Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 13, No. 8 mai 2008

Judith Cohen : une ethnomusicologue de cœur

Par Bruno Deschênes / 11 mai 2008


L’ethnomusicologue montréalaise Judith Cohen sort littéralement des sentiers battus de la recherche ethnomusicologique. D’une part, elle étudie la musique de cultures très diverses, dont des chants de femmes, et, d’autre part, elle chante elle-même ces chants appris lors de ses excursions ethnomusicologiques. Elle ne désire pas étudier ces musiques uniquement par intérêt académique; elle désire nous les faire connaître lors de concerts qu’elle anime, telle une conteuse, avec sa fille qui l’a souvent accompagnée lors de ses nombreux voyages. Elle a aussi lancé plusieurs CDs1.

Judith Cohen a commencé par étudier la musique des femmes du Moyen-Âge espagnol, plus spécifiquement la musique des femmes chrétiennes, juives et musulmanes de la péninsule ibérique. Par la suite, dans le cadre de son doctorat, elle a étudié les chants judéo-espagnols des communautés séfarades de Montréal et de Toronto, une recherche qui l’a amenée par la suite en Espagne et au Portugal ainsi que dans plusieurs pays où nous retrouvons des communautés séfarades, lui permettant ainsi de découvrir des traditions musicales très peu connues. Elle enseigne aujourd’hui à l’Université York à Toronto.

L’Espagne, comme on la connaît aujourd’hui, a vu le jour en 1492. À la suite de la conquête de la péninsule par les chrétiens, les Juifs et les Maures ont été expulsés (les derniers Maures partiront en 1610). La plupart des Juifs se sont retrouvés dans les Balkans, en Bulgarie, en Turquie, en Grèce, à Jérusalem, soit dans l’Empire ottoman. Certains se sont rendus dans le Maghreb, mais surtout au nord du Maroc, bien qu’on en retrouve en Tunisie. (Un grand nombre de Juifs séfarades résidant à Montréal sont originaires du nord du Maroc.)

Le mot « séfarad » est un mot hébreu qui désignait originalement la péninsule ibérique. Aujourd’hui, ce mot désigne les communautés juives originaires de la péninsule ibérique, les distinguant ainsi des Juifs ashkénazes. Un certain nombre de ces Juifs sont demeurés en Espagne et au Portugal. Mais pour éviter les persécutions, ils ont dû se convertir au christianisme. Principalement au Portugal, plusieurs d’entre eux ont réussi à conserver leur religion, dans le plus grand secret.

La musique séfarade est souvent présentée comme une musique médiévale, ce qui est faux. Elle possède des racines qui datent de l’époque médiévale, certes, mais cela n’en fait pas une musique ancienne. En fait, la musique séfarade est une tradition de la diaspora, soit ces communautés exilées qui cherchent à maintenir certaines traditions musicales de la région d’où ils sont originaires, tout en les adaptant aux rythmes et mélodies de leur pays d’accueil et en créant de nouvelles formes d’expression.

Judith Cohen étudie aussi les chansons narratives paneuropéennes, c’est-à-dire des ballades judéo-espagnoles dont nous pouvons retrouver des variantes dans d’autres coins de l’Europe, que ce soit la France, l’Italie, la Grèce, l’Angleterre, voire au Québec ou en Louisiane.

Quant à ses concerts et ses CDs, Judith Cohen est chanteuse, mais aussi conteuse. En spectacle, elle nous fait connaître les contextes historiques, sociaux et culturels dans lesquels les chansons qu’elle interprète ont été créées et sont chantées. Lorsqu’elle chante des ballades, par exemple, elle nous fera connaître plusieurs versions, dans leurs langues originales. Les chansons qu’elle nous propose n’ayant pas été écrites pour la scène, elle ne peut bien sûr les chanter d’une façon typiquement traditionnelle. Elle doit adapter son interprétation au contexte moderne actuel. Cependant, elle ne fait pas d’arrangement ou d’harmonisation à l’occidentale de ces chansons. Généralement, sa fille se joint à elle. Parfois, elle se fait accompagner d’une vielle à archet médiévale, d’un oud arabe ou bien de percussions à main.

1 http://www.yorku.ca/judithc/MainEng.htm


(c) La Scena Musicale 2002