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La Scena Musicale - Vol. 14, No. 1 septembre 2008

Carnet de voyage Marrakech, que pour le plaisir des yeux !

Par Julie Beaulieu / 2 septembre 2008


« Entre, viens voir, que pour le plaisir des yeux?», scandent à tour de rôle les marchands prêts à vendre aux gazelles monde et merveilles. Lanternes, babouches, sacs à mains et écharpes aux couleurs saturées décorent les traditionnels souks, dédale de minuscules ruelles où les Marrakchis de la médina font quotidiennement leurs courses.

Pour le plaisir des yeux, je me laisse guider par un mari aux allures berbères, enivrée par le rythme trépidant d’une ville qui vibre au son de l’appel à la prière comme à celui des frénétiques joueurs de tambour, installés jusqu’à tard le soir sur la fumante place Jemaâ el-Fna. Pour le plaisir des yeux, je découvre une tradition artistique riche de ses arabesques géométriques comme de ses couleurs.

Bienvenue au Dar Rassam !

Au Dar Rassam (la maison du peintre), nous sommes accueillis comme de véritables sultan et sultane par l’équipe de Marrakech-médina, et selon la coutume des nouveaux mariés?: une pluie de pétales de rose, des boissons chaudes à base de lait et de dattes fraîches servies sur un plateau d’argent. Nous suivons dans l’enceinte de cette maison traditionnelle marocaine la maîtresse de maison, Khadija, qui nous propose gentiment de passer au salon pour se détendre et boire le fameux whisky berbère (thé à la menthe marocaine).

L’espace est chaleureux, confortable et la décoration reflète l’architecture tradition?nelle de la maison?: divan et table basse pour faciliter la détente et le confort, tapisseries aux multiples motifs et coloris, soie qui luit à la lumière, nombreux coussins aux couleurs vives. Au sol, tapis rouge fait main et sur les murs des reproductions de scènes arabes ou berbères – la distinction n’est pas évidente au premier coup d’?il. Des arrangements floraux, des lampions et des chandeliers garnissent la pièce de laquelle se dégage un délicieux parfum d’Orient?: un savant mélange de menthe marocaine et de sucre, dont l’eau bouillante accentue les notes piquantes.

Chefs-d’oeuvre de Marrakech

S’engouffrer dans la médina est sans doute la première activité à laquelle s’adonner après une bonne nuit de sommeil. Si votre cerveau est équipé d’un GPS, vous n’aurez aucun problème. Le cas échéant, vous chercherez un peu plus longuement, Cartoville en main, et trouverez seul votre chemin. Reste la dernière option?: on vous repère rapidement (surtout si vous examinez une carte?!) et vous indique le chemin à prendre moyennant un peu d’argent. Il faut savoir d’emblée que la notion du pourboire est particulièrement bien ancrée dans les us et coutumes des Marrakchis. Prévoyez donc un peu de monnaie.

Pour cette première journée, nous avons choisi de nous en remettre à un guide officiel – attention aux «?faux guides?» qui rôdent autour des monuments et quartiers touristiques. Après une escapade réussie dans les souks, nous débouchons sur un véritable trésor architectural, la médersa Ben-Youssef. Cette ancienne université coranique, laquelle a accueilli des étudiants jusqu’en 1956, fut fondée par le sultan mérinide Abou el-Hassan au milieu du XIVe siècle. Elle fut entièrement reconstruite en 1564-1565 par Moulay Abdallah, qui en fit à l’époque la plus importante université coranique du Maghreb (elle pouvait recevoir jusqu’à 900 étudiants).

La culture islamique a su développer à sa façon et selon sa propre inspiration les arts décoratifs et architecturaux hérités entre autres des Arabes, des Byzantins, des Perses et des Romains. Ils se caractérisent par une simplicité des lignes et un foisonnement des détails souvent inspirés de formes naturelles.

La cour de la médersa Ben-Youssef en est un magnifique exemple. Couverte de marbre blanc au sol, cette vaste pièce à aire ouverte laisse courir au bas de ses murs le zellige (marqueterie de céramique), un art dérivé des mosaïques byzantines, fait de pierres aux coloris naturels et de smalts. La modestie de son origine ainsi que l’incroyable habileté dont il faut faire preuve pour le travailler font du zellige un produit tout à fait artisanal. On retrouve au-dessus le stuc (gebs) blanc laiteux, ciselé de motifs géométriques et floraux et d’arabesques calligraphiques. Le bois de cèdre, à la fois malléable et imputrescible lorsque bien séché, est richement sculpté, découpé ou peint. Depuis l’étage où se trouvent les chambres d’étudiants, l’effet est des plus saisissants. De près, on distingue les nombreuses heures accordées à un travail minutieux et savamment maîtrisé.

Adjacent à la médersa se trouve le Musée Marrakech, qui abrite en son sein un ancien hammam (bain de vapeur). Comme la médersa Ben-Youssef, le musée fut rénové en 1999 grâce au riche mécène et industriel Omar Benjelloun (décédé en 2003). Moins imposante que la médersa Ben-Youssef, la salle principale, un patio traditionnel avec ses fontaines et son lustre de bois suspendu, demeurent toutefois digne d’intérêt.

La splendeur des palais princiers

À la fin du XVIe siècle, le palais El-Badi, érigé par le Saâdien Ahmed el-Mansour, était considéré comme la merveille du monde musulman. Surnommée l’« Incomparable », un des 99 noms de Dieu, cette construction d’envergure aurait comporté près de 360 pièces et une immense cour rectangulaire. Cependant, dès l’arrivée au pouvoir du souverain alaouite Moulay Ismaïl, le palais fut démantelé au profit de Meknès, sa nouvelle capitale.

Il faut donc une bonne dose d’imagination, voire la présence d’un guide, pour arriver à recréer virtuellement sa splendeur. Néanmoins, si vous êtes attentifs aux détails, vous pourrez admirer quelques vestiges décoratifs et architecturaux de l’époque, restitués à la suite de fouilles archéologiques. Jeter d’abord un ?il aux couleurs, motifs et matériaux de la médersa Ben-Youssef et du musée de Marrakech avant de franchir l’enceinte du palais. Vous aurez alors beaucoup moins de difficulté à embrasser la beauté désormais révolue de cette immense résidence princière.

Le palais de la Bahia vous offrira par contre une tout autre expérience sensorielle. « La Brillante » est une belle et vaste demeure princière de construction plus récente. Érigée et aménagée au XIXe siècle sur les ordres de Si Moussa, il s’agit en fait d’une juxtaposition de riads qui fut réalisée au gré des acquisitions des propriétaires. La partie la plus ancienne a d’ailleurs servi à loger les quatre épouses de son fils Ba Ahmed, ses 24 concubines ainsi que sa ribambelle d’enfants.

Nourri des traditions andalouses, l’architecte Mohammed al-Makki al-Masfioui a réalisé les grands appartements du palais avec l’aide des meilleurs artisans du pays. La cour de marbre, dite «?cour d’honneur?», magnifiquement proportionnée, est entourée d’une galerie de colonnes ciselées et peintes. Au centre de cette cour, qui sert de parvis à la salle de réception, trois vasques à jets d’eau aménagent l’espace qui respire la richesse, la beauté et la sérénité. Vous pourrez aussi admirer plusieurs plafonds de bois finement sculptés et peints dans les tons de rouge, de vert et de doré – attention aux torticolis ! – et de magnifiques marqueteries aux couleurs vives.

Le secret des tombeaux saâdiens

Comme pour la majorité des attractions de Marrakech, nous avions loupé l’entrée principale de peu. Et pour cause, l’entrée est à peine visible ! Seul le gardien, assis sur une chaise, nous indique que si, nous sommes bien au bon endroit. «?À votre gauche, je vous prie?», lance-t-il, avant de retourner à son journal. Je n’ose m’aventurer dans ce minuscule corridor, mais le regard insistant de mon mari m’indique que c’est bien là notre chemin.

Littéralement emmurés pendant plus de deux siècles puis oubliés, les tombeaux saâdiens témoignent sans contredit du goût pour le faste du sultan Ahmed el-Mansour (1578-1603). Si le jardin fleuri demeure plutôt modeste, cette splendide nécropole, cernée par de hautes murailles qui ont servi à la préserver des regards, présente une architecture où l’arc brisé, les imposantes colonnes sculptées et les fresques décoratives sont à l’honneur. La salle des Rois est d’ailleurs reconnue pour la pureté de ses lignes. Pas moins de douze colonnes de marbre de Carrare soutiennent la coupole en bois de cèdre sculpté de motifs de dentelle et rehaussée d’une touche d’or. Si l’ornementation de la médersa Ben-Youssef demeure un pur délice pour les yeux, celle-ci témoigne d’une rare maîtrise. En effet, les muqarnas, ces stalactites de bois suspendues, témoignent du savoir-faire des artisans, de même que la composition du zellige et des stucs ciselés qui tapissent les murs. On aimerait pouvoir admirer la splendeur de cette pièce de l’intérieur, mais on la regarde depuis les fenêtres ouvertes qui donnent sur le jardin, symbole du paradis d’Allah.

Les trésors cachés de la médina

Matin, midi et soir nous traversons le derb Dabachi, un des plus vieux de la médina. Nous nous enfonçons chaque fois dans un véritable labyrinthe de petites ruelles qui bifurquent dans tous les sens pour finalement aboutir dans des coins sombres et déserts où les chats errants sont rois. Qui peut imaginer que derrière ces murs délavés se cachent de véritables trésors?? Car c’est à l’abri de tous les regards, et bien souvent au tréfonds du derb, que se dissimule le riad, trésor caché de la médina.

Le riad (ou maison traditionnelle arabe) est construit autour d’une cour intérieure dans laquelle se trouve généralement un bassin d’eau ou une fontaine. Il s’agit littéralement d’un jardin dans une maison ou d’une maison construite autour d’un jardin. À la fois mystérieux, car il préserve l’intimité familiale, et merveilleux, il sait se faire puits de lumière tout en assurant une climatisation naturelle. Traditionnellement, le riad a été conçu pour accueillir l’entièreté de la famille (soit trois ou quatre générations). Il se compose généralement d’une terrasse aménagée sur le toit, d’un salon pour la détente au rez-de-chaussée ainsi que d’une salle à manger et d’une cuisine où sont concoctés les traditionnels tajines, couscous et pastillas. Les chambres se situent à l’étage et leur nombre varie selon la taille du riad.

Depuis la ruelle, le riad ressemble à un vulgaire bloc de béton, ce qui contraste énormément avec la beauté de son décor intérieur. S’il est d’inspiration hispano-mauresque, le riad se transforme en un véritable petit palais avec ses zelliges, formant de jolies mosaïques géométriques autour de la fontaine centrale. Ses boiseries finement sculptées, qui ornent portes et fenêtres, et ses tissus aux couleurs chaudes et vives, dont les draperies, tapis et recouvrements en tout genre. Le soir, les ombres vacillent à la lueur des lanternes et lampions qui ajoutent une touche de sérénité à cet ensemble architectural des plus paisibles. Car le riad est un véritable havre de paix; on s’y retrouve, s’y recueille et s’y repose paisiblement.


(c) La Scena Musicale 2002