Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 13, No. 7 avril 2008

Hiver 2008 sous les tropiques !

Par Aline Apostolska / 13 avril 2008


D’accord, on aura connu l’hiver le plus neigeux depuis 1965, mais on aura aussi vu de fabuleux spectacles en cet hiver. Des images inoubliables et des émotions suffisamment fortes pour tenir nos imaginaires et nos sens alertes.

En vrac, donc, quelques grands moments des quatre derniers mois en remontant à décembre 2007. Je passerai totalement sous silence le Kiss Bill de Paola de Vasconcelos pour m’extasier sur le programme en quatre solos de Natasha Bakht. Bakht, c’est de la dentelle contemporaine tissée avec de la soie indienne millénaire. Précision de la gestuelle, extrême épure de l’architecture chorégraphique, mélange improbable, mais réussi, d’élégance aérienne et de puissance tellurique, perfection physique et aura de beauté, tout cela laisse le spectateur subtilement envoûté. En janvier, soulignons les Suites cruelles d’Hélène Blackburn pour sa rythmique, son atmosphère sensuelle et la magnifique prestation des interprètes tout en regrettant les multiples emprunts, fort reconnaissables, faits à d’autres chorégraphes…Janvier, ce fut aussi la reprise d’Un peu de tendresse bordel de merde de Dave St-Pierre, accompagnée de l’habituelle polémique autour de l’utilisation de la nudité, le transcendant solo Synthesis as composure II de Peter Trosztmer à Tangente, en suite à celui de l’an dernier et toujours avec autant de trouvailles et de richesse d’interprétation. Surtout, ce fut l’occasion de revoir Anne Teresa de Keersmaeker dans ce qui est historiquement sa première pièce, créée en 1982, Fase, duo hallucinant d’architecture métronomique qu’elle exécute, vingt-six ans après, avec une danseuse, qui, elle, a vingt-six ans ! Parfois, lorsque le talent d’un artiste a été confirmé, il est ainsi intéressant de revenir sur la propédeutique à partir de laquelle l’œuvre s’est déployée. C’est risqué, évidemment, car, à oser revisiter ainsi son œuvre originelle, on peut être déçu, et décevoir. Mais Fase, au contraire, c’est l’extase hypnotique née de la répétition musicale et gestuelle, et de l’épure comme une méditation.

Les Flamands, eux qui ont marqué la danse contemporaine des trois dernières décennies, sont souvent présents à Montréal, mais ils le sont particulièrement en cet hiver-printemps 2008, avec, après de Keersmaeker, Jan Fabre, l’immense Jan Fabre pour la première fois à Montréal, sans oublier la venue prochaine d’Ultima Vez, la compagnie de Vin Van de Keybus, en avril. Habitué des plateaux à grand déploiement et à multiples interprètes, Jan Fabre a choisi une pièce sobre, mais très révélatrice de son univers, pour se présenter aux Montréalais : L’Ange de la mort, de la danse théâtre unique et captivante, remarquablement interprétée par la sculpturale Ivana Jozic qui a créé le rôle en 2002, après que Fabre en eut écrit le texte en 1996. Autour d’elle, quatre écrans géants projettent l’image de William Forsythe qui danse et parle avec elle, comme un double, un jumeau contraire en jouant sur l’idée de l’ange ou du démon de l’inspiration artistique et sur l’idée du duplicata chère à Warhol. Un moment vraiment étrange qui a fasciné le public de l’Usine C. Autant que, dans un tout autre genre, Faune, la dernière création de la subtile Jocelyne Montpetit, présentée aussi en février à l’Agora. À propos d’esprit artistique et de démons intérieurs, d’incarnation sensuelle vs désincarnation spirituelle, cette pièce en fait admirablement le tour, inspirée par l’esprit de L’Après-midi d’un faune et, surtout, de la folie de Vaclav Nijinsky lui-même, avec un solo charnel, tout de strates transparentes, de Jocelyne Montpetit sur les textes du Journal non expurgé de Nijinsky dits par Francesco Capitano. Une façon de nous rappeler que la danse permet de voir derrière le visible et de ressentir dans sa chair ce qui n’appartient pas au monde charnel.

Une vérité première que plusieurs autres artistes vus cet hiver véhiculent également dans leurs pas. Comme la magnétique Eva Yerbabuena, maîtresse femme et sorcière du flamenco qu’elle pratique comme une cérémonie lunaire, et qu’elle exécuta précisément pour l’ouverture du Festival Montréal en Lumière durant l’éclipse totale de lune, rarissime ! Les flamencos contemporains présentés à Tangente durant ce même festival offrirent pour leur part des découvertes étonnantes et iconoclastes, à renouveler l’année prochaine, tandis que la soirée de clôture du Festival 2008, confiée à une autre maîtresse femme, Margie Gillis, entourée de sept autres majestueuses interprètes (dont Laurence Lemieux, Annik Bissonnette et sa fille) constitua un moment tout aussi singulier, proposant notamment une vision non convenue du féminin pluriel. Et parlant de festival de femmes qui n’ont pas froid aux yeux, alors là, c’est forcément Edgy Women orchestré par le toujours original Studio 303 qui met le feu au mois de mars avec ces audacieuses venues de multiples pays pour secouer Montréal en hiver. On en aura vu des choses torrides jusque-là, ça promet pour la suite, d’autant que mars a également été marqué, au fer, par le passage de Nacho Duato avec trois pièces endiablées encore inédites chez nous, d’influence tribale et une gestuelle délicieusement ouvragée, tantôt ludique dans la pièce aux percussions de Txalaparta, tantôt aérienne et théâtrale avec Castrati, voire presque trash avec White Darkness sur les ravages de la drogue. En mars, enfin, Quarantaine 4x4, de Charmaine Leblanc, pièce savante et touchante qui permet une vue de l’intériorité de quatre danseurs dans la quarantaine (Marc Béland, Marc Daigle, Benoît Lachambre et Ken Roy) qui se livrent sur scène comme jamais auparavant.

Quelques morceaux choisis pour le printemps :

› -Danz, création d’Ohad Naharin pour les Grands Ballets Canadiens de Montréal, du 3 au 12 avril au Maisonneuve. Un collage inédit de cinq œuvres que l’on espère aussi frais et captivant que son fameux Minus One qui constitue un des grands succès des GBCM.

› -L’Écurie, de Manon Oligny, avec Anne Lebaud et Mathilde Monnard avec des textes de la romancière Nelly Arcand. Du 16 au 26 avril à la SAT.

› -Paroles polymorphes I et II, à Tangente, à surveiller au www.espacetangente.com

› -L’absence/la ausensia, installation chorégraphique de Hinda Eddasiqi et Aladino R. Blanca du 16 au 20 avril au MAI.

› -REDD ou Reading, Dreaming, Dying, de Tedd Robinson en solo à l’Agora de la Danse du 23 au 26 avril.

› -Spiegel (Mirror/Miroir) de Vim Van de Keybus, danse de couples introspective et interrogeante, à ne pas rater du 23 au 26 avril au Maisonneuve.

› -La nuit des interprètes, du Ballet de Lorraine en visite pour la pre
mière fois à la 5e Salle de la PDA du 30 avril au 1er mai

› -L’heure bleue de Geneviève La et Connection de Jung-Ah Chung, deux solos chamaniques et initiatiques à Tangente du 8 au 11 mai.

-ET pour sûr très attendue, du 3 au 5 juin au Maisonneuve, la nouvelle pièce de Marie Chouinard, un ballet en deux actes, Orphée et Eurydice, dans le cadre de la deuxième édition du Festival TransAmériques qui se tiendra du 22 mai au 5 juin et dont on peut enfin consulter toute la programmation sur www.fta.qc.ca.


(c) La Scena Musicale 2002