Henry & La Chocolaterie Par Philippe Gervais
/ 14 juin 2009
Le chocolat, dans l’Europe du xviie
siècle, est encore une denrée nouvelle qui, à l’instar du café,
séduit autant qu’elle inquiète. Ainsi Madame de Sévigné, toujours
à l’affût des rumeurs du temps, raconte à sa fille l’histoire
d’une marquise qui but tant de chocolat « qu’elle accoucha
d’un petit garçon noir comme le diable, qui mourut ». L’anecdote
fait sourire, mais illustre bien la méfiance que suscitait parfois
l’« or brun ». On comprend mieux alors qu’une obscure légende
ait pu attribuer la mort prématurée de Henry Purcell à un empoisonnement
au chocolat !
Se saisissant de ce prétexte,
le Festival Montréal Baroque propose cette année, en plus d’activités
variées (foire, exposition, conférence…), une douzaine de concerts
destinés à fêter le 350e anniversaire de la naissance de Purcell,
qui seront présentés comme autant de « plaisirs chocolatés ». Sans
doute le plus admiré des compositeurs anglais n’avait-il pas besoin
de cet enrobage pour attirer le public, mais on se réjouit néanmoins
que s’offre une si belle et si rare occasion de le découvrir. En
effet, hormis le célèbre Dido and Aeneas, que donnera le jeune
ensemble Masques pour clôturer le Festival, la plus grande partie des
quelque six cent œuvres qu’a laissées l’« Orphée britannique
» demeure souvent bien méconnue.
Une programmation habile permettra
de suivre le compositeur au théâtre, à la cour et à l’église
et de se faire une idée de la plupart des genres auxquels il a touché.
Le spectacle inaugural, qui mêle danse, théâtre et musique, présente
des extraits du semi-opéra The Fairy Queen, conçu d’après
Shakespeare. C’est bien l’esprit du dramaturge qui souffle sur ces
pages inspirées où les évocations les plus poétiques (la Nuit, les
Saisons, l’Hymen) côtoient le tragique (la sublime plainte du dernier
acte) et la pure bouffonnerie (le poète ivre, les singes).
Très attendu également, le concert
de Church Anthems que propose le SMAM. On y entendra de fervents
full anthems à la manière de Byrd et de Tallis ainsi que des
verse anthems avec instruments, plus près du genre de la
cantate ou du motet à la française. Loin du triomphalisme que suggère
son titre, le bouleversant Blow up the trumpet, qui s’achève
dans l’angoisse la plus vive, fera contraste avec le festif My
heart is inditing, écrit pour le couronnement de Jacques II.
Moins abondant et moins connu que
l’œuvre vocal, l’œuvre instrumental sera pourtant fort bien représenté.
La comparaison promet d’être fascinante entre les archaïques et
savantes fantaisies pour consort de violes et les plus modernes sonates
en trio pour violons. Réputées faciles d’exécution, les suites
pour clavecin que jouera Martin Robidoux ne sont pas pour autant à
dédaigner. On y trouve Purcell à son meilleur, intime et tendre, capable
d’émouvoir en quelques mesures.
La flûte à bec ayant été
longtemps fort populaire en Angleterre, le Festival a également pensé
inviter pour la première fois à Montréal le Flanders Recorder
Quartet qui propose un programme exclusivement anglais, du Moyen
Âge à Purcell. Ce sont encore les flûtes, celles de l’ensemble
Caprice, qui accompagneront la touchante Ode on the death of Mr Henry
Purcell de John Blow, où s’uniront les voix de Daniel Taylor
et de Matthew White pour chanter les louanges de « cet homme incomparable,
hélas trop tôt parti » (« the matchless man /Alas, too soon retir’d
»). n |
|