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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 10 juillet 2011

Madame Mozart : Entrevue exclusive avec Pierrette Alarie

Par Jean-Pierre Sévigny / 1 juillet 2011


Version Flash ici.

Pierrette Alarie a sa place au panthéon de l’art vocal québécois auprès des légendes qui l’ont précédée : Emma Albani, Pauline Donalda, Sarah Fischer. Pourtant, en 1970, la soprano Pierrette Alarie faisait, avec son mari Léopold Simoneau, ses adieux au public montréalais à l’occasion d’une représentation du Messie de G.F. Haendel avec l’OSM.

Pourquoi avoir quitté la scène à 49 ans ? « J’avais le trac, c’était devenu insupportable, explique-t-elle. Quelques mois auparavant, j’avais donné un récital au Ladies’ Morning Musical Club (j’y avais déjà chanté trois fois auparavant) et cela m’avait beaucoup stressée. Je pensais ne pas avoir été à la hauteur, ne pas avoir tout donné, mais les critiques furent dithyrambiques. Avec deux succès d’affilée en quelques mois, le récital du LMMC et le Messie avec l’OSM, j’ai senti que c’était le bon moment pour me retirer… me retirer en pleine gloire. »  Elle n’a jamais regretté sa décision. Par la suite, elle s’est consacrée avec son mari à l’enseignement. Âgée aujourd’hui de 89 ans, toujours enjouée, rieuse, d’un esprit vif, elle a accepté pour nous de faire un retour sur les faits saillants de sa fabuleuse carrière qui a duré 32 ans.

Une famille musicale

Pierrette Alarie est issue d’une famille de musiciens. Son père, Sylva Alarie, est chef d’orchestre adjoint de la Société canadienne d’opérette. Sa mère, la comédienne bien connue Amanda Alarie, ainsi que sa sœur Marie-Thérèse ont toutes deux de belles voix. Elle débute à la radio de CKAC à l’âge de 14 ans comme comédienne, puis comme chanteuse populaire. La chanson réaliste J’attendrai a d’ailleurs été l’un de ses grands succès à cette époque. Plus tard, elle aura sa propre émission, Rythmes et mélodies. Pierrot (son surnom) débute les cours de chant à l’âge de 17 ans avec Albert Roberval, le mari de Jeanne Maubourg. Adolescente encore, elle entame une fructueuse carrière à la radio : « En 1938, j’ai chanté aux Variétés lyriques dans l’opérette L’Auberge du cheval blanc, puis dans La fille du régiment, Mireille et Le Barbier de Séville. Ce sont mes vrais débuts à l’opéra. »

C’est en 1940, alors qu’elle étudie avec Salvator Issaurel, qu’elle rencontre Léopold Simoneau. Peu connu et intimidé par cette femme enjouée, rieuse et qui est déjà une vedette, le ténor succombe rapidement aux charmes de la belle blonde aux yeux bleus. Il épousera en 1946 sa séduisante bomba, surnom qu’il lui donnait.

Figaro au His Majesty’s

La jeune Pierrette Alarie participe à l’événement lyrique de l’année 1943. Elle interprète le rôle de Barbarina dans Le Nozze di Figaro de Mozart sous la direction de l’aristocratique Thomas Beecham dont la réputation l’effraie : « J’avais peur de Beecham, il avait toute une réputation. Mais tout s’est bien passé. C’était un homme charmant qui avait un grand sens de l’humour et j’ai compris que les gens décodaient mal son humour. On le prenait trop au sérieux et surtout au premier degré. »

Le modèle européen

Alarie est désormais une star de la scène montréalaise adulée du public : « Je gagnais d’ailleurs très bien ma vie, mais il manquait cependant quelque chose. » Désireuse d’étudier le chant avec la légendaire Elisabeth Schumann, elle fait une demande d’audition par écrit au Curtis Institute of Music de Philadelphie, où Schumann enseigne. « J’ai décidé toute seule d’aller auditionner au Curtis. J’ai emprunté 150 $ à la banque et je suis partie pour Philadelphie. J’ai passé l’audition et j’ai obtenu une bourse d’études en avril 1943. Je vivais dans une petite chambre modeste. J’ai étudié trois ans (1943-46) avec madame Schumann. » Qu’a-t-elle retenu de ses trois ans d’études avec son modèle ? « Le grand art de la simplicité dans l’art vocal… la simplicité dans l’interprétation. »

 Il y a 65 ans au Met

Alarie réalise en 1945 le rêve de tout artiste : chanter au Metropolitan Opera de New York. Adolescente, elle écoutait les retransmissions du Met le samedi après-midi. Elle avait même contribué à une campagne de financement du Met. Encouragée et soutenue par son professeur Elisabeth Schumann, elle remporte le concours « Auditions of the Air » et débute au Met en 1945 dans Un Ballo in Maschera de Verdi sous la direction de Bruno Walter. En 1946, elle interprète Olympia dans les Contes d’Hoffmann, sous la direction de Wilfrid Pelletier, aux côtés de son compatriote Raoul Jobin. « Pelletier était un homme charmant, qui vous mettait à l’aise, mais il n’était pas assez sévère avec les chanteurs », juge-t-elle aujourd’hui. Elle restera trois ans au Met. Les critiques de l’époque remarquent cette soprano à la voix pure et cristalline, agile et souple dans l’aigu. D’ailleurs, le célèbre critique newyorkais et historien du Metropolitan Irving Kolodin appellera le couple Simoneau-Alarie « monsieur et madame Mozart. »

Nous irons à Paris

Au Met, les Simoneau rencontrent plusieurs chefs français qui les invitent à auditionner à l’Opéra-Comique de Paris. « Nous avons besoin de voix comme les vôtres à Paris », affirment-ils. « La première fois, nous sommes restés quelques semaines et nous avons pris des vacances, se souvient-elle. Nous étions à Paris après tout et je me rappelle que nous chantions un de nos airs favoris, le duo « Nous irons à Paris » de Manon. Finalement nous avons obtenu des contrats et nous sommes restés six ans en France, à Paris puis à Aix-en-Provence. » À l’Opéra-Comique de Paris elle s’illustre notamment dans les rôles-titres de Lakmé et de Lucia di Lammermoor. L’« Air des clochettes » de Lakmé devient sa pièce fétiche qu’elle chantera tout au long de sa carrière.

« Ces prestations et festivals, radiodiffusés dans plusieurs pays, ont réellement lancé notre carrière en Europe, évoque-t-elle. Après cela, nous avons chanté à Vienne, Munich, Berlin, Salzbourg, Édimbourg, Glyndebourne, Baden-Baden, Milan. » Spécialisé dans Mozart et l’opéra français, le duo Simoneau-Alarie fera les beaux jours des plus grands opéras du monde. Il demeure un cas unique dans l’histoire de l’art vocal au Canada.

CD DécouverteCD Découverte Pierrette Alarie – Airs d’opéra

Ce disque spécial est offert exclusivement avec les exemplaires de La Scena Musicale, numéro de juillet-août 2010, vendus en kiosque ou sur abonnement.

(c) La Scena Musicale 2002