux fois, d’abord en do puis en fa, les deux itérations étant séparées par un pont similaire au premier quoique sans référence au premier thème. Ces emprunts tonaux s’avèrent importants, puisque le ton de do jouera un rôle prépondérant dans le développement du « vrai » thème de sonate (ci-après le « Thème ») qui suivra, et le ton de fa sert à préparer la tension du motif terminal en mi (dominante) qui suit immédiatement. Dominante qui sera d’ailleurs épurée jusqu’à n’être qu’une seule note (avant l’ajout des deux autres notes de l’accord de tonique – nous y reviendrons), le mi qui débute le Thème, créant ainsi une transition des plus efficaces.

Avant de débuter l’analyse de la suite, mentionnons au passage que la basse, au tout début de l’œuvre, adopte un mouvement chromatique descendant, très audible malgré son naturel dans le contexte harmonique. À l’instar du ton de do, cette descente chromatique jouera aussi un rôle important plus tard dans le mouvement.

Le Thème est constitué de deux phrases caractéristiques en 6/8, dominé par les rythmes de croche pointée/double-croche/croche (précédé ou non d’une noire pointée liée), noire/croche, et deux croches liées/croche. La première phrase, jouée d’abord à la flûte (mes. 671) avec quelques ornements, affirme fortement la tonalité avec ses alternances constantes de I et de V. La seconde phrase, avec flûte doublée à l’octave inférieure par le hautbois, introduit des alternances de IV-I avant de conclure avec un point d’orgue sur V; voilà qui permet de reprendre efficacement le tout aux violons I avant de passer au second groupe thématique.

Un regard attentif porté sur ce second groupe thématique nous pousse à considérer le mouvement comme étant monothématique. En effet, le second groupe thématique reprend non seulement le tempo, la vigueur et certaines cellules rythmiques caractéristiques du Thème, souvent à peine modifiées (éliminant ainsi le contraste souhaité entre deux thèmes pour les bien distinguer), mais n’offre aucun nouvel élément assez substantiel et prégnant pour mériter l’appellation de « thème ». D’ailleurs, histoire d’affirmer la dominance péremptoire du Thème, les violons 1 reprennent le début de ce dernier à la mesure 164 (à la dominante, sans surprise), avant de terminer l’exposition sur une montée de noires (précédées d’acciacaturas) ponctuée de pédales de croches sur contre-temps aux bois. (Nous reviendrons sur ce passage lors de l’analyse des réexposition et coda).

Le développement débute avec le motif initial du Thème, modifié et en contrepoint (d’abord aux cordes, puis aux vents), et précédé d’une présentation progressive de l’accord de do (une note à la fois, en arpège tenu et descendant) sur le rythme caractéristique croche pointée/double-croche/croche, à l’instar de l’exposition (celle-ci en la, bien sûr). Au début de l’œuvre, cette présentation servait de transition entre l’introduction et l’exposition proprement dite; cette fois, elle prépare l’insistance contrapuntique sur le motif initial du Thème. Cela mérite mention, car le reste du mouvement ressemble, grosso modo, à un grand développement à partir de cellules isolées du Thème. Rappelons, d’ailleurs, que le second groupe thématique de l’exposition est déjà lui-même une variante du Thème... Beethoven s’avère d’ailleurs un maître de cette technique (on pense à son influence sur Brahms, Mahler, Schönberg, Webern, etc.), dont le premier mouvement de sa Cinquième constitue l’exemple par excellence (du moins pour la variation de l’unique cellule de son célébrissime premier thème).

Le second « faux thème » de l’introduction était présenté d’abord en do, disions-nous; voilà qui prépare « harmoniquement » l’auditeur au développement, lui aussi d’abord en do2. Fait intéressant, le développement se poursuit, non sans tension harmonique, en ré mineur vers la mesure 230, soit la relative mineure du fa de la seconde itération du second « faux thème » de l’introduction (l’insistance sur le fa à la basse de la mesure 238, d’une durée de deux mesures plus une croche, débutant une séquence harmonique nous dirigeant droit vers le climax, se veut assurément un rappel efficace).

Nous avons également parlé de l’importance du chromatisme à la basse (entre autres voix). Nous en retrouverons, cette fois en mouvement ascendant, dès les premières mesures du développement, tout juste avant le climax de la mesure 254, quelques mesures précédant la réexposition, et en descente/montée vers la cadence finale. Bref, le chromatisme sert à augmenter la tension de plusieurs moments-clés du mouvement.

Après ledit climax de la mesure 254, Beethoven nous dirige victorieusement vers la réexposition, à la mesure 278. Parmi les résolutions de Thème et motifs en la, surgit un bref rappel du ré mineur (sur le Thème), contrebalancé par la suite par la tonique mineure (toujours sur le Thème, légèrement modifié). Quelques tensions supplémentaires (dont un rappel du fa majeur) nous ramènent à la tonique majeure pour conclure la réexposition sur la montée de noires appogiaturées avec contre-temps accentués. Cette montée, n’ayant certes pas un caractère très conclusif, exigeait une coda. En fait, lorsqu’on songe à la longue introduction et à l’utilisation d’un Thème unique de sonate, la coda se justifie également d’un point de vue formel. De plus, Beethoven en profite pour y créer un effet de suspense fort efficace sur premier renversement de I, avec basse fortement brodée et insistance sur le mi aux vents, catapultant l’orchestre vers une cadence finale digne de l’héroïsme beethovénien. 


La Septième symphonie de Ludwig van Beethoven sera jouée prochainement au Québec : Orchestre symphonique de Longueuil (Marc David, dir.), 1er octobre 2009, Théâtre de la Ville, 20 h; Orchestre symphonique de Laval (Alain Trudel, dir.), 28 avril 2010, salle André-Mathieu, 20 h

1 BEETHOVEN, L.v. Symphony 7, A Major, op. 92. Hawkes Pocket Scores 114.Londres, Boosey & Hawkes, aucune mention de date.

2 Nous nous permettrons, à ce sujet, une parenthèse de nature historique. Le dynamisme du style classique exige une tension harmonique vers (et durant) le développement, habituellement fournie par une modulation à la dominante. Les romantiques, eux, exploreront d’autres possibilités, en privilégiant entre autres les modulations à la tierce. Beethoven combine les deux éléments en modulant à la dominante vers la fin de l’exposition (rendant la reprise de l’exposition plus cohérente), mais en passant immédiatement à la sixte mineure (inversion de tierce) au début du développement. Ainsi, Beethoven n’est pas seulement à cheval entre classicisme et romantisme d’un point de vue stylistique, mais également par ses techniques d’écriture.

(c) La Scena Musicale