Entretien avec Denis Côté Par Jason Béliveau
/ 2 septembre 2008
Pour plusieurs, Denis Côté est
au Québec l’exemple parfait du cinéaste refusant obstinément de
se mettre en rang à l’intérieur d’une industrie commerciale. Cette
indépendance soutenue dans la gérance des moyens de production fait
de Côté, pour le meilleur et pour le pire, l’irréductible Gaulois
repoussant l’Empire. Pour le meilleur, car le cinéaste obstiné finira
toujours par retenir l’attention du cinéphile invétéré, pour le
pire, car cette obstination risque de devenir le sobriquet tatoué,
la marque de commerce péjorative restreignant parfois la visibilité.
« J’accepte ma réputation de cinéaste qu’on associe aux festivals,
à des trucs un peu pointus, à quelque chose de bizarre, de snob même,
répond Côté. J’ai l’étiquette de l’indépendant farouche et
je l’ai assumée. Je suis un peu moins à l’aise par contre quand
on me cantonne dans la catégorie des “purs et durs”, des “intransigeants”.
Ça envoie un message agressif et révolté aux gens d’un milieu plus
mainstream avec qui j’aimerais bien travailler. C’est à moi de
prouver que je peux élargir mon public avec mon travail. »
Même s’il est facile de réduire
ses deux premiers longs métrages à des morceaux de bravoure (Les états
nordiques et Nos vies privées ayant respectivement coûté 100 000
et 20 000 $), leurs qualités cinématographiques semblent encourager
la méthode do it yourself de Côté. Après une série de participations
à de nombreux festivals dans le monde, le cinéaste nous présente
cet automne Elle veut le chaos, son premier long métrage tourné selon
les règles de l’industrie cinématographique québécoise, avec un
budget d’un million de dollars et une distribution majoritairement
connue du public (Nicolas Canuel, Ève Duranceau, Normand Lévesque).
Au moment d’écrire ces lignes, un quatrième long métrage s’achève
(Carcasses) alors qu’un autre scénario (Curling) risque d’entrer
très prochainement en production. Pour Côté, cette fécondité va
d’elle-même. « Je suis entêté, je ne doute jamais longtemps et
je crois aux élans créatifs du moment, quitte à le regretter un peu
plus tard. J’ai commencé et complété très rapidement plus d’une
quinzaine de courts métrages et trois longs métrages jusqu’ici.
Pourquoi si vite ? Je ne sais pas. J’ai parfois l’impression de
faire une course contre la montre. Et je vous jure que je n’aime pas
cette impression, je ne comprends pas très bien cette impulsion. Ça
cache quelque chose qui me dépasse. »
Elle veut le chaos raconte la dérive
de Coralie (Duranceau) et de son beau-père ex-mafieux (Lévesque) vivant
dans une maison de campagne le deuil de la mère/femme récemment disparue.
Entouré de criminels aux projets douteux et ayant de la difficulté
à joindre les deux bouts, le tandem tentera de se refaire une vie à
l’abri des regards. Semblant tirer davantage vers la comédie noire
que ses deux premiers longs métrages, la taille de la production aurait
tout de même pu couper le sifflet du jeune cinéaste. Soumis aux règles
de l’Union des artistes et de l’Association québécoise des techniciens
de l’image et du son, bénéficiant également d’une plus imposante
équipe technique, le tournage s’est tout de même déroulé sans
difficulté. « J’ai constaté avec plaisir que je peux aussi terminer
dans la bonne humeur un projet plus lourd comme Elle veut le chaos »,
dit Côté. Mais augmentation des moyens signifie en contrepartie moins
de liberté pendant le tournage. « Elle veut le chaos était scénarisé
à la virgule près, chaque plan était décidé des jours à l’avance,
ajoute-t-il. Le film a été tourné selon un horaire strict en équipe
de 25 personnes. Notre système ne permet pas vraiment de contourner
et d’expérimenter comme on le voudrait. Il faut tout préparer d’avance
et reproduire sur place nos notes sans trop déroger. Au tournage, le
film ne se refait plus, malheureusement. Je dis malheureusement, car
c’est la lourdeur de nos méthodes de production au Québec qui le
veut ainsi. » Parlant de son rapport avec la distribution majoritairement
professionnelle du film, Côté note immédiatement une différence
avec la direction de comédiens non professionnels. « Étant expérimenté
avec les non-pros, je glisse bien vers l’énergie des professionnels,
qui eux m’offrent une discipline nouvelle et un travail intérieur
que je ne peux pas attendre des non-pros. Je tiens par contre à ce
que les pros n’aillent pas puiser dans une psychologie que je juge
trop pointue et trop élaborée pour mon style de cinéma et de narration
distanciée. Sur Elle veut le chaos, ils m’ont tous donné de belles
tonalités et de belles subtilités malgré le caractère mécanique
de ce qui leur était demandé. Il n’y a pas eu de place à l’improvisation.
Je laisse les non-pros improviser, pas les pros. Les pros, je les laisse
proposer. »
S’il est pratiquement impossible
de prévoir la réception d’Elle veut le chaos sur nos terres (le
film sera vraisemblablement en salle au Québec à la fin de l’automne),
il est à noter que Denis Côté a reçu le prix de la mise en scène
lors de la 61e édition du Festival du film de Locarno, Suisse
en août dernier. Ce prix s’ajoute au Léopard d’or, section vidéo
du festival, édition 2005 pour Les états nordiques. Ledit prix risque-t-il
d’influencer sa distribution en salle ici ? « L’industrie me connaît
maintenant, je me suis fait admettre, on reconnaît que mon travail
a une belle visibilité à l’étranger et je ne crois pas être en
brouille avec le milieu d’ici. Mais il y a cette idée qui s’accroche
que c’est difficile de travailler avec moi, que j’ai des opinions
tranchées; certains disent que je suis prétentieux. C’est la vie.
C’est peut-être pour ça que je tourne beaucoup et souvent. Pour
être certain de montrer toutes sortes de facettes, pour être certain
de me battre contre l’anonymat, l’oubli. Quoi que certains en disent,
l’artiste veut toujours être dans l’il d’un spectateur et cherche
tous les moyens pour y arriver. Je ne prétends pas être différent.
»
Le film sera présenté
lors de la prochaine édition du FNC
à Montréal du 8 au 18 octobre, www.nouveaucinema.ca |
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