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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 7 avril 2008

La Chapelle historique du Bon-Pasteur : Chronique d’une mort évitée

Par Renée Banville / 13 avril 2008


• -Une salle exceptionnelle présentant une diversité de styles musicaux et un grand éventail d’activités dans une ambiance intimiste.

• -Un lieu essentiel où les musiciens en émergence peuvent s’exprimer librement dans des conditions optimales.

• -Un endroit de diffusion unique en son genre permettant au public de faire des découvertes et d’accéder gratuitement à des manifestations artistiques d’avant-garde.

Un rêve, croyez-vous ? Pourtant ce lieu remarquable réunissant toutes ces qualités et plus encore existe vraiment : c’est la Chapelle historique du Bon-Pasteur, la Maison de la musique, une ancienne chapelle restaurée en 1987 et qui est, de l’avis de tous ceux qui la connaissent, l’une des trop rares bonnes salles de concert à Montréal dotée d’une acoustique exceptionnelle, du célèbre piano Fazioli et d’un clavecin historique (1772). Seul équipement du réseau des maisons de la culture dont la vocation est musicale, la Chapelle est gérée depuis 20 ans par l’agent culturel Guy Soucie, un directeur artistique passionné, considéré comme un leader dans le milieu musical et reconnu pour son enthousiasme sans faille, ses connaissances musicales, son dévouement sans limite et son accueil rassembleur.

La Chapelle, ce fleuron de la culture montréalaise, a failli ne pas célébrer son 20e anniversaire ! Chaque année, elle présente environ 175 activités diverses : concerts de musique de chambre depuis le Moyen-Âge jusqu’à nos jours, jazz, conférences, cours de maître, ainsi que des expositions dans l’espace attenant à la salle de concert. De plus, elle accueille des musiciens et compositeurs en résidence. Les nombreux partenaires, dont le concours Prix d’Europe, complètent la programmation. Avant de se démarquer internationalement, Marc-André Hamelin, Bernard et Mireille Lagacé, Karina Gauvin, Suzie Leblanc, Marie-Nicole Lemieux, pour ne nommer que ceux-là, se sont produits à la Chapelle depuis son ouverture.

Les bonnes intentions

La ville proposait au Rendez-vous novembre 2007 – Montréal, métropole culturelle son Plan d’action 2007 – 2017 conçu « pour accélérer le déploiement et la consolidation de la vision de Montréal comme une métropole culturelle du XXIe siècle. » Le document mentionne que Montréal « se projette comme une métropole culturelle d’envergure internationale » et vise « une démocratisation exemplaire de l’accès à la culture qui, par son soutien aux arts et à la culture, valorise l’apport essentiel et déterminant de ses artistes, de ses institutions et de ses entreprises culturelles ». On retrouve dans les orientations : (1.3) consolider et mettre en valeur le réseau de diffusion culturelle; (2.2) appuyer le développement artistique professionnel; (2.5) améliorer et accroître les espaces pour la création, la production et la diffusion.

Après l’espoir : le choc

Étonnamment, la Ville de Montréal se désengage et fait part le 10 mars dernier, dans une note à l’intention des organismes du milieu montréalais de la musique, de sa décision de mettre fin à la programmation de la Chapelle historique du Bon-Pasteur à compter de l’été 2008. Le lieu restera à la disposition du milieu, mais la Direction du développement culturel invite les organismes culturels à lui faire des propositions de partenariat pour maintenir la vocation musicale de la Chapelle. C’est la consternation !

Comme un chien à qui on retire son os, le milieu musical ne tarde pas à réagir avec vigueur ! La mobilisation s’organise en un temps record. Dès le 11 mars, la musicienne Marie-Chantal Leclair lance sur Facebook un groupe de contestation, qui compte 850 membres en moins de six jours. L’article de Christophe Huss dans Le Devoir suscite de nombreuses réactions de lecteurs et les élus municipaux sont submergés de lettres et de courriels.

Le Conseil québécois de la musique (CQM) convoque ses membres le 14 mars à une rencontre avec la Direction du développement culturel afin d’obtenir des éclaircissements sur les coupes proposées, aussi subites qu’injustifiées. Tout le milieu est sur place. Le directeur Jean-Robert Choquet, responsable de cette situation, explique que cette coupe de 250 000 $ correspond au coût de la programmation annuelle de la Chapelle, mais que l’édifice, son célèbre Fazioli, le clavecin historique et les équipements techniques demeureraient disponibles.

Durant la réunion, le directeur artistique de la SMCQ, Walter Boudreau, fait cette réflexion teintée d’humour : « La Ville est en train de mettre la hache dans une institution qui fonctionne à merveille depuis 20 ans. L’ironie de tout ça : vous êtes en train de faire un traitement de canal dans une dent parfaitement saine. On cherche des excuses pour essayer de trouver un dysfonctionnement dans ce qui est un bijou culturel qui fait l’envie de nos collègues à travers tout le pays. » Lyse Richer, ancienne directrice du CACUM, mentionne que l’une des vocations du réseau des maisons de la culture était « de présenter des jeunes artistes en début de carrière et de leur permettre ainsi de combler le temps d’arrêt qui existe dans leur vie professionnelle. » La hautboïste Lise Beauchamp, qui dit avoir ressenti la même colère à la mort de la chaîne culturelle de Radio-Canada, ajoute : « C’est désolant d’enlever ce lieu aux jeunes qui n’auront jamais la chance que j’ai eue. Vous tuez l’espoir ! »

La soixantaine de membres présents à la réunion refusent à l’unanimité la coupe budgétaire et les membres du CQM rejettent le projet de partenariat qui est un risque de division et d’injustice. Tous s’accordent à dire qu’il faut garder ce lieu indispensable à leur développement et lui conserver sa structure actuelle de fonctionnement.

Conclusion

Au terme d’une rencontre avec les représentants du CQM, le maire de Montréal, M. Gérald Tremblay, a donné l’assurance que la programmation de la Chapelle sera maintenue. « Je suis sensible aux préoccupations du milieu culturel et à l’importance qu’il accorde à ce lieu de diffusion. Nous allons prendre le temps nécessaire pour examiner avec toutes les personnes intéressées et plus particulièrement avec le Conseil québécois de la musique de quelle manière nous pouvons assurer la pérennité de la mission de la Chapelle », a déclaré le maire.

Espérons que les autorités municipales auront compris que la Chapelle historique du Bon-Pasteur – bien plus qu’un budget et qu’une liste d’événements sur papier – est un lieu qui possède une âme, un outil de démocratisation essentiel pour la musique de concert. « Deux cent cinquante mille dollars pour une saison complète à la Chapelle historique, c’est un cadeau ! C’est le prix d’un seul concert de l’OSM », faisait remarquer le compositeur Denys Bouliane dans l’article de Christophe Huss. Dans ses discussions avec des partenaires ou des investisseurs du domaine privé, le maire doit se souvenir que le milieu musical a réagi avec vigueur et n’hésitera pas à remonter aux barricades s’il le faut. Comme a dit le compositeur Michel Gonneville : « On ne va pas se déchirer pour se constituer une âme. Elle est là ! » n


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