Carnet de voyage Marrakech, que pour le plaisir des yeux ! Par Julie Beaulieu
/ 2 septembre 2008
« Entre, viens voir, que pour le
plaisir des yeux?», scandent à tour de rôle les marchands prêts
à vendre aux gazelles monde et merveilles. Lanternes, babouches, sacs
à mains et écharpes aux couleurs saturées décorent les traditionnels
souks, dédale de minuscules ruelles où les Marrakchis de la médina
font quotidiennement leurs courses.
Pour le plaisir des yeux, je me laisse
guider par un mari aux allures berbères, enivrée par le rythme trépidant
d’une ville qui vibre au son de l’appel à la prière comme à celui
des frénétiques joueurs de tambour, installés jusqu’à tard le
soir sur la fumante place Jemaâ el-Fna. Pour le plaisir des yeux, je
découvre une tradition artistique riche de ses arabesques géométriques
comme de ses couleurs.
Bienvenue au Dar Rassam !
Au Dar Rassam (la maison du peintre),
nous sommes accueillis comme de véritables sultan et sultane par l’équipe
de Marrakech-médina, et selon la coutume des nouveaux mariés?: une
pluie de pétales de rose, des boissons chaudes à base de lait et de
dattes fraîches servies sur un plateau d’argent. Nous suivons dans
l’enceinte de cette maison traditionnelle marocaine la maîtresse
de maison, Khadija, qui nous propose gentiment de passer au salon pour
se détendre et boire le fameux whisky berbère (thé à la menthe marocaine).
L’espace est chaleureux, confortable
et la décoration reflète l’architecture tradition?nelle de la maison?:
divan et table basse pour faciliter la détente et le confort, tapisseries
aux multiples motifs et coloris, soie qui luit à la lumière, nombreux
coussins aux couleurs vives. Au sol, tapis rouge fait main et sur les
murs des reproductions de scènes arabes ou berbères – la distinction
n’est pas évidente au premier coup d’?il. Des arrangements floraux,
des lampions et des chandeliers garnissent la pièce de laquelle se
dégage un délicieux parfum d’Orient?: un savant mélange de menthe
marocaine et de sucre, dont l’eau bouillante accentue les notes piquantes.
Chefs-d’oeuvre de Marrakech
S’engouffrer dans la médina est
sans doute la première activité à laquelle s’adonner après une
bonne nuit de sommeil. Si votre cerveau est équipé d’un GPS, vous
n’aurez aucun problème. Le cas échéant, vous chercherez un peu
plus longuement, Cartoville en main, et trouverez seul votre chemin.
Reste la dernière option?: on vous repère rapidement (surtout si vous
examinez une carte?!) et vous indique le chemin à prendre moyennant
un peu d’argent. Il faut savoir d’emblée que la notion du pourboire
est particulièrement bien ancrée dans les us et coutumes des Marrakchis.
Prévoyez donc un peu de monnaie.
Pour cette première journée, nous
avons choisi de nous en remettre à un guide officiel – attention
aux «?faux guides?» qui rôdent autour des monuments et quartiers
touristiques. Après une escapade réussie dans les souks, nous débouchons
sur un véritable trésor architectural, la médersa Ben-Youssef. Cette
ancienne université coranique, laquelle a accueilli des étudiants
jusqu’en 1956, fut fondée par le sultan mérinide Abou el-Hassan
au milieu du XIVe siècle. Elle fut entièrement reconstruite en 1564-1565
par Moulay Abdallah, qui en fit à l’époque la plus importante université
coranique du Maghreb (elle pouvait recevoir jusqu’à 900 étudiants).
La culture islamique a su développer
à sa façon et selon sa propre inspiration les arts décoratifs et
architecturaux hérités entre autres des Arabes, des Byzantins, des
Perses et des Romains. Ils se caractérisent par une simplicité des
lignes et un foisonnement des détails souvent inspirés de formes naturelles.
La cour de la médersa Ben-Youssef
en est un magnifique exemple. Couverte de marbre blanc au sol, cette
vaste pièce à aire ouverte laisse courir au bas de ses murs le zellige
(marqueterie de céramique), un art dérivé des mosaïques byzantines,
fait de pierres aux coloris naturels et de smalts. La modestie de son
origine ainsi que l’incroyable habileté dont il faut faire preuve
pour le travailler font du zellige un produit tout à fait artisanal.
On retrouve au-dessus le stuc (gebs) blanc laiteux, ciselé de motifs
géométriques et floraux et d’arabesques calligraphiques. Le bois
de cèdre, à la fois malléable et imputrescible lorsque bien séché,
est richement sculpté, découpé ou peint. Depuis l’étage où se
trouvent les chambres d’étudiants, l’effet est des plus saisissants.
De près, on distingue les nombreuses heures accordées à un travail
minutieux et savamment maîtrisé.
Adjacent à la médersa se trouve
le Musée Marrakech, qui abrite en son sein un ancien hammam (bain de
vapeur). Comme la médersa Ben-Youssef, le musée fut rénové en 1999
grâce au riche mécène et industriel Omar Benjelloun (décédé en
2003). Moins imposante que la médersa Ben-Youssef, la salle principale,
un patio traditionnel avec ses fontaines et son lustre de bois suspendu,
demeurent toutefois digne d’intérêt.
La splendeur des palais princiers
À la fin du XVIe siècle, le palais
El-Badi, érigé par le Saâdien Ahmed el-Mansour, était considéré
comme la merveille du monde musulman. Surnommée l’« Incomparable
», un des 99 noms de Dieu, cette construction d’envergure aurait
comporté près de 360 pièces et une immense cour rectangulaire. Cependant,
dès l’arrivée au pouvoir du souverain alaouite Moulay Ismaïl, le
palais fut démantelé au profit de Meknès, sa nouvelle capitale.
Il faut donc une bonne dose d’imagination,
voire la présence d’un guide, pour arriver à recréer virtuellement
sa splendeur. Néanmoins, si vous êtes attentifs aux détails, vous
pourrez admirer quelques vestiges décoratifs et architecturaux de l’époque,
restitués à la suite de fouilles archéologiques. Jeter d’abord
un ?il aux couleurs, motifs et matériaux de la médersa Ben-Youssef
et du musée de Marrakech avant de franchir l’enceinte du palais.
Vous aurez alors beaucoup moins de difficulté à embrasser la beauté
désormais révolue de cette immense résidence princière.
Le palais de la Bahia vous offrira
par contre une tout autre expérience sensorielle. « La Brillante »
est une belle et vaste demeure princière de construction plus récente.
Érigée et aménagée au XIXe siècle sur les ordres de Si Moussa,
il s’agit en fait d’une juxtaposition de riads qui fut réalisée
au gré des acquisitions des propriétaires. La partie la plus ancienne
a d’ailleurs servi à loger les quatre épouses de son fils Ba Ahmed,
ses 24 concubines ainsi que sa ribambelle d’enfants.
Nourri des traditions andalouses,
l’architecte Mohammed al-Makki al-Masfioui a réalisé les grands
appartements du palais avec l’aide des meilleurs artisans du pays.
La cour de marbre, dite «?cour d’honneur?», magnifiquement proportionnée,
est entourée d’une galerie de colonnes ciselées et peintes. Au centre
de cette cour, qui sert de parvis à la salle de réception, trois vasques
à jets d’eau aménagent l’espace qui respire la richesse, la beauté
et la sérénité. Vous pourrez aussi admirer plusieurs plafonds de
bois finement sculptés et peints dans les tons de rouge, de vert et
de doré – attention aux torticolis ! – et de magnifiques marqueteries
aux couleurs vives.
Le secret des tombeaux saâdiens
Comme pour la majorité des attractions
de Marrakech, nous avions loupé l’entrée principale de peu. Et pour
cause, l’entrée est à peine visible ! Seul le gardien, assis sur
une chaise, nous indique que si, nous sommes bien au bon endroit. «?À
votre gauche, je vous prie?», lance-t-il, avant de retourner à son
journal. Je n’ose m’aventurer dans ce minuscule corridor, mais le
regard insistant de mon mari m’indique que c’est bien là notre
chemin.
Littéralement emmurés pendant plus
de deux siècles puis oubliés, les tombeaux saâdiens témoignent sans
contredit du goût pour le faste du sultan Ahmed el-Mansour (1578-1603).
Si le jardin fleuri demeure plutôt modeste, cette splendide nécropole,
cernée par de hautes murailles qui ont servi à la préserver des regards,
présente une architecture où l’arc brisé, les imposantes colonnes
sculptées et les fresques décoratives sont à l’honneur. La salle
des Rois est d’ailleurs reconnue pour la pureté de ses lignes. Pas
moins de douze colonnes de marbre de Carrare soutiennent la coupole
en bois de cèdre sculpté de motifs de dentelle et rehaussée d’une
touche d’or. Si l’ornementation de la médersa Ben-Youssef demeure
un pur délice pour les yeux, celle-ci témoigne d’une rare maîtrise.
En effet, les muqarnas, ces stalactites de bois suspendues, témoignent
du savoir-faire des artisans, de même que la composition du zellige
et des stucs ciselés qui tapissent les murs. On aimerait pouvoir admirer
la splendeur de cette pièce de l’intérieur, mais on la regarde depuis
les fenêtres ouvertes qui donnent sur le jardin, symbole du paradis
d’Allah.
Les trésors cachés de la médina
Matin, midi et soir nous traversons
le derb Dabachi, un des plus vieux de la médina. Nous nous enfonçons
chaque fois dans un véritable labyrinthe de petites ruelles qui bifurquent
dans tous les sens pour finalement aboutir dans des coins sombres et
déserts où les chats errants sont rois. Qui peut imaginer que derrière
ces murs délavés se cachent de véritables trésors?? Car c’est
à l’abri de tous les regards, et bien souvent au tréfonds du derb,
que se dissimule le riad, trésor caché de la médina.
Le riad (ou maison traditionnelle
arabe) est construit autour d’une cour intérieure dans laquelle se
trouve généralement un bassin d’eau ou une fontaine. Il s’agit
littéralement d’un jardin dans une maison ou d’une maison construite
autour d’un jardin. À la fois mystérieux, car il préserve l’intimité
familiale, et merveilleux, il sait se faire puits de lumière tout en
assurant une climatisation naturelle. Traditionnellement, le riad a
été conçu pour accueillir l’entièreté de la famille (soit trois
ou quatre générations). Il se compose généralement d’une terrasse
aménagée sur le toit, d’un salon pour la détente au rez-de-chaussée
ainsi que d’une salle à manger et d’une cuisine où sont concoctés
les traditionnels tajines, couscous et pastillas. Les chambres se situent
à l’étage et leur nombre varie selon la taille du riad.
Depuis la ruelle, le riad ressemble
à un vulgaire bloc de béton, ce qui contraste énormément avec la
beauté de son décor intérieur. S’il est d’inspiration hispano-mauresque,
le riad se transforme en un véritable petit palais avec ses zelliges,
formant de jolies mosaïques géométriques autour de la fontaine centrale.
Ses boiseries finement sculptées, qui ornent portes et fenêtres, et
ses tissus aux couleurs chaudes et vives, dont les draperies, tapis
et recouvrements en tout genre. Le soir, les ombres vacillent à la
lueur des lanternes et lampions qui ajoutent une touche de sérénité
à cet ensemble architectural des plus paisibles. Car le riad est un
véritable havre de paix; on s’y retrouve, s’y recueille et s’y
repose paisiblement. |
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