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La Scena Musicale - Vol. 14, No. 10 juillet 2009

Un été de Brahms : Maestro Nagano sur le Génie Musical

Par Crystal Chan / 8 juillet 2009


Pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur Brahms cet été ?

Brahms figure certes au répertoire de l’OSM, mais cela faisait longtemps que nous n’avions pas donné un grand cycle de ses œuvres. Or, depuis le début de ma collaboration avec l’orchestre, nous nourrissions le projet de nous pencher sur Brahms comme il avait été fait pour Beethoven, Schubert et Schumann. Cette année, au Festival, l’OSM et moi avons la chance de pouvoir inaugurer cette première collaboration avec une série regroupant toutes les symphonies de Brahms, son requiem et d’autres chefs-d’œuvre. Un festival, en effet, est l’occasion de porter un regard neuf sur les œuvres, puisque les concerts ont lieu dans un cadre inhabituel.

Vous avez déjà dit que Mozart est le compositeur que vous préférez. Comment se compare la musique de Brahms à celle de Mozart et d’autres grands compositeurs ?

Pour répondre, il faudrait commencer par se demander ce qu’est un grand compositeur et ce qui fait que ses pièces sont de grandes œuvres. La réponse est partiellement subjective, certes, mais il existe des éléments sur lesquels tout le monde peut tomber d’accord. Les œuvres de grands compositeurs sont assez solides pour résister aux assauts du temps, et elles ont une telle profondeur qu’elles parlent aux générations qui suivent et survivent aux modes et aux changements d’époque. Ces œuvres sont un miroir dans lequel l’humanité se reconnaît. Si l’auditoire et les musiciens sont unanimes pour dire que la musique d’un compositeur est exceptionnelle, qu’elle parle de valeurs universelles, s’adresse à toute l’humanité et est animée par un langage, un style et une personnalité qui la rendent reconnaissable entre toutes, on se trouve devant un phénomène qu’on appelle le génie.

Quelles sont les clés qui permettent de décrypter l’œuvre de Brahms ?

Ce n’est pas une question facile, parce que chacun peut y répondre à sa façon. En ce qui me concerne, à part la maîtrise de la partition et du style, je pense qu’il faut comprendre l’esthétique de l’Allemagne du Nord (Hambourg) et l’influence importante des milieux culturels de Vienne où Brahms a passé l’essentiel de ses années créatives de maturité. Contrairement au lieu commun qui voudrait que la musique de Brahms soit très lourde, en fait, son métissage culturel fait que sa musique est fort délicate, dans le style viennois, mais empreinte d’une nostalgie toute nordique.

En 2002, vous avez dirigé Ein deutsches Requiem (Requiem allemand) avec le National Symphony Orchestra. La programmation de ce concert était originale, puisque vous avez intercalé, entre les différentes parties du requiem, des mouvements d’une œuvre de Rihm, Das Lesen der Schrift (Lire l’écriture). Pensez-vous que la juxtaposition de la musique romantique et contemporaine a fait ressortir quelque chose que vous n’aviez encore jamais remarqué en Brahms ? Après cette expérience, avez-vous abordé le requiem d’une façon différente ?

On oublie souvent qu’à sa création, dirigée par Brahms en personne, des pièces étaient intercalées entre les mouvements, une première dans l’histoire de la musique. D’ailleurs, à cette occasion, seule une partie du requiem avait été présentée, en plus des œuvres d’autres compositeurs, notamment des extraits du Messie de Haendel. En effet, même si les textes choisis par Brahms venaient de la Bible, il semble que les promoteurs du concert se soient inquiétés de l’absence de toute mention du Christ. Étant donné que c’était un concert de Pâques, on a décidé de rajouter des extraits d’autres œuvres pour compléter le récit de la Passion. Il n’existe donc aucune obligation de présenter cette œuvre dans l’ordre, sauf si l’on s’en tient aux conventions établies.

D’autre part, une performance séquentielle entraîne le risque que la force de l’habitude émousse l’impact du texte, qui pose de grandes questions existentielles et spirituelles. De plus, c’est très éprouvant pour le chœur sur le plan physique. Ce dernier point est surtout vrai en ce qui concerne les parties où l’écriture est particulièrement touffue, par exemple entre le 6e et le 7e mouvement. Rihm a composé des intermezzos qui s’inspirent des tonalités, des textures et du contenu des mouvements qui les précèdent immédiatement et qui amènent l’auditeur graduellement vers le mouvement suivant. Pour l’auditoire, c’est un temps de réflexion sur le sens des textes qu’il vient d’entendre.

Brahms a composé quatre symphonies qui sont autant de chefs-d’œuvre. Comment ses symphonies se comparent-elles entre elles et à celles des autres grands ?

Elles ont donné l’impulsion aux symphonies romantiques qui suivaient les traces de Beethoven. Il est toutefois impossible de comparer ces grandes symphonies l’une à l’autre, puisqu’elles sont très différentes. La Première a connu un succès éclatant dès sa création, faisant la preuve que Brahms était le digne héritier de Beethoven. Brahms fut un visionnaire qui a infléchi l’évolution de la musique en Europe et exercé une énorme influence sur les compositeurs qui l’ont suivi, en particulier Arnold Schoenberg et Richard Strauss, avec leurs styles musicaux radicalement différents. Quand on écoute les quatre symphonies, on se rend compte que le compositeur a poussé les limites de l’harmonie et de la structure jusqu’à les faire sauter. D’ailleurs, on dit que la Quatrième est la dernière symphonie romantique. Entre la tension qui se manifeste dans le dernier mouvement, doux mais révolutionnaire, de la Troisième et le caractère brillant de la passacaille aux robustes harmonies qui forme le dernier mouvement de la Quatrième, on ne peut qu’admirer le génie précurseur de Brahms.

Quelles sont les difficultés quand on

dirige et qu’on joue du Brahms ?

Trouver la légèreté et le raffinement délicat dans la puissance et la force. La couleur, la langue, la souplesse doivent être au rendez-vous. Ce n’est qu’à ce prix que l’œuvre peut prendre vie. n

[Traduction par Anne Stevens]


Nagano au concert :
1 août – Un requiem allemand de Brahms; Festival de Lanaudière, www.lanaudiere.org
7, 8, 13, 16 août – les symphonies de Brahms; Festival de Knowlton, www.knowltonfestival.com


(c) La Scena Musicale 2002