Tryptique pour Oscar Peterson in Memoriam 1925-2007
February 12, 2008
Un héritage ambigu
La pluie d’hommages qui a suivi le décès d’Oscar Peterson témoigne bien de l’immense popularité du musicien, popularité qui dépassait de loin le cercle relativement restreint des amateurs de jazz. Sa grande virtuosité, alliée à un
sens du swing indéfectible, donnaient à son jeu une aura de facilité,
un style lisse qui agaçait souvent les critiques. Comme le soulignait
Ben Ratliff dans le New York Times, « même à son meilleur, il y avait
très peu de tension dans son jeu ». C’est que Peterson favorisait
volontiers la détente plutôt que la tension, et on pourrait dire qu’en
cela il fut le dernier représentant d’une école de piano jazz «
classique », qui s’affirma dans les années 1930 avec Art Tatum (premier
modèle de Peterson) et Teddy Wilson.
Des trios d’abord
Dès ses premiers enregistrements, réalisés
à Montréal dans les années 1940, Peterson préfère jouer en formation
de trio, d’abord avec guitare et contrebasse, tout comme ses maîtres
Tatum et Nat « King » Cole. Remarqué en 1949 par l’imprésario
américain Norman Granz, Peterson est fin prêt pour une carrière américaine,
puis internationale. À ses côtés pendant la meilleure partie des
années 1950, le guitariste Herb Ellis et le contrebassiste Ray Brown
qui, par leur interaction quasi télépathique, forment le groupe de
référence dans la carrière de Peterson. Après le départ du guitariste
à la fin des années 1950, Peterson travaillera avec des batteurs,
toujours en trio, trouvant des interlocuteurs sympathiques, tels le
batteur Ed Thigpen, le bassiste danois Niels-Henning Ørsted Pedersen
et, à l’occasion, le guitariste Joe Pass. Pour plusieurs critiques,
cependant, les meilleurs disques de Peterson sont ceux qu’il a réalisés
en solo pour l’étiquette allemande MPS dans les années 1960. N’oublions
pas non plus qu’il fut le sideman exemplaire d’innombrables sessions
de jazz mainstream organisées par Granz, accompagnant les Dizzy Gillespie,
Roy Eldridge, Stan Getz, Lester Young, Coleman Hawkins, Ella Fitzgerald,
Zoot Sims et autres.
Une fidélité à la tradition
Tout comme son aîné de quatre ans,
Erroll Garner, Peterson fut avant tout un swingman, mais il sut s’adapter,
grâce à une technique infaillible, aux exigences du bop bien que ce
style lui resta passablement étranger. L’évolution du jazz moderne,
en accélération constante dès la fin des années 1950, le laissera
inchangé. Plus tard, ses quelques incursions aux claviers électriques
se solderont par des échecs. C’est que Peterson était peut-être,
déjà au début de sa carrière américaine, un anachronisme musical,
résolument ancré dans l’époque classique. L’héritage qu’il
laisse est ambigu: celui d’un virtuose inégalé, certes, mais aussi
d’un musicien qui aura préféré céder au goût populaire plutôt
que de questionner ses habitudes. Oliver Jones, son fils spirituel,
aura su continuer son œuvre avec enthousiasme. Paul Bley, qui remplaça
Peterson après son départ de la scène montréalaise, sera plus dérangeant.
Deux voies qui montrent bien la diversité de cette musique qu’on
appelle le jazz. FAH
Merci Mister Peterson
Pianiste éminemment populaire depuis
les années cinquante, « Oscar le Grand », ainsi surnommé par Jacques
Réda, a passé l’arme à gauche. Classique ou moderne, peu importe
: Oscar Peterson était le musicien type de l’âge d’or du jazz.
Il va de soi que la discographie sélective proposée ci-dessous ne
peut préciser les cotes des albums, car la plupart des titres sont
repris en édition numérisée ou sous un autre emballage.
Soulignons d’entrée de jeu les
timides enregistrements du début (1947-1949) qui dévoilent un pianiste
encore sous l’emprise de Nat Cole. Mais au cours de la glorieuse décennie
des années 1950, le pianiste va très vite atteindre le sommet de sa
renommée et Oscar Peterson plays George Gershwin, Verve (1952),
est le genre d’album auquel on peut revenir sans cesse. Le pianiste
forme dès 1951 un trio exceptionnel avec Ray Brown et Herb Ellis.
At The Shakespearean Festival, Verve (1956), marque l’apothéose
de cette formation. En 1959, Peterson remplacera Ellis par Ed Thigpen,
deux ans avant la parution de l’album éponyme The Trio suivi
de son grand succès Night Train en 1963, tous deux sur Verve.
Dix ans plus tard, il revient avec l’un des meilleurs trios sur l’album
Pablo du même titre, cette fois-ci avec Pass et N.H. Pederson, l’un
de ses bassistes favoris.
Il est difficile de mettre de côté
le rôle indispensable d’accompagnateur de Peterson, l’ouvrier impeccable
du producteur Norman Granz. Sa présence rehaussait toutes les séances
Verve et l’on doit citer ici trois albums essentiels : The Complete
Lionel Hampton Quartets and Quintets (1953-54);
Stan Getz and J.J. Johnson at the Opera House (1957) et Ben
Webster Meets Oscar Peterson (1959). Tout aussi importante, la série
d’enregistrements Exclusively for My Friends sur MPS (1963-1969)
présente un Peterson un peu moins ardent mais exemplaire dans les ballades,
en particulier sur l’album Tracks. Après cette
époque, les albums déferlent à un rythme élevé et dans ses meilleurs
moments, le pianiste publie encore d’immortels chefs-d’œuvre, comme
The Very Tall Band Live at the Blue Note
Telarc (1999); parvenant à surmonter ses graves problèmes physiques
(conséquences de son accident cardiovasculaire en 1993), il se révèle
une fois de plus un inégalable maître du swing, inspirateur d’un
art conçu pour rayonner l’optimisme sur notre planète. Merci Mister
Peterson! CC
The Maharajah of the Keyboard
Since his death on December 23, 2007,
jazz pianist and Montreal native Oscar Peterson has been mourned and
appraised by fans and critics around the world. Slowly we are coming
to terms with the passing of a titan.
Most would agree that Oscar’s
playing was a thesaurus of jazz piano stylings, a compendium of the
vocabulary and phraseology of the art. He could also swing like no one
else and thrived in the unplanned, calling tunes rather that arriving
with a rehearsed set. Like a Homer of the keyboard, he improvised using
familiar scraps of melodies, harmonies, riffs and rhythms which he could
craft into spellbinding narratives of epic proportions. Ulf Wakenius,
Peterson’s guitarist from 1997-2006, put it to the National Post
this way: “I always thought you could always hear 50 years of piano
history in every note.”
But there have been two camps of
response to Peterson—those who loved him and those who weren’t impressed.
As Paul Wells noted in MacLean’s, Oscar stood for working-class
values of hard work, straight living and straight playing, which probably
accounts for his wide appreciation. In the Toronto Star, Martin Knelman
wrote of Peterson as “the magic-fingered genius of the keyboard, whose
music for half a century seemed like the perfect companion to a glass
of champagne.” This elegance and refined composure, however, to some
represented style with no substance. One heard such dissent in comments
like those of John S. Wilson in the New York Times in 1973: “beautifully
executed displays of technique but woefully weak on emotional projection.”
On the other hand, he was dubbed “the Maharajah of the keyboard”
by no less a figure than Duke Ellington and was valued as an accompanist
by such luminaries as Roy Eldridge, Ella Fitzgerald and Dizzy Gillespie.
Nat Hentoff, writing for the Wall Street Journal, contended that
despite the varying contexts of his work Peterson
“remained himself while also being completely consonant with the diverse
stylists.”
I saw Peterson perform on two occasions.
I also met him at a press conference. He was definitely the real thing,
although he seemed a little bit of an oddity for modern jazz: an entertainer
first and artist second. But I always felt that his commitment to his
craft was of the highest order. Was he original ? As literary critic
Harold Bloom famously theorized, all great artists carry the tradition
with them, even those who rebel. But in Peterson’s case, he had no
reason to rebel against himself. PS
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