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La Scena Musicale - Vol. 14, No. 3

Daniel Taylor en envol

Par Wah Keung Chan / 1 novembre 2008

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Daniel Taylor vient de lancer un premier CD sur étiquette Sony Classical BMG. Il espère que son nouveau contrat exclusif avec la grande étiquette lui ouvrira des portes dans le monde entier. Mais, à 38 ans, le plus célèbre des contre-ténors canadiens – originaire d’Ottawa, mais qui habite Montréal – n’a plus les yeux rivés sur sa seule carrière. Il a décidé de faire bouger les choses. Qu’il s’agisse d’éducation musicale, du Festival de musique de chambre d’Ottawa, de gouvernance des arts, de financement public, de démarchage politique ou de sa plus récente passion, la direction chorale, Daniel Taylor prend position.

Avec plus de 70 titres à son actif sur toutes les étiquettes importantes, Taylor est un habitué des studios d’enregistrement. Ce dernier CD marque toutefois un tournant dans sa vie d’artiste : il y fait ses débuts comme chef de chœur. « Je n’ai jamais autant de plaisir à faire de la musique que devant un chœur, dit-il. Les idées, l’engagement qui émanent de chacun des chanteurs sont des sources d’inspiration pour moi. » Taylor a commencé à diriger il y a deux ans. Il fonde alors un chœur qu’il veut jumeler avec le Theater of Early Music (TEM), son ensemble baroque. Au Festival des musiques sacrées de Québec, il réunit 18 choristes d’Ottawa, Montréal et Toronto, professionnels et étudiants. « Le résultat a été remarquable », dit-il. Taylor invite Marie-Claude Arpin, Josée Lalonde, Michel Léonard et Normand Richard, du Studio de musique ancienne de Montréal, à diriger les sections. « Ce sont les meilleurs choristes et choristes solos de la ville. Les étudiants apprennent beaucoup à leur contact. » Taylor, pour qui la très grande qualité de la musique chorale à Montréal est également attribuable à son mentor Christopher Jackson, rêve de faire un jour avec son chœur une tournée des cathédrales d’Amérique du Nord et d’Europe.

Taylor dirige depuis longtemps les 14 musiciens du TEM, mais la tâche est beaucoup plus complexe maintenant, avec 34 instrumentistes et chanteurs. Des invitations à diriger des orchestres et d’autres chorales nord-américaines ont incité le contre-ténor à prendre des cours particuliers de direction. « Je vise un répertoire spécial, qui parle à l’auditeur. Il faut mettre l’accent sur les paroles, le sujet, l’émotion contenus dans les œuvres. C’est ainsi qu’on réussit à bien fondre les voix. »

 Le Theater of Early Music (TEM)

À l’été 2001, Daniel Taylor rassemble des amis musiciens pour donner un concert avec la soprano Nancy Argenta au Festival de musique de chambre d’Ottawa. Il veut créer un ensemble où l’interprétation est le fruit d’une pensée collective. À l’époque, il donne une vingtaine de récitals par année. « Dans chaque ville, je devais “négocier” mes interprétations avec un nouvel orchestre. C’était difficile. J’avais le sentiment de faire des affaires et non de la musique. Le sens du sacré me semblait absent ». Le 12 septembre suivant, le groupe présente un deuxième concert à l’occasion du gala bénéfice marquant le 5e anniversaire de fondation de La Scena Musicale. Peu après, le nouvel ensemble est baptisé officiellement Theater of Early Music.

Le TEM travaille avec des instrumentistes du monde entier et des chanteurs du calibre d’Emma Kirkby, Suzie Leblanc, Carolyn Sampson, Karina Gauvin, Charles Daniels, Benjamin Butterfield et Daniel Lichti. Il présente 30 concerts par année, dont une série de 4 concerts à Montréal.

Taylor ne cache pas son désaccord, cependant, avec les méthodes de financement public appliquées aux organisations artistiques, en particulier les plus jeunes. Le TEM a absolument besoin d’un bureau et d’un secrétariat pour répondre au téléphone, effectuer les réservations et organiser ses activités. Jusqu’à maintenant, il a réussi à équilibrer son budget, mais cela pourrait changer. Cette année, le Conseil des arts et des lettres du Québec a décidé de stabiliser le financement des organismes culturels en accordant des subventions sur trois ans. Ce changement favorise une fois de plus les organismes bien établis. Dans un communiqué émis en août dernier, le Conseil se dit heureux d’annoncer que le nombre d’organismes subventionnés augmentera de 20 % par rapport à 2005, et que beaucoup de nouveaux groupes sont visés. Taylor, lui, voit les choses autrement : « Le TEM pouvait jusqu’à cette année présenter une demande portant sur trois projets ou concerts à la fois; il doit maintenant, parce qu’il existe depuis peu, limiter sa demande à un seul projet. » Cela a contraint le TEM à annuler un concert cette année et entraînera un déficit pour la saison. Il lui faudra redoubler d’efforts dans ses campagnes de financement pour combler le manque.

Taylor trouve ce système inéquitable. « Les grandes institutions établies de longue date reçoivent le plus gros des dons provenant des milieux d’affaires, des fondations et autres sources. Selon les plus récentes études préparées par des experts en financement du Conseil des arts du Canada, quelque 90 % de ces dons sont dirigés vers les organismes qui obtiennent déjà les plus fortes subventions. Ce qui m’inquiète, c’est que les nouveaux groupes ont du mal à démarrer; or, ils ne peuvent pas se tourner vers des compagnies comme Hydro-Québec ou Power Corporation. Le gouvernement pourrait réduire un peu l’aide qu’il accorde aux institutions bien établies pour soutenir des groupes dynamiques comme l’ensemble Masques, par exemple. »

Taylor déplore aussi la tentative du gouvernement fédéral minoritaire de pousser les arts sur une voie de garage. « Pour Stephen Harper, on l’a vu, le Canadien moyen ne s’intéresse pas aux arts. Cela montre à quel point il méconnaît notre société et, en particulier, l’importance de la culture pour les Québécois. »

Enseignement

Daniel Taylor a fait la une de La Scena Musicale en décembre 2000, au moment où il commençait à donner des cours de maître à l’Université d’Ottawa. Un calendrier de cent concerts par année semblait difficile à concilier avec l’enseignement et pourtant, il y a deux ans, lorsque Julian Wachner, chef d’orchestre à l’Université McGill, lui demande de l’aider à préparer les étudiants pour une production de Dido and Aeneas de Purcell, Taylor accepte et adore l’expérience. Le contre-ténor fait fureur auprès des étudiants. Il aide les jeunes à améliorer leur prestation grâce à un bon placement des voyelles et en insistant sur l’importance de répondre aux exigences dramatiques de l’œuvre. « Taylor mène une carrière internationale. Il incarne les tendances et les attentes actuelles en matière d’authenticité historique et de répertoire de musique ancienne », affirme un Wachner très admiratif.

Depuis, Taylor s’est joint au corps enseignant de la faculté de chant de l’Université d’Ottawa, dirigée par Ingemar Korjus, y rejoignant la mezzo Sandra Graham et la soprano Donna Brown; il enseigne aussi à l’Université de Toronto et au Centre d’arts de Banff. « Les universités devraient être des lieux où l’on cultive de grands idéaux, où l’on travaille avec sérieux à créer, et où l’on noue des amitiés pour la vie », affirme-t-il.

Il estime que les écoles de musique devraient offrir aux étudiants la possibilité de travailler avec des professionnels. « Malheureusement, il arrive que les considérations politiques ou budgétaires prennent le dessus », dit-il. En revanche, Taylor n’a que des éloges pour le Centre d’arts de Banff qui encourage les étudiants à bâtir eux-mêmes leur programme d’études, et pour l’Université d’Ottawa où il apprécie l’ouverture d’esprit des professeurs de chant. Il admire également le programme de musique ancienne de l’Université de Toronto (couronné par une maîtrise) auquel s’est associé l’orchestre baroque Tafelmusik dirigé par Jeanne Lamon. « Si l’Université de Toronto décide de se tourner vers le chant ancien, la position de McGill pourrait être problématique, ajoute-t-il. Mais pourquoi ne pas faire appel aux services de Christopher Jackson et du Studio de musique ancienne de Montréal, ce serait formidable, non ? »

À McGill, son alma mater, Taylor est inscrit comme professeur adjoint, mais il ne donne pas de cours cette année. L’université est la seule institution au Canada qui soit dotée d’un programme de chant ancien. Ses éducateurs, sous la gouverne du doyen Don MacLean et de directeur Douglas McNabney, comptent parmi les meilleurs en Amérique du Nord, de l’avis de Taylor. Mais l’absence d’étudiants dans sa discipline le préoccupe. « Mon nom ne semble pas figurer sur la liste des professeurs. Dans une ville qui abrite des artistes de la trempe de Marie-Nicole Lemieux, Suzie Leblanc, Nathaniel Watson et Karina Gauvin, on se demande pourquoi McGill n’a pas recours à leur précieuse expérience et n’est pas devenue ce qu’elle aurait pu être: un haut lieu de l’enseignement du chant ancien en Amérique du Nord. » Il espère que l’arrivée du baryton Sanford Sylvan aidera à remettre le programme sur les rails.

L’été dernier, devant le peu d’activités éducatives offertes aux étudiants à Montréal, Taylor a décidé d’y créer une école d’été dotée de bourses. Donna Brown, Mary Morrison, Michael Meraw et Daniel Lichti sont venus y enseigner. À la fin des cours, les étudiants ont chanté au Festival de Saint-Sauveur et au Festival de musique de chambre d’Ottawa. On s’affaire maintenant à organiser une deuxième saison de cours d’été.

Festival de musique de chambre d’Ottawa

Taylor s’anime aussi en parlant de l’incertitude qui plane sur le Festival de musique de chambre d’Ottawa depuis la démission de son fondateur Julian Armour il y a deux ans. « L’ancien président du conseil d’administration, Colin Cooke, nous avait assurés, moi et d’autres fervents partisans du Festival comme Angela Hewitt, que des efforts seraient faits pour rappeler Julian Armour », dit-il. Le chanteur se désole qu’aucune rencontre sur le sujet n’ait effectivement eu lieu. Autres sujets de préoccupation pour lui : le déclin des auditoires dans sa ville natale et la faible représentation des musiciens d’Ottawa au Festival. « Quand j’ai évoqué cette situation devant le public cet été, les gens ont applaudi. Ils souhaitent eux aussi le retour de Julian. »

L’entrée de Taylor chez Sony, l’une des « très grandes » étiquettes, représente en quelque sorte le point culminant de sa prolifique carrière de studio. « Lorsque Sony m’a invité à rejoindre ses artistes, les Yo-Yo Ma et Joshua Bell, j’ai eu du mal à le croire », dit-il. Il ajoute que les arts sont au cœur de notre culture, de notre bien-être et de l’avenir de notre société. « Le temps est venu de nous rappeler notre histoire et notre humanité. Il y a des chefs-d’œuvre méconnus qui attendent d’être révélés au public et redécouverts. » Pour Daniel Taylor, ce public, c’est le monde entier. 

La saison prochaine

Taylor se réjouit de faire ses débuts cette saison avec le New York Philharmonic, l’Orchestre symphonique de Madrid et l’Orchestre philharmonique d’Israël. Il se produira aussi avec les orchestres de San Francisco et de St. Louis, ainsi qu’à Gothenburg, Lisbonne et au Wigmore Hall de Londres, tous des lieux qui l’ont déjà accueilli. À cela s’ajoutera une tournée canadienne, des enregistrements de Haendel chez Deutsche Gramophon et de Bach chez Hyperion et la poursuite de son contrat exclusif d’artiste solo chez SONY Classical BMG. 

[Traduction : Michèle Gaudreau]

www.theatreofearlymusic.com


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