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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 6

Critiques / Reviews

March 2, 2008


Politique de critique : Nous présentons ici tous les bons disques qui nous sont envoyés. Comme nous ne recevons pas toutes les nouvelles parutions discographiques, l’absence de critique ne constitue pas un jugement négatif. Vous trouverez des critiques additionnelles sur notre site Web www.scena.org.

Review Policy: While we review all the best CDs we get, we don’t always receive every new release available. Therefore, if a new recording is not covered in the print version of LSM, it does not necessarily imply that it is inferior. Many more CD reviews can be viewed on our Web site at www.scena.org.

HHHHHH indispensable / a must!
HHHHHI excellent / excellent
HHHHII très bon / very good
HHHIII bon / good
HHIIII passable / so-so
HIIIII mauvais / mediocre

$ < 10 $
$$ 10–15 $
$$$ 15–20 $
$$$$ > 20 $

Critiques / Reviewers

AL Alexandre Lazaridès
FC Frédéric Cardin
FB Francine Bélanger
LPB Louis-Pierre Bergeron
PD Pierre Demers
PMB Pierre Marc Bellemare
PG Philippe Gervais
RB René Bricault
SH Stephen Habington.


MUSIQUE VOCALE

Firenze 1616
Le Poème Harmonique/Vincent Dumestre
Alpha 120 (58 min 47 s)
HHHHHH $$$$
Dès la fin du XVIe siècle, Florence était « un laboratoire musical », où s’élaborait un chant aux accents plus réalistes, c’est-à-dire plus émouvants. Ainsi peut-on lire dans les excellentes notes de programme. Baptisé recitar ou parlar cantando, ce nouveau style, abondamment orné mais tout de même soumis au texte, se cherchait ailleurs une voie rhétorique différente, en particulier à Venise, avec Monteverdi, dont l’Orfeo (1607) devait marquer le triomphe incontestable de l’opéra européen. Le Florentin Domenico Belli avait repris en 1615 le même thème dans un Orfeo dolente où ne figure pas le personnage d’Eurydice, ce qui laissait toute la place à la quête vaine d’Orphée et à son imploration pathétique face à sa mère Calliope qui cherche à intercéder pour lui auprès de l’inflexible Pluton. Des ritournelles instrumentales et des choeurs, notamment celui des Grâces, diversifient une action confinée à l’impuissance humaine devant la mort. Une demi-douzaine de courtes compositions de Saracini et de Caccini permettent de suivre une évolution qui devait bientôt céder la place à d’autres préoccupations. Dumestre et son ensemble instrumental et vocal, ainsi que tous les solistes, sont impeccables. AL

Vivaldi : Atenaide
Sandrine Piau, soprano; Vivica Genaux, soprano; Guillemette Laurens, mezzo-soprano; Romina Basso, mezzo-soprano; Nathalie Stutzmann, contralto; Paul Agnew, ténor; Stefano Ferrari, ténor
Modo Antiquo/Federico Maria Sardelli
Naïve OP 30438 (3 CD: 239 min 55 s)
HHHHHH $$$$
L’enregistrement du répertoire des opéras de Vivaldi est une entreprise de la plus haute importance musicale. Chaque production nous amène des trésors de découvertes et de plaisirs. Cette récente parution d’Aténaide (créé en 1729) ne fait certainement pas exception à la règle. Les solistes sont parmi les meilleurs que la scène musicale baroque actuelle puisse offrir, et l’ensemble Modo Antiquo, un nouveau venu, révèle une palette de couleurs et d’intensités franchement impressionnante. Cet opéra où l’on rencontre une princesse et un empereur byzantins (Théodose II), un prince perse, un ministre perfide et un enchevêtrement complexe d’amours contrariées et de jalousies exacerbées, est rempli de numéros virtuoses à couper le souffle, d’airs mémorables et de musique créée essentiellement pour exalter la beauté de la voix humaine. Un autre joyau est ici ajouté à cette magnifique couronne qu’est la série des opéras de Vivaldi de la maison Naïve. FC

Arie di bravura
Diana Damrau, soprano
Le Cercle de l’Harmonie/Jérémie Rhorer
Virgin 00946395250 2 7 (67 min 36 s)
HHHHHI $$$$
Encore peu connue chez nous, la jeune soprano allemande Diana Damrau mène depuis quelques années une belle carrière sur les scènes européennes. Elle a souvent incarné la Reine de la Nuit, dont elle interprète ici les deux grands airs à la perfection, conciliant agilité et sens dramatique. Mais l’attrait principal de ce récital audacieux est ailleurs. La chanteuse, en effet, s’est prise d’intérêt pour le prolifique Salieri, après avoir tenu le rôle-titre d’un de ses opéras pour la réouverture de la Scala. Elle a donc mené des recherches sur celui que le film Amadeus a dépeint sous un jour bien trompeur, exhumant plusieurs arias qu’elle nous offre avec enthousiasme. Salieri paraît plus décoratif et moins profond que Mozart, certes, mais sa musique virtuose et colorée n’en a pas moins beaucoup de charme. Diana Damrau y fait preuve d’une aisance remarquable, tout au plus peut-on lui reprocher quelques aigus un peu crispés. Deux airs du méconnu Vincenzo Righini, compositeur bolognais qui oeuvra dans l’entourage de Salieri, viennent compléter le programme de la plus belle façon. On retiendra cet Ombra dolente et pallide, andante à la manière de Gluck, où la voix dialogue avec le seul hautbois accompagné des bassons. Fondé en 2005, l’orchestre du Cercle de l’Harmonie, jouant sur instruments anciens, s’avère très prometteur, et on souhaite déjà l’entendre dans des opéras en intégrale. PG

Roma Triumphans
Studio de musique ancienne de Montréal/Christopher Jackson
Atma SACD22507 (61 min 34 s)
HHHHHI $$$
Roma triumphans est un recueil de motets (mis à part un Gloria de Benevoli et un Offertoire de Giorgi) composés entre la fin de la Renaissance et la fin du baroque. Les premiers chantés a capella, les derniers accompagnés d’un continuo sobre et subtil (théorbe, violoncelle, orgue positif), ils ont été captés à l’église de la Nativité de la Sainte-Vierge à La Prairie. L’acoustique offre une réverbération rendant la compréhension du texte un tantinet ardue, mais aussi une somptuosité telle qu’on tombe néanmoins sous le charme. Il faut dire que les troupes de Christopher Jackson maîtrisent parfaitement leur art et font honneur aux oeuvres présentées. RB

Handel : Tolomeo
Ann Hallenberg, Karina Gauvin, Anna Bonitatibus, Pietro Spagnoli, Romina Basso
Il Complesso Barocco, Alan Curtis
Archiv 00289 477 7106 (3 CD, 148 m)
HHHHHI $$$$
Avant la parution de ce coffret, on ne connaissait aucune version disponible et satisfaisante de Tolomeo, créé à Londres en 1728. On s’en étonne, car cette oeuvre témoigne du Haendel à son apogée, qui travaillait à mettre en valeur d’admirables chanteurs, en l’occurrence le castrat Senesino et les deux sopranos rivales Faustina Bordoni et Francesca Cuzzoni. Pour rappeler ce trio de vedettes, Alan Curtis a eu la main heureuse, confiant Tolomeo à Ann Hallenberg (agréable sinon inoubliable), la douce Seleucis à Karina Gauvin et la cruelle Élise à Anna Bonitatibus, vive et légère. Les deux rôles secondaires sont tout aussi bien tenus, Pietro Spagnoli affichant une belle présence dramatique et Romina Basso un contralto très riche. Une fois de plus, on pourra reprocher au chef américain de nous laisser au salon quand nous pensions aller au théâtre, mais la beauté de l’orchestre et le charme des voix aidant, on se fait assez vite à cette approche en demi-teinte. Loin des trompettes guerrières et des fastes de Rinaldo, Tolomeo tend vers un certain classicisme, le compositeur et le librettiste économisant leurs moyens dans le but d’émouvoir subtilement, comme le font ici les interprètes. Plus qu’une curiosité, un must pour tous les handéliens. PG

MUSIQUE D’ORCHESTRE

Brahms: Symphonies Nos. 2 and 3
Pittsburgh Symphony Orchestra/Marek Janowski
PentaTone PTC 4186 308 Hybrid SACD (79 min 17 s)
HHHHHI $$$$
We might just be within an ace of the finest Brahms symphony cycle of the digital era. Marek Janowski and the Pittsburgh Symphony commenced the series with impressive accounts of Symphony No 1 and the Haydn Variations. These live concert performances from November 2007 of Symphonies 2 and 3 confirm the partnership’s mastery of Brahms and elevate expectations for the Fourth, which should appear within a matter of months.
Marek Janowski’s contribution to the Pittsburgh conducting triumvirate (with Sir Andrew Davis and Yan Pascal Tortelier) appears to be a ‘back to basics’ approach to core repertory. With the advent of this Brahms project, the PSO reveals itself again as a truly great ensemble. The stunning performances are enhanced by Direct Stream Digital engineering, which permits multi-channel surround playback. This mode provides one with the illusion of occupying the best seat in Heinz Hall.
Janowski’s interpretations benefit from more finely developed rhythmic propulsion to achieve a sense of buoyancy in these densely packed scores. A decision may boil down to excellent Brahms on a budget (Marin Alsop and the London Philharmonic) versus definitive Brahms at more than twice the price (Janowski). But it is nice to have options. The PentaTone issue includes a current catalogue of the label’s inventory. SH

Moussorgski/Borodine : Tableaux d’une exposition /Symphonie no 2 et Danses polovtsiennes
Berliner Philharmoniker/Simon Rattle
EMI 5099951758226
HHHHHI $$$$
La dernière parution sur CD du Philharmonique de Berlin et de son chef Simon Rattle est consacrée à la musique de Modeste Moussorgski et Alexandre Borodine, tous deux membres du Groupe des Cinq. Ce regroupement de compositeurs russes, (dont faisaient également partie Balakirev, Cui et Rimski-Korsakov) prônait une musique nationaliste et populaire, basée sur le folklore et complètement libérée de l’influence occidentale.
Le disque s’ouvre sur les fameux Tableaux d’une exposition, composés par Moussorgski en 1874 en hommage à son ami Viktor Hartmann, architecte et dessinateur russe. Rattle choisit la version orchestrée par Ravel, un chef-d’oeuvre en soi, plein de couleurs et de raffinement. L’enregistrement regorge de qualités – passion, virtuosité, jeu d’ensemble – mais compte quelques défauts associés au fait qu’il s’agit d’une captation en direct. Le solo (Promenade) qui ouvre l’oeuvre est joué par une trompette au son forcé et franchement déplaisant. Mais de manière générale, c’est une interprétation impressionnante, qui fait honneur à la Philharmonie de Berlin. Il faut absolument écouter le mouvement final, La Grande porte de Kiev.
Suit la Symphonie no2, la plus rare symphonie de Borodine, datant de 1876. L’oeuvre en quatre mouvements, de facture assez classique et de caractère fort russe, aura une grande influence sur plusieurs compositeurs, notamment Rachmaninov. L’orchestre livre ici une interprétation fabuleuse; les bois sont légers, les cuivres musclés, les cordes puissantes et homogènes.
En complément de programme, et comme en rappel, nous sont offertes les riches Danses polovtsiennes de Borodine, tirées de l’opéra Prince Igor. L’oeuvre regorge de mélodies envoûtantes qui permettent aux bois de l’orchestre de mettre leur virtuosité en valeur. LPB

Mahler: Symphony No 10 (Cooke Version)
BBC Philharmonic/Gianandrea Noseda
Chandos CHAN 10456 (78 min 24 s)
HHHHHI $$$$
The BBC Philharmonic under Gianandrea Noseda has never committed an indifferent performance to disc for Chandos and the present issue is no exception. Mahler’s Tenth in the performing version by Deryck Cooke now occupies a secure space in the symphonic landscape and the addition of this account from Manchester is very welcome. Noseda’s escalation of the tension in the opening Adagio is subtle and this ultimately magnifies the effect of the eruption of dissonance later (17:15) in the movement. The performance features loving tenderness at all the right moments without descending into maudlin exaggeration. The orchestra plays with wholehearted dedication as Noseda draws out moving string tone and immaculate wind passages. In this demanding field of endeavour, which received the best efforts of Eugene Ormandy, Sir Simon Rattle (twice), Riccardo Chailly and Eliahu Inbal, Noseda’s performance can be regarded as distinctive and distinguished.
The participation of David Matthews in the recording is of great importance. In the authoritative booklet note, Matthews relates how he and his brother Colin became involved in Cooke’s revision of his first amended draft of the score. Youthful enthusiasts, the Matthews boys worked along with Cooke over a period of twelve years until the publication of “the final revision” in 1976. SH

Hummel: Oberon’s Magic Horn, Grand Rondeau brillant, Variations and Finale
Christopher Hinterhuber, piano; Orchestre symphonique de Gävle/Uwe Grodd
Naxos 8.557845 (66 min 44 s)
HHHHII $
Élève de Mozart, ami de Beethoven, successeur de Haydn comme Konzertmeister et professeur de Mendelssohn, Hummel a côtoyé quelques-uns des plus grands noms de la musique occidentale. Pourtant, ses compositions n’ont jamais atteint les sommets remarquables où se situent celles de ses illustres contemporains. Virtuose exceptionnel du clavier, c’est comme s’il avait été victime de sa réputation et qu’il s’était contenté dans ses oeuvres pour piano de mettre en évidence son doigté fabuleux, au détriment d’une certaine profondeur de vue, d’intentions musicales véritables. C’est ce que démontrent les quatre pièces pour piano et orchestre ici réunies. Au plan sonore, le pianiste Christopher Hinterhuber occupe le devant de la scène devant un orchestre un peu fantomatique mais efficace. Le soliste résout avec brio les difficultés de la partition et évite de sombrer dans le sirupeux. Par sa rigueur, il gomme les facilités de pièces préromantiques qui annoncent déjà un certain Rachmaninov qui sévira bien des décennies plus tard…On ne boudera pas des raretés discographiques bien rendues et servies à si bon prix. PD

MUSIQUE DE CHAMBRE ET SOLO

Bach : Le Clavier bien tempéré, Livre 2
Zhu Xiao-Mei, piano
Mirare MIR 044 (2 CD: 133 min 10 s)
HHHHHI $$$$
Dans les notes de programme données sous forme d’entrevue, la grande pianiste chinoise installée maintenant à Paris déclare avoir voulu humaniser le Clavier bien tempéré, en montrer la sensibilité plutôt que l’architecture ou la rigueur mathématique, et elle pose comme exigence première à l’interprète de « savoir danser et chanter ». On peut dire que sa mission est accomplie, car rarement exécution du deuxième cahier aura-t-elle été aussi fluide et lyrique à la fois. Avec une dynamique subtile et une accentuation d’une grande souplesse, aidée aussi par un travail sur la pédale qui équivaut, selon son expression, à « un vrai toucher avec les pieds », Zhu Xiao-Mei réussit son pari non seulement pour les préludes qu’elle débarrasse de toute préoccupation virtuose ou technique, mais aussi avec les fugues qui trouvent sous ses doigts une musicalité de tous les instants; leurs sujets se transforment en mélodie et leur structure en continuité, toute barre de mesure semblant ici abolie. Les quarante-huit pièces se laissent écouter comme une suite et la fin de chacune d’elles arrive toujours en surprise. Une des très belles versions au piano de cet « Ancien Testament » de la musique. À quand donc le premier cahier ? AL

Rachmaninov : Elégie
Mischa Maisky, violoncelle; Sergio Tiempo, piano
Deutsche Grammophon 477 7235 (65 m 3 s)
HHHHHH $$$$
Cet enregistrement devant public est un pur bonheur d’écoute. Mischa Maisky a retranscrit ces pièces de Rachmaninov écrites pour piano et/ou voix, et son violoncelle nous livre ces mélodies avec autant d’émotion et d’élégance que l’instrument le permet. C’est d’un romantisme absolu. Ces transcriptions accompagnent merveilleusement la magnifique sonate pour violoncelle dans laquelle le violoncelle, essentiellement confiné au chant, a besoin du piano pour assurer le côté dramatique. Ce n’est d’ailleurs qu’après avoir rencontré le pianiste Sergio Tiempo, lui-même protégé de Martha Argerich, que Mischa Maisky consentit à enregistrer cette sonate qui lui donnait toujours des difficultés, même s’il la jouait depuis plusieurs années, mais jamais dans son intégralité. L’Élégie nous fait entrer tout en douceur dans l’univers de Rachmaninov, comme à l’aube d’un jour naissant, quand le soleil monte doucement au-dessus de l’horizon alors que les rêves restent encore accrochés comme ces bandelettes de brume au creux des rochers. Puis, doucement, on se dirige vers le milieu du jour avec cette sonate d’une beauté passionnée. Et finalement, les trois derniers morceaux nous entraînent vers le soir et la nouvelle nuit qui s’annonce en douceur. FB

Baroque
Gabriela Montero, piano
EMI 50999 5 00234 2 4 (52 min 39 s)
HHHHHI $$$
Gabriela Montero est une fabuleuse improvisatrice. Sur ce disque stimulant et rafraîchissant, elle reprend certains des plus beaux « standards » de la musique baroque et en réinvente toute la trame émotive aussi bien que structurelle selon sa propre sensibilité musicale. Ses explorations intuitives ne font pas appel à la virtuosité individualiste propre au jazz, mais plutôt à une transposition organique de la mélodie initiale dans un espace et un univers musical différents qui, a priori, possèdent intrinsèquement la faculté d’accueillir cette mélodie. Par exemple, la solennité de la Sarabande de Haendel est ici magnifiée en une procession noble et imposante et le minimalisme inhérent aux Saisons de Vivaldi, amplifié jusqu’à nous donner un automne aux consonances très actuelles. Gabriela Montero n’est pas une adepte du « crossover » facile et superficiel. C’est une artiste classique d’un nouveau genre, qui sait s’approprier un répertoire de base, et y improviser sans en trahir l’essence ni avoir recours à des clichés jazz. En fait, Gabriela Montero revient aux sources : elle réalise ce que Bach, Mozart et Beethoven ont toujours fait. La marque que cette artiste est en train d’imprimer sur le monde musical n’est pas encore connue, mais elle est déjà immense. FC

Shostakovich: 24 Preludes & Fugues, opus 87
David Jalbert, piano
ATMA classique ACD2 2555 (2 CD : 147 min 25 s)
HHHHII $$$$
Tatiana Nicolaeva chez Hyperion et Vladimir Ashkenazy chez Decca ont placé la barre haut pour l’interprétation de ce recueil que Chostakovitch a mis sous l’égide de Bach dont il s’inspire même par moments, puisque certains de ses thèmes font des clins d’oeil à ceux du Clavier bien tempéré. Aucun des deux pianistes russes n’a pourtant réussi les quarante-huit pièces avec un bonheur égal, étant donné leur extrême variété de tons et d’atmosphère, pour ne rien dire de leurs grandes exigences techniques, quoique la personnalité des deux pianistes s’y affirme partout. David Jalbert, dans une nouvelle intégrale, privilégie l’aspect lyrique de ces compositions plutôt que leur structure, à la manière de Nicolaeva, ou leur densité rythmique, comme Ashkenazy. Il en résulte une interprétation d’une belle fluidité qui rend agréable le premier contact avec l’opus 87, mais dont l’inconvénient, à l’écoute suivie, est une certaine uniformité d’approche. Parfois aussi, le tempo choisi est trop lent pour maintenir le fil du discours, d’autant plus que l’inspiration de certaines pièces, préludes ou fugues, semble étirée. AL

Jan Vogler : My Tunes
Pièces pour violoncelle et orchestre
Sony Classical 88697130652
HHHHHI $$$
Le violoncelliste allemand Jan Vogler s’est visiblement fait plaisir avec ce nouvel opus solo. Il nous propose dans My Tunes une douzaine de courtes pièces pour violoncelle et orchestre – en grande majorité arrangées pour l’occasion – qui sont autant d’ « airs favoris, des mélodies et des impressions musicales qui l’accompagnent depuis l’enfance ». Bien qu’un titre au goût du jour et un choix du répertoire peu original puissent laisser une première impression peu convaincante, snober ce disque serait passer à côté d’un petit bijou.

Jan Vogler, qui fut jadis violoncelle solo du Staatskapelle de Dresde et un collaborateur régulier de Louis Lortie, s’avère ici un interprète de tout premier ordre. Il sait faire chanter et sonner magnifiquement son instrument, sans jamais tomber dans la mièvrerie ou la facilité. La prise de son nous permet d’entendre tous les détails de son jeu et l’accompagnement d’orchestre, gracieuseté des Dresdner Kapellsolisten, est irréprochable. Ce disque, sans faire preuve d’une grande originalité, est une plaisante occasion de (re)découvrir le violoncelle; ces pièces archi-connues nous le présentent sous son plus beau jour : romantique, chantant et suave à souhait. LPB

MUSIQUE CONTEMPORAINE

Elliott Carter : String Quartets Nos. 1 and 5
Pacifica Quartet
Naxos 8.559362 (60 min 32 s)
HHHHHI $
Pour célébrer le centenaire du doyen des grands compositeurs vivants, Naxos et le Pacifica Quartet lui offrent l’enregistrement intégral de ses quatuors à cordes, dont voici le premier volume. Plus de quatre décennies séparent l’historique No. 1 (1951) du No. 5 (1995) et les différences sont d’autant plus intéressantes que le Pacifica Quartet les souligne à merveille. La complexité polyphonique domine le No. 1 : non seulement les lignes mélodiques s’enchevêtrent-elles sans cesse, mais les mètres et les tempi évoluent d’alternances en simultanéités. Dès les premières notes du violoncelle solo, grasses et rauques à souhait, l’auditeur est convaincu du résultat général. Le No. 5 paie son tribut, tardivement, à Webern : dialectique son/silence, nombreux intervalles disjoints, techniques de jeu variées. On attend la suite avec une gourmande impatience… RB

Petite Suite Maritime : Musique canadienne pour quintette à vent
Quintette à vent Estria
oeuvres de Dela, MacDonald Gayfer, Buczynski, Papineau-Couture, Hétu
ATMA Classique ACD2 2391 (66 m 15 s)
HHHHII $$$
Estria nous arrive avec un deuxième opus consacré aux débuts du quintette à vent au Canada. Les quintettes présents sur ce nouveau CD sont rapidement tombés dans l’oubli, à l’exception peut-être de celui de Jacques Hétu, qui figure à l’occasion au programme des concerts de musique de chambre. Le quintette Estria accomplit donc un travail important en dépoussiérant cette musique d’ici, d’intérêt certes inégal, mais qui mérite qu’on s’y penche une nouvelle fois.
C’est au compositeur et pédagogue montréalais Maurice Dela (1919-1978) qu’on doit la première oeuvre, la Petite suite maritime. Écrits en 1946 alors que Dela était étudiant de Claude Champagne au Conservatoire de musique de Montréal, les quatre mouvements de cette suite – Esquif, Mouettes, L’Île enchantée, Coquillages – s’avèrent, sans être des chefs-d’oeuvre, d’habiles compositions où les mélodies un brin jazzy flottent sur un nuage d’accompagnement léger et effervescent. L’oeuvre gagnerait cependant à être jouée avec un peu plus d’énergie.
Avec son Quintette op.13, Jacques Hétu parvient à combiner habilement les techniques tonale, modale et sérielle et à créer un univers bouillonnant, dissonant, franchement étrange même. Estria montre de belles qualités de cohésion et de virtuosité, malgré la difficulté évidente de la partition. LPB

Morton Feldman: String Quartet
Ives Ensemble
Hat [now] ART 167 (76 min 57 s)
HHHHII $$$$
Morton Feldman a fait preuve d’une extrême rigueur dans sa volonté de ne pas développer quelque matériau musical que ce soit. Voilà qui exige un bon dosage de répétitions et de créativité et surtout des auditeurs plus méditatifs que critiques. Au-delà des considérations esthétiques, force est d’admettre que la présente interprétation du colossal String Quartet frise l’excellence. En effet, le Ives Ensemble possède une palette de timbres à la variété inouïe, au point où on leur pardonne quelques écarts rythmiques – inévitables dans cette musique truffée de silences. L’étiquette mérite aussi nos éloges, non seulement pour le soin accordé à la prise de son, mais encore pour la bravoure manifestée dans son choix de répertoire, souvent inaccessible. RB

DVD

Wagner: Tristan und Isolde
Nina Stemme, Robert Gambill, Katarina Karnéus, Bo Skovhus, René Pape, The Glyndebourne Chorus, London Philharmonic Orchestra/Jirí Belohlávek
Stage Director: Nikolaus Lenhoff
Video Director: Thomas Grimm
Opus Arte OA 0988 D (3 DVD - 238 min)
HHHHHH $$$$
Are you ready for an enchanting illustration of the Schopenhauerian philosophy of, “Die to live,” as presented in the most extreme example of the musical language of Richard Wagner? If so, you will absolutely need to have this DVD set of the August 2007 production of Tristan und Isolde from the Glyndebourne Festival. It is nothing less than a collective act of sorcery delivering a definitive performance and a paradigm of the divine craft exposing opera as the ultimate art.
Tristan is a difficult opera to cast and Glyndebourne has been fortunate here. The American tenor, Robert Gambill studied in Germany for years and has decades of stage experience. With a fully developed heldentenor voice, his time has come to portray Tristan. Nina Stemme and Katarina Karnéus are sopranos from Sweden who take on the respective roles of Isolde and Brangäne with rare distinction. The ever-reliable darker voices of Bo Skovhus (Kurwenal) and René Pape (King Marke) complete the idiomatic circle of principal players.

This performance dispenses stage magic generously and enthralls throughout. It can be confidently recommended as a first choice for the work on DVD. The set runs to three discs but includes two hours of useful extra features, including a fine documentary by Reiner E. Moritz entitled, Can I Hear the Light? Please let us have more Wagner from Glyndebourne! SH


(c) La Scena Musicale