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La Scena Musicale - Vol. 14, No. 2 octobre 2008

Désiré Defauw : Un chaînon essentiel à l’OSM

Par Lyette Ainey / 13 octobre 2008


Le 21 juin 1940, un violoniste et chef d'orchestre belge, surpris par la guerre, s'embarque pour Londres à bord du Léopold ll, avec son Stradivarius, son épouse, son fils et sa belle-fille. Ce musicien, c'est Désiré Defauw (1885-1960). En 1941, il deviendra le premier chef permanent de la Société des concerts symphoniques de Montréal (SCSM), aujourd'hui l'Orchestre Symphonique de Montréal (OSM). Son mandat de douze années (1941-1953) à la tête de l'orchestre sera le plus long jusqu'à la venue de Charles Dutoit en 1977. S'amorce ainsi la lignée de grands chefs qui se poursuit de nos jours avec la nomination de maestro Kent Nagano en 2006.

Formation et carrière européenne

Né à Gand, Désiré Defauw reçoit sa formation de violoniste au Conservatoire de musique de cette ville. Très tôt, il s'intéresse à la musique d'ensemble ainsi qu'à la direction d'orchestre. Dès l'âge de 14 ans, il obtient un premier prix de violon et son talent lui vaut, à 15 ans, d'être engagé comme violon solo de l'Orchestre des concerts d'hiver de Gand. En moins de dix ans, le jeune élève avait complété sa formation, récoltant tous les prix et toutes les distinctions.

Dès l'âge de 17 ans, il amorce une carrière prometteuse. Après une série de concerts de violon à travers l'Europe, Defauw s'installe à Londres en 1906 où il devient, à 21 ans, chef titulaire du New London Symphony Orchestra qu'il dirige durant trois ans. Il crée également son premier orchestre de chambre, The Allied Quartet of London, consacré à la musique contemporaine dont il s'est fait l'ardent défenseur tout au long de sa carrière. C'est durant cette période également qu'il se lie d'amitié avec Maurice Ravel et Richard Strauss et qu'il noue des relations avec des artistes prestigieux, dont Arturo Toscanini qui tiendra un rôle clé dans sa carrière nord-américaine.

De retour à Bruxelles vers 1910, Defauw exerce une influence majeure dans l'éclosion de la vie musicale et artistique belge. Il est premier violon du quatuor Pro Arte et fonde en 1912 son deuxième ensemble, le Quatuor Defauw, ainsi que la Société des Concerts Defauw en 1922. Cette dernière sera à l’origine du premier orchestre permanent de la capitale, l'Orchestre symphonique de Bruxelles. Sa renommée d'interprète et de chef d'orchestre bien établie, Defauw est nommé professeur de violon au Conservatoire d'Anvers en 1922. Il quitte ce poste en 1925, devenant directeur des concerts du Conservatoire royal de musique de Bruxelles, fonction qu'il occupera durant plus de vingt ans. Soucieux de la démocratisation de la musique en milieu scolaire, Defauw instaure à Bruxelles, en 1928, les Concerts pour la jeunesse, formule qu'il reprendra à Montréal de 1941 à 1948, lorsque Wilfrid Pelletier lui confiera la direction des Matinées symphoniques. À la fin des années vingt, Defauw est nommé conseiller musical et premier chef d'orchestre de l'Institut national de radiodiffusion de Belgique avec lequel il réalise plusieurs enregistrements et des émissions de musique contemporaine. En 1932, il fonde l'Orchestre symphonique de Bruxelles, transformé en 1936 en l'Orchestre national de Belgique.

Son rôle au sein de la SCSM

Fondée en novembre 1934, la SCSM existe déjà depuis plus de cinq ans à l'arrivée de Defauw à Montréal, en août 1940. Wilfrid Pelletier (1896-1982), pianiste et chef d'orchestre montréalais, en assure la direction artistique et Pierre Béique (1910-2003) en est l'administrateur. Toutefois, Pelletier est fréquemment retenu à New York par ses engagements professionnels et le manque de stabilité et de rigueur se ressent auprès des musiciens. On réclame de plus en plus un chef permanent. C'est alors que Désiré Defauw entre en scène.

La carrière nord-américaine du chef belge débute en décembre 1939, par une invitation d'Arturo Toscanini. Ces concerts, acclamés par les critiques new-yorkais, sont considérés comme l'un des plus grands triomphes de sa carrière. Ayant assisté à l'un de ces concerts, c'est avec empressement que Pierre Béique invite Defauw à venir diriger le dernier concert d'été au Chalet du Mont-Royal le 29 août 1940, en remplacement du chef qui s'est désisté la veille. Defauw suscite l'enthousiasme et récolte l'unanimité des critiques qui considèrent ce concert comme « l'apothéose de la saison ». Le nom du chef belge est désormais associé à la succession de Wilfrid Pelletier. Dès la saison suivante, il dirigera à titre de chef invité cinq des dix concerts prévus. D'après Gilles Potvin, celle-ci sera la « première véritable saison internationale des CS ». Montréal devient alors la plaque tournante d'artistes prestigieux, confirmant la volonté de Pierre Béique de faire de l'orchestre montréalais un ensemble de haut niveau. En ce début de mandat, Defauw réalise des projets d'envergure qui prolongent la saison régulière. La présentation des neuf symphonies de Beethoven, répartie sur quatre soirées en avril et mai 1941, remporte un succès sans précédent.

La même année, Wilfrid Pelletier songe à renoncer à son engagement avec la SCSM. Lorsqu'il confie son projet à Toscanini, auquel il est étroitement associé par des liens professionnels et d'amitié, celui-ci lui suggère Désiré Defauw comme successeur. Defauw accepte d'assumer, à compter de juin 1941, la direction artistique de la SCSM. Il y trouve un public assidu, conquis par son talent et une programmation équilibrée où plusieurs œuvres de compositeurs modernes sont inscrites au programme. « L'élaboration de mes programmes, comme bien vous le pensez, confie-t-il à sa biographe Marthe Herzberg, me demande infiniment de soins. J'hésite pendant des semaines quant à la place à attribuer à une œuvre. Il ne faut jamais oublier qu'une œuvre peut être éclipsée par le voisinage d'une autre. » Sa culture musicale – il dirige de mémoire toutes les œuvres du répertoire –, son respect des musiciens et sa rigueur sont autant de qualités qui en font un chef recherché. Les saisons 1941 à 1943 soulèvent l'enthousiasme. On dénombre plus de dix mille auditeurs. Les critiques le comparent à Toscanini et louent la nouvelle sonorité de l'orchestre. Sa réussite est telle que, pour répondre aux besoins du public, la direction instaurera en 1944 les concerts jumelés, formule qui existe encore aujourd'hui.

Defauw poursuit simultanément une carrière aux États-Unis, où les critiques le proclament un des plus grands musiciens contemporains. Ainsi, de 1943 à 1947, tout en conservant son poste à Montréal, Désiré Defauw est nommé au prestigieux Chicago Symphony Orchestra. Au prix d’incessants allers-retours entre les deux villes, il dirige, durant l'année 1944, plus de deux cents concerts et différents galas, dont celui du 10e anniversaire de la SCSM. En avril 1948, la réputation du chef permettra le rayonnement de l'orchestre jusqu'à New York. Les musiciens sont invités à se produire pour la National Broadcasting Corporation de New York, dans le cadre d’une série diffusée dans toute l'Amérique du Nord et en Europe.

Désiré Defauw quitte son poste de directeur artistique et chef permanent de la SCSM à la saison 1952-53, après douze années de service. Il retournera diriger en Europe, notamment à Bruxelles. Après avoir été invité à diriger l'Orchestre national belge, Désiré Defauw reçoit en 1958 la médaille de la Reine Élizabeth de Belgique. Il reviendra à Montréal diriger ses trois derniers concerts à titre de chef invité, au Plateau les 14 et 15 décembre 1954, puis le 26 juillet 1955 au chalet du Mont-Royal. L'Université de Montréal ainsi que l'Université Laval lui décerneront respectivement, en 1943 et en 1952, le titre de docteur honoris causa.

Après un bref séjour comme chef d'orchestre au Michigan, il dirigera de 1954 à 1958 le Gary Symphony Orchestra en Indiana. Il décède à Gary, le 25 juillet 1960.

Son héritage

Cet ardent défenseur de la musique de ses contemporains laisse en héritage à Montréal plusieurs manifestations artistiques de haut niveau. On lui doit la direction de plus de sept cent cinquante œuvres, la création et la diffusion d'œuvres canadiennes et l'audition de pages imposantes du répertoire religieux, classique et moderne. Chez les musiciens, il a su créer un enthousiasme et un désir de dépassement ainsi qu'une maturité technique permettant la production de grandes œuvres comme la Messe de Requiem de Verdi, la Damnation de Faust de Berlioz ainsi que des cycles d'œuvres de Brahms, Beethoven et Wagner. Soucieux d’un engagement social et humanitaire, Defauw a participé à plusieurs concerts-bénéfice. Sa formation polyvalente et son expérience internationale auront contribué à ouvrir le cercle des auditeurs québécois à une culture musicale internationale, comme le préconise encore aujourd'hui l'OSM. Entre Wilfrid Pelletier et Kent Nagano, Désiré Defauw constitue, dans les années 1940, un chaînon essentiel.


(c) La Scena Musicale 2002