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La Scena Musicale - Vol. 14, No. 7 avril 2009

Sibelius, le nouveau défi de Caroline Chéhadé

Par Wah Keung Chan / 1 avril 2009

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La violoniste canadienne Caroline Chéhadé a les yeux qui brillent lorsqu’elle évoque le Concerto pour violon de Sibelius. Pour la lauréate du Prix d’Europe 2007, un parcours de découverte qui a duré deux ans s’achèvera le 4 mai prochain, quand elle jouera ce concerto accompagnée par l’Orchestre Métropolitain du Grand Montréal (OMGM).

Qu’est-ce qui a déclenché cet intérêt pour l’œuvre de Sibelius ? Une invitation en Finlande, en décembre dernier. « La beauté saisissante des paysages finlandais a interpellé mon imaginaire. Cette nature, ses couleurs, sa mélancolie et son silence m’ont profondément touchée. » Le peuple finlandais est, selon elle, à l’image du concerto, réservé et tranquille en apparence. « Ils ne sont pas particulièrement expansifs au premier abord, mais quand on les connaît mieux, ils savent vous mettre à l’aise. Ils adaptent leur mode de vie aux conditions ambiantes – le froid, l’absence de lumière – environnement qui les amène à privilégier les intérieurs chaleureux et la vie de famille. » De même, la jeune violoniste trouvait le concerto d’un abord assez froid, alors qu’en fait « on y sent beaucoup d’émotion contenue qu’il faut percer à jour pour vibrer avec elle ». 

Le premier thème

Lorsqu’elle a donné ce concerto à New York, tout récemment, elle a pensé à ce voyage. « J’ai des photos de paysages où il n’y a que peu de lumière. Les rayons du soleil ne parviennent pas à traverser les branches, et pourtant, les arbres sont magnifiques, ils inspirent la joie. On voit de la luminosité, comme des diamants sur la neige. Il y a beaucoup à découvrir sous la surface. » D’après elle, ces premières mesures sont d’une importance cruciale. « Il faut absolument trouver un ton d’une pureté absolue, explique-t-elle. Je joue cela en poussé : j’ai le bras long, ce qui m’aide. »

« Le deuxième thème, poursuit-elle, est fougueux et d’une grande difficulté technique dans le passage du milieu. Il faut réfléchir à la durée de l’accord et aux notes qui doivent prendre le vibrato. Le troisième mouvement me fait penser à une tempête de neige – on voulait se rendre à un gîte dans les bois et on pensait ne jamais y arriver. Les conditions climatiques varient constamment et les Finlandais savent s’y adapter. Quand j’aborde ce troisième mouvement l’esprit léger, il me paraît plus facile et passe plus vite. »

L’initiation

Caroline Chéhadé commence à travailler le concerto de Sibelius après avoir remporté le Prix d’Europe en 2007. Yannick Nézet-Séguin, directeur artistique de l’OMGM, faisait partie du jury. Or, par le plus pur des hasards, ce dernier lui propose, six mois plus tard, de jouer le concerto sans savoir qu’elle l’étudie déjà.

Après avoir maîtrisé les concertos pour violon de Bruch, de Tchaïkovski et de Brahms, la virtuose était prête à aborder Sibelius. « J’aimais aussi le Prokofiev, mais j’estimais que Sibelius avait la priorité, dit-elle. Tchaïkovski exige plus d’endurance, car il est rempli de pièges techniques. Les passages qui semblent les plus faciles sont en fait les plus diaboliques. » Le deuxième mouvement, l’andante, lui semble le plus ardu. « Il faut garder un niveau toujours élevé d’intensité et d’émotion. Quant au Brahms, il est très dense : un vrai bloc de son. Le secret, c’est de garder la même énergie et la même intensité après la fin du premier mouvement. »

Pour se préparer, Caroline Chéhadé écoute des enregistrements réalisés par David Oïstrakh, Isaac Stern et Jascha Heifetz. « Oïstrakh m’impressionne toujours par sa maîtrise et sa constance. Il nous attire dans son jeu – un vrai prestidigitateur ! Chaque note vibre d’émotion, mais en même temps, il aspire à la simplicité. »

Surmonter le trac

Depuis qu’elle a remporté le Prix d’Europe et obtenu sa maîtrise à la Manhattan School of Music, où elle étudiait avec Lucie Robert, Caroline Chéhadé poursuit ses études au Mannes College of Music de New York. « Tout bon violoniste finit par atterrir à New York, dit-elle. Là, on se frotte aux autres, et il faut apprendre à surnager. La concurrence est féroce, les musiciens partent aussi vite qu’ils sont arrivés. Il faut atteindre les normes les plus élevées. New York attire l’élite dans tous les domaines. C’est ce qui m’a donné confiance en moi et m’a permis de montrer que j’avais ce qu’il faut pour devenir une violoniste. »

La musicienne travaille sa confiance en soi avec sa gérante et sur scène elle gagne en assurance. « Avant, je considérais mon expérience sur scène comme un sacrifice de ma volonté à l’autel de quelque dieu. Ce n’était pas conscient. Je devais jeter de la poudre aux yeux, ce qui me forçait à dépenser énormément d’énergie. Je tâche maintenant de me défaire de cette volonté. Ma vulnérabilité est exposée, mais j’ai appris que ma valeur en tant qu’être humain n’est pas en jeu. Se sentir à l’aise sur scène avec son violon, cela exige qu’on soit en paix avec soi-même, il n’est pas nécessaire de se faire aimer de tout le monde. Je veux m’accepter pour qui je suis, avec mes limites, élargir mes horizons, avoir confiance en moi à mesure que j’enrichis mes connaissances, être curieuse de tout, et que cela paraisse sur scène. »

Une vocation

L’amour de la musique lui est venu de la façon la plus naturelle. Aînée d’une famille de quatre enfants, elle avait un lien particulièrement étroit avec sa mère, violoniste amateur qui joue encore pour I Medici di McGill. « Quand j’avais deux ans, je suis allée à un concert et je ne me suis pas endormie ! », raconte-t-elle. Ayant commencé à jouer du violon à 5 ans, elle n’a fait qu’approfondir son amour pour cet instrument. Aux Petits Violons, elle se souvient qu’elle avait hâte de terminer ses devoirs pour enfin se mettre à pratiquer. Fille de médecins, elle a commencé par des études en sciences au cégep avant de se consacrer à la musique à temps plein, lorsqu’elle est devenue l’élève d’Anne Robert au Conservatoire de musique de Montréal. Son conseil : « J’encourage les jeunes à trouver leur propre façon d’aborder l’instrument et à devenir la personne qu’ils aspirent à devenir. »

Ce que Caroline Chéhadé aspire à devenir, c’est un conduit pour la musique. « La plupart des violonistes se concentrent beaucoup sur la main gauche pour acquérir un jeu précis, dit-elle. Mais la beauté du violon réside dans l’archet, plus difficile à maîtriser. Il y a tant de variables : la pression, la distance par rapport au chevalet… Contrairement au piano, on peut soutenir les notes au violon, ce qui permet de transmettre différentes émotions. Le va-et-vient de l’archet sur les cordes s’apparente à la respiration. »

Quelle musique écoute-t-elle ? « Toute musique qui est une authentique expression de soi. J’adore les belles mélodies. Je raffole des musiques klezmer et tsigane. Expression de l’âme à nulle autre pareille, elle doit ouvrir une fenêtre sur les choses d’un autre monde. Quand je joue, c’est comme si un coin du voile était levé sur l’éternité : je vois un peu plus loin et je veux décrire ce que je vois à mon auditoire. Plus que les mots, la musique est le moyen d’expression de l’âme. Cela me touche et m’incite à vouloir écouter toujours plus. »

Sa pièce préférée est le premier mouvement du Concerto pour violon de Beethoven. « À chaque écoute, c’est le même émerveillement que la première fois. Il me fait entrevoir une beauté qui n’est pas perceptible et m’inspire à chercher la beauté dans ma vie, dans mes valeurs. »

[Traduction : Anne Stevens]


Caroline Chéhadé joue le concerto de Sibelius avec l’Orchestre Métropolitain du Grand Montréal :

› ‑4 mai, 19 h 30, Place des Arts, salle Wilfrid-Pelletier, www.pda.qc.ca.
514-842-2112, 514-598-0870

› ‑8 mai, 19 h, Pierrefonds Comprehensive High School, Auditorium.
514-624-1100, 514-598-0870

› ‑10 mai, 16 h. Centre Leonardo da Vinci, Théâtre Mirella et Lino Saputo.
www.centreleonardodavinci.com; 514-328-8400

› ‑Caroline Chéhadé participera à Quatre saisons de Vivaldi le 4 juillet au Rendez-vous de la relève du Festival Lanaudière.


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