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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 1

Jazz: Au rayon du disque

1 septembre 2009


Jazz: Au rayon du disque

Musiques de chez nous
Annie Landreville
 

Yannick Rieu: Spectrum
Justin Time JTR 8546-2

Spectrum, c’est à la fois le titre de l’album et le nom de l’ensemble mené par le saxophoniste ténor et soprano Yannick Rieu. C’est aussi un disque audio (enregistré en résidence au Dièse onze à Montréal) et un DVD, captation d’une prestation sur scène donnée à Beijing en Chine. Cette double parution, qui donne autant à entendre Rieu qu’à le voir, documente un projet se situant dans la foulée deson audacieux Non Acoustic Project, paru en 2002. Et quel projet, peut-on dire de ce dernier-né ! Moins expérimental que son prédécesseur, Spectrum relève brillamment le pari de marier l’électronique à l’électrique et à l’acoustique. Pas moins de sept musiciens sont de la partie ici, soit le guitariste Daniel Thouin, qui l’accompagnait à l’époque, et le contrebassiste Adrian Vedady, ainsi que Jocelyn Tellier (guitare), Rémi-Jean Leblanc (basse électrique) et le très efficace Philippe Melanson (batterie), ces trois derniers présents sur le DVD – qui accorde d’ailleurs beaucoup plus de place à l’improvisation. Le chef du groupe a réussi à établir un juste équilibre entre le lyrisme qu’on lui connaît et le désir de proposer quelque chose de neuf. On reconnaît partout le son et le phrasé du saxophoniste (qui joue exclusivement du soprano sur la performance chinoise), bien que, de temps à autre, l’ombre des musiciens qui l’ont influencé se fait sentir, John Coltrane bien sûr, mais aussi Miles Davis et Steve Lacy, voire Weather Report ou John Surman. Il y a du reste un clin d’œil touchant à Reggiani avec la longue citation d’Il suffirait de presque rien sur une pièce qui s’appelle... Africa, incluse sur les deux supports, la version du concert chinois étant trois fois plus longue que celle de Montréal. Spectrum procure donc de réels moments de grâce où la beauté, l’intelligence et l’audace sont toutes au rendez-vous.

Julie Lamontagne: Now What
Justin Time, JTR 8535-2

Après Facing the truth, paru en 2005, la pianiste Julie Lamontagne a surtout travaillé avec des chanteurs populaires: chef d’orchestre et claviériste pour Isabelle Boulay, c’est aussi elle qui agit en tant que directrice musicale de ce «Gros Z’orchestre», le projet jazzé de Bruno Pelletier. Plus mature et plus maîtrisé que son premier disque, Now What met davantage en relief la précision du jeu et la personnalité de la compositrice, qui semble être l’incarnation même d’une force tranquille. Le trio qu’elle partage avec ses complices efficaces, le contrebassiste Dave Watts et le batteur Richard Irwin, est complété par le saxophone, très coltranien, du New-Yorkais Donny McCaslin, qui nous gratifie de solos particulièrement relevés. Dans la pièce d’ouverture, intitulée Désillusionnée, il prend même tellement de place que le piano de la jeune compositrice semble s’effacer devant lui. Mais il y a là plus de générosité que de manque d’assurance de la part de la musicienne, comme on le constate sur les autres pièces (10 au total) qui oscillent constamment entre la ballade et des tempos plus affirmés. Julie Lamontagne, notons-le, a étudié avec Lorraine Desmarais et Fred Hersh et cela s’entend à la fois dans l’écriture et dans son approche du jeu, autant dans le phrasé que dans sa manière de construire les intros de certains morceaux. Tout compte fait, Lamontagne marque un bon pas en avant ici, et on y sent une belle évolution de sa part en tant que compositrice et improvisatrice.

Échos de Victo
Félix-Antoine Hamel

Alors que nos élites culturelles n’en ont que pour le Cirque du Soleil ou les nouveaux records de foule au Festival de Jazz de Montréal, on passe trop souvent sous silence un véritable miracle québécois: depuis 1983, une petite ville des Bois-Francs défie son isolement géographique pour devenir, le temps d’un long week-end en mai, l’un des centres mondiaux de la musique créative. Pour souligner son 25e anniversaire l’an dernier, le Festival de Musique Actuelle de Victoriaville avait préparé une édition à la hauteur de l’événement, naturellement éclectique à souhait. Voici donc une paire de disques sur l’étiquette maison du festival qui documentent deux des temps forts de cette édition.

Joe Morris, Simon H. Fell, Alex Ward: The Necessary and the Possible
Victo cd 116

Autre anomalie géographique, la rencontre sur The Necessary and the Possible réunit trois improvisateurs de contrées différentes. Joe Morris, Bostonien réputé dans son cercle musical, partage désormais son temps entre la guitare (dont il est assurément l’un des praticiens les plus originaux) et la contrebasse. C’est en tant que guitariste qu’il dialogue ici avec deux compères britanniques, soit Simon H. Fell (contrebassiste et compositeur d’envergure) et Alex Ward (clarinette), dans un concert comportant cinq improvisations collectives de 3 à 19 minutes. Avec son langage remarquablement varié, Morris évite de faire trop ouvertement référence au maître Derek Bailey (avec qui Fell a parfois collaboré), passant entre de simples gestes abstraits à des phrases chromatiques dont lui seul a le secret ou ponctuant occasionnellement ses interventions d’accords rythmiquement disjoints. Fell, pour sa part, répond à merveille au jeu du guitariste, remplissant l’espace sonore de ses passages virtuoses en pizzicato ou inondant littéralement ses interlocuteurs avec un jeu d’archet intempestif. Quand à Ward, possesseur d’une sonorité quelque peu perçante (disons plus proche de Pee Wee Russell que de Jimmy Giuffre), il sait saisir l’auditeur par l’utilisation de toutes les techniques à sa disposition. En tout en partout, une belle rencontre, aussi réussie qu’inattendue.

Jean Derome et les Dangereux Zhoms + 7: Plates-formes et Traquenards
Victo cd 114

Véritable trésor national, Jean Derome semble plus inspiré que jamais ces dernières années. Intitulé Plates-formes et Traquenards, ce disque reproduit l’intégrale du concert d’ouverture du 25e FIMAV, où le flûtiste-saxophoniste présenta deux suites importantes, commandes respectivement des organismes Plateforme (organisateur du FIMAV) et Traquen’Art (promoteur de plusieurs concerts de musique actuelle dans la métropole). Outre les acolytes habituels de son quintette Les Dangereux Zhoms (Tom Walsh, Guillaume Dostaler, Pierre Cartier et Pierre Tanguay), on retrouve sept autres musiciens issus de la scène «actuelle» montréalaise, ceux-ci donnant l’occasion au compositeur d’exploiter une palette sonore assez large. En effet, les cordes de Nadia Francavilla (violon) et de Jean René (alto), la voix élastique de Joane Hétu, les clarinettes de Lori Freedman, la trompette de Gordon Allen, la guitare électrique de Bernard Falaise et les tables tournantes de Martin Tétreault enrichissent considérablement la matière sonore du quintette. À l’aide de ces éléments variés, chacune des suites acquiert un caractère spécifique, tantôt répétitif et vaguement hypnotique pour Plates-formes (notamment dans Le Rift, pièce dans laquelle Derome prend un remarquable solo de flûte), tantôt plus contrasté pour Traquenards, celle-ci offrant, en contrepartie aux féroces assauts de Chercher noise et des tutti mingusiens de Dream-Catch, des passages bruitistes tout à fait minimalistes (Piège à bulles). * En concert, 8 septembre

(c) La Scena Musicale