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La Scena Musicale - Vol. 15, No. 1

Jazz: Bilan d’une décennie

Par Marc Chénard / 1 septembre 2009


Dix ans dans une vie, ça représente une période de temps à la fois brève et considérable. Brève, car chaque année semble s’envoler. Considérable à cause du cumul des événements plus ou moins retenus dans nos mémoires.

Considérons à ce titre une activité propre à notre espèce, la musique et, plus précisément, le créneau du jazz (traité dans ces pages). Qui, par exemple, se souvient de notre scène montréalaise à pareille date en 1999 ? Qui peut vraiment se rappeler, entre autres, des parutions discographiques locales ou des temps forts de cette année-là ? Bien que peu de gens s’en souviennent, Oliver Jones avait annoncé à la veille du millénaire sa retraite de la scène, décision soldée par un concert d’adieu tenu dans la longue veillée du premier janvier 2000 au Palais des Congrès. M. Jones, qui marquera ses trois quarts de siècle ce mois-ci (le 11 pour être exact), a toutefois refait surface quatre ans plus tard, enregistrant quelques disques depuis et se produisant durant la belle saison (comme, en juin dernier, son spectacle d’inauguration de l’Astral, salle de la nouvelle maison du jazz du FIJM).

Entre ces deux événements, le Montréal jazz (tous genres confondus) a traversé une période plus faste que les années 1990, époque caractérisée par un manque chronique de lieux de diffusion de cette musique (le Upstairs Jazz Bar étant l’exception). En fait, la métropole avait été rayée des itinéraires de tournées des groupes étrangers. Sitôt le   traditionnel défilé musical de juillet terminé, la traversée du désert reprenait, les amateurs se rabattant sur leur collection de disques entre deux blitz festivaliers. Ainsi en était-il…

Nouveaux venus

Mais que s’est-il passé depuis ? Tout d’abord, la mise en place de solutions de rechange au FIJM. En l’an 2000, des musiciens de chez nous décidèrent de mettre sur pied leur propre événement: l’Off Festival de Jazz. Contestataire à ses origines, ce festival a depuis établi sa niche et son dixième anniversaire en juin dernier confirme autant sa viabilité comme manifestation culturelle que son intégrité artistique. Signalons une autre particularité du Off, celle de sa programmation dressée par un comité organisateur de musiciens qui s’est toujours renouvelé, atout qui a pour conséquence d’éviter un certain essoufflement dans les choix de spectacles et d’artistes.

Mais l’Off n’est pas la seule solution de rechange. En 2001, moins d’un an après   l’ouverture de la minuscule Casa del Popolo, ses tenanciers se lancent à leur tour dans l’aventure en créant le Festival Suoni per il Popolo. Ambitieuse manifestation échelonnée sur une période de cinq semaines en juin et en juillet, le nouveau venu s’est rapidement affirmé en ouvrant la voie à un créneau qui, jusqu’à ce moment, avait été laissé pour compte: celui des musiques expérimentales toutes tendances, incluant les musiques improvisées et le Free Jazz. En 2010, il célébrera à son tour sa première décennie. Mais contrairement au Off, qui n’est que ponctuel, la Casa del Popolo est un lieu de spectacles à longueur d’année (qui reprend en fait ses activités de concert ce mois-ci après avoir enfin réussi à démêler ses problèmes de permis). Se sont ensuite ajoutés la Sala Rossa de l’autre côté de la rue et, plus récemment, Il Motore de la rue Jean-Talon.

Certes, les festivals sont des locomotives promotionnelles susceptibles d’interpeller les médias et de fidéliser des publics. Mais ce ne sont pas les seuls facteurs expliquant la dynamique musicale de notre scène. L’un des meilleurs garants de l’état de santé d’une communauté musicale est sa capacité d’attirer des musiciens d’ailleurs. Le bilan à ce titre est on ne peut plus positif. D’une part, il existe une pépinière de jeunes talents qui y ont élu domicile suivant leur arrivée en ville pour des études (McGill y étant pour quelque chose): Joel Miller, Christine Jensen, John Roney, Marianne Trudel, Eric Hove, Adam Kinner et j’en passe. Du côté des musiques improvisées, nommons principalement Lori Freedman, mais aussi Pierre-Yves Martel, Gordon Allen et Isaiah Ceccarelli… Non seulement ces derniers ont-ils enrichi ce pan de la scène, mais leur entrée au sein du collectif Ambiances Magnétiques a permis à cette maison de disques d’appuyer et de diffuser une relève prometteuse.

De disques et de disparus

Qui dit plus de musiciens dit plus de productions discographiques. Avec la démocratisation de l’enregistrement, la documentation de la musique de jazz au Québec a pris son essor depuis le début du millénaire. Alors qu’Ambiances et Justin Time se divisaient un peu le gâteau dans le passé (entreprises toutes deux fondées en 1983), d’autres compagnies ont fait leur entrée dans les bacs de disques. L’exemple le plus frappant à ce titre est la maison Effendi Records. Lancée en1998, cette étiquette s’est donné comme vocation la documentation d’une scène de jazz mainstream locale qui avait peu de débouchés discographiques. Onze ans et 90 titres plus tard, avec plusieurs nouvelles parutions prévues pour l’automne, l’étiquette reste fidèle à son mandat premier, ce qui n’exclut pas la présence de quelques grandes pointures comme Lee Konitz ou Jerry Bergonzi. Plus restreints dans leurs catalogues sont les disques XXI, qui n’offrent que quelques titres jazz au sein d’un catalogue essentiellement classique, ou encore les disques de l’Éléphant, étiquette créée à ses débuts pour documenter la musique du pianiste Jean Beaudet, mais comprenant des albums signés Dave Turner ou Adrian Vedady. Tout cela pour dire qu’il s’est passé pas mal de choses à Montréal en dix ans. Fort heureusement, un système de financement du secteur public a aidé la cause (tant par des subventions pour enregistrer que par des appuis aux tournées). Toutefois, la situation devient de plus en plus précaire, en raison d’une érosion constante des fonds publics aggravée par la conjoncture économique du moment. Si l’on croit aux développements cycliques, on peut craindre pour l’avenir, mais nul ne peut prédire avec certitude. Le plus important, comme Monk l’avait si bien dit, c’est de laisser les choses se passer comme elles se doivent.

En terminant, n’oublions pas les disparus, en commençant par le plus grand ami du jazz et des jazzmen, Len Dobbin, décédé en plein festival le 9 juillet dernier après avoir été saisi d’un malaise dans son antre préféré, l’Upstairs Jazz Bar. Signalons quelques autres disparus, Oscar Peterson et Maynard Ferguson en tête de liste, et des personnalités locales comme Nelson Symonds et Cisco Normand (l’an dernier), Bernard Primeau en 2006, Paul «Boogie » Gaudet en 2004, Art Roberts en 2003 et Michel Ouellet en 2001. Mais ne sonnons pas le glas de la décennie tout de suite: il y a toujours la rentrée 2009 qui s’annonce intéressante.

(c) La Scena Musicale