Accueil     Sommaire     Article     La Scena Musicale     Recherche   

La Scena Musicale - Vol. 13, No. 6 mars 2008

Extase et rédemption : Yoav Talmi et la « Symphonie des mille » de Mahler

Par Caroline Louis / 2 mars 2008


Qu’avait donc en tête Gustav Mahler lorsqu’il composa une symphonie d’une durée de quatre-vingts minutes pour plus de mille musiciens ? Une vision grandiose, répond le maestro Yoav Talmi, directeur artistique et chef de l’Orchestre symphonique de Québec. Talmi dirigera la Symphonie no 8 en mi bémol majeur, le 15 mars 2008, au Colisée Pepsi de Québec. Cette musique se situerait dans un registre bien au-delà de celle que nous avons l’habitude d’entendre, selon Talmi, et serait une évocation sonore du paysage astral, tout particulièrement dans sa partition chorale.

C’est en 1910 que Mahler dirigea, à Munich, la première de cette symphonie, trois ans après en avoir achevé la composition. Plus de 850 choristes et 171 musiciens participèrent au concert, dont le succès fut triomphal. Il est certainement audacieux de vouloir recréer un événement musical d’une telle envergure, cependant il s’agit de l’aboutissement logique du cycle d’interprétation des symphonies de Mahler à l’OSQ. En effet, depuis son arrivée à la direction de l’orchestre en 1998, le maestro Talmi y a dirigé toutes les autres symphonies du compositeur autrichien. La présentation de la Huitième symphonie de Mahler, la « Symphonie des mille », se veut l’un des moments forts des célébrations du 400e anniversaire de la ville de Québec, et sa préparation a nécessité le concours de ressources supplémentaires. L’OSQ partagera la scène avec l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières et les orchestres de l’Université Laval et du Conservatoire de musique de Québec. Le chef du choeur de l’OSQ, David Rompré, supervisera par ailleurs les choeurs de l’OSQ, de l’Université Laval et du CMQ, auxquels s’ajouteront plusieurs autres chorales, incluant un choeur de 160 enfants. Il ne s’est avéré possible de réunir un si grand nombre de participants qu’au Colisée Pepsi, ce qui représente évidemment plusieurs défis logistiques. L’orchestre devant jouer sur la plateforme centrale, tandis que le choeur se situera dans les gradins, une très grande distance séparera le chef d’orchestre des choristes des rangées arrière. Afin de leur permettre de bien suivre ses indications, des écrans télévisuels montrant l’image du chef seront installés face aux chorales, et l’on travaille actuellement à maximiser la synchronisation entre l’orchestre et le choeur. De plus, il faudra amplifier l’orchestre, l’acoustique du Colisée étant bien différente de celle d’une salle de concert. Il n’y a pas d’inquiétudes à avoir, cependant, sur le plan visuel, car différentes prises de vue du chef, de l’orchestre et du choeur seront présentées au public sur écran géant, tout au long du concert.

Lorsqu’on lui demande pourquoi il a choisi d’interpréter la Huitième de Mahler pour les célébrations de l’anniversaire de la ville de Québec, Yoav Talmi affirme qu’il voulait jouer une oeuvre d’une telle magnificence qu’elle ne laisserait personne indifférent. Il ajoute qu’il désirait créer un événement musical rassembleur, faisant le calcul que si chacun des 1000 participants bénéficiait du soutien de quelques parents et amis, on pourrait estimer à environ 5000 le nombre de personnes impliquées, bien qu’indirectement, dans sa réalisation. L’audace de Talmi semble porter fruit, car on estime à 11 000 le nombre de billets déjà vendus pour le concert, ce qui dépasse de loin tous les records de vente pour un concert de musique classique à Québec.

Parlons musique. La Huitième de Mahler est une symphonie en deux mouvements, dont la partition chorale est prédominante du début à la fin, et diffère en ce sens des autres symphonies de Mahler, dans lesquelles les choeurs n’interviennent que dans certaines sections d’un ou deux mouvements conclusifs. Le maestro Talmi nous explique que cette symphonie est apparentée à la forme cantate, dans le premier mouvement, et à l’oratorio, dans le second. Il est intéressant de noter que le compositeur fait usage de textes aux provenances éloignées, pour chacune de ces sections, commençant d’abord par une prière médiévale en latin, à laquelle succède la dernière scène du Faust II de Goethe, en allemand. Bien que cette combinaison surprenante de textes en apparence hétéroclites fasse sourire Yoav Talmi, celui-ci comprend malgré tout les motivations du compositeur et croit que leur dénominateur commun est la soif de rédemption. La prière latine, Veni Creator Spiritus, est en fait un appel à la rédemption, tandis que l’extrait du Faust de Goethe se situe dans l’au-delà, où la rédemption a véritablement lieu. Le paradis que tente de décrire musicalement Mahler n’est pas statique, selon Talmi, mais serait plutôt un lieu dynamique d’ascension perpétuelle vers la perfection. Il n’est donc pas étonnant que l’on y retrouve d’étonnantes sonorités parfois étranges.

D’un point de vue plus théorique, mentionnons que le premier mouvement de l’oeuvre se distingue par l’utilisation d’un contrepoint d’une grande complexité, ce qui est inusité dans la période romantique. La superposition de nombreuses lignes mélodiques indépendantes les unes des autres crée parfois des dissonances un peu gênantes à la première écoute, mais l’auditeur doit s’habituer à ces sonorités et apprendre à écouter l’entrelacement de voix mélodiques plutôt que de s’arrêter aux harmonies créées en bloc. La grande habileté de Mahler à manier un contrepoint aussi complexe est une source d’admiration pour Yoav Talmi, et celui-ci affirme qu’il s’agit du contrepoint le plus impressionnant à avoir été composé durant les périodes classique et romantique.

Cependant, insiste-t-il, le public ne doit pas craindre de ne pouvoir apprécier cette oeuvre sans en comprendre les subtilités théoriques. Il serait sans doute agréable à certains auditeurs de suivre la musique avec une traduction des textes chantés en latin et en allemand, mais ce n’est certes pas une nécessité. Le maestro est persuadé que la grande beauté de cette symphonie éblouira le public et il est impatient de vivre une telle expérience musicale. Il est impossible, selon lui, de saisir toute la splendeur de l’oeuvre à l’écoute d’un simple enregistrement, et seule une prestation à grand déploiement peut rendre compte de la prodigieuse imagination de Mahler.

Ayant dirigé toutes les symphonies de ce dernier, Yoav Talmi se sent maintenant très à l’aise avec la musique de Mahler. Cependant, il insiste sur l’importance du respect de la partition et déplore le fait que de nombreux chefs prennent tant de libertés dans leurs interprétations. « Je suis au service du compositeur », dit-il, avant d’ajouter que si, après avoir dirigé lui-même son oeuvre, Mahler avait voulu apporter des correctifs à la musique, il l’aurait fait. La préparation du maestro Talmi, qui s’échelonne sur une période de temps considérable, comprend une analyse détaillée de la structure de l’oeuvre, de l’harmonie et du contrepoint, ainsi qu’une mémorisation par sections. Il étudie également la partition en la jouant au piano et admet qu’il lui arrive parfois, lorsqu’il joue certaines sections, d’être tellement bouleversé qu’il en ressent des frissons. Cette musique, dit-il en riant, comporte certains dangers, car elle est si prenante qu’il en a souvent le souffle coupé. n

Mahler : 8e symphonie, Orchestre symphonie de Québec, Yoav Talmi, dir. Le 15 mars 2008. Colisée Pepsi de Québec. osq.qc.ca


(c) La Scena Musicale 2002