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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 5 février 2008

Otto Joachim : Constamment à l'avant-garde

Par Caroline Louis / 12 février 2008


Le 27 janvier dernier, lors de la remise des prix Opus 2007-2008 à Montréal, le Conseil québécois de la musique décernait le prix Hommage au musicien canadien d’origine allemande Otto Joachim.

Rétrospective d’une carrière admirable

Bien qu’il soit surtout connu en tant que compositeur, la longue carrière d’Otto Joachim s’est illustrée sur de multiples plans et, de sa jeunesse de l’entre-deux-guerres à aujourd’hui, il fut à la fois violoniste, altiste, chambriste, professeur, électroacousticien et facteur d’instruments anciens, en plus de contribuer par ses nombreuses compositions au répertoire canadien contemporain.

Contraint de quitter l’Allemagne lors de l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1934, Joachim s’expatrie en Asie durant une quinzaine d’années, tout d’abord à Singapour, puis à Shanghai. En 1949, il visite pour la première fois Montréal, ville où il décide de s’établir. Les années 1950 seront des années charnières pour Joachim. D’abord alto solo de l’Orchestre symphonique de Montréal et de l’Orchestre de chambre McGill, il fonde, en 1955, le Quatuor à cordes de Montréal, qui accorde une place de choix à la musique canadienne dans son répertoire. Il devient en 1956 professeur à l’Université McGill et au Conservatoire de musique du Québec à Montréal et, cette même année, il crée son propre studio de recherche en musique électroacoustique. De plus, passionné par les instruments anciens, Joachim fonde en 1958 l’Ensemble des instruments anciens de Montréal (le Musée des Civilisations du Canada possède d’ailleurs, dans sa collection permanente, cinq répliques d’instruments musicaux de la Renaissance réalisées par Otto Joachim).

À partir de 1964, ses principales activités musicales seront l’enseignement et la composition. Appartenant alors au courant moderne avant-gardiste, Otto Joachim expérimente avec la création sonore et compose de la musique sérielle, aléatoire et électroacoustique. Artiste en demande, il compose Katimavik, une pièce de musique électroacoustique écrite pour le Pavillon canadien d’Expo 67. Il écrit pour la SRC une série de trois œuvres qui explorent les relations entre le son et la lumière, et la Société de musique contemporaine du Québec lui commande en 1977 la pièce Uraufführung, pour 13 instruments et sons électroacoustiques. En 1969, il reçoit le Prix Paul-Gilson de la communauté radiophonique européenne, pour son œuvre Illumination II. Pour son 75e anniversaire, il dirige la première de sa commande de l’Orchestre symphonique de Windsor, Mobile für Johann Sebastian Bach, et en 1990 on lui rend hommage en jouant de ses œuvres lors d’un concert à la Chapelle historique du Bon-Pasteur de Montréal, diffusé par la SRC. La Société Saint-Jean-Baptiste lui décerne le Prix de musique Calixa-Lavallée en 1990 et il est nommé Chevalier de l’Ordre national du Québec en 1993.

Otto Joachim compose en 1994 une œuvre socialement engagée, pour orchestre de chambre et narrateur, Stecheldraht, qui relate la mort d’enfants juifs dans les camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Au fil des ans, il a également écrit plusieurs pièces à l’intention de son fils Davis Joachim, guitariste.

La SRC a réalisé en 2000 un album « Hommage à Otto Joachim », sur lesquels il est possible d’entendre diverses interprétations de ses œuvres par l’Ensemble de la SMCQ (dir. Walter Boudreau), le Quatuor Molinari, l’Orchestre Métropolitain du Grand Montréal (dir. Joseph Rescigno), le violoncelliste Guy Fouquet et l’Ensemble instrumental de Radio-Canada (dir. Otto Joachim).

Ceux qui l’ont connu

Guy Fouquet, professeur de violoncelle, de musique de chambre et titulaire de l’Orchestre à cordes au Conservatoire de musique du Québec à Montréal, connaît Otto Joachim depuis de nombreuses années. Autrefois élève dans sa classe de musique de chambre, il est devenu son collègue au conservatoire. Fouquet se souvient d’un professeur exigeant et sérieux, mais qui pouvait également démontrer un grand sens de l’humour et beaucoup de chaleur envers ses étudiants. Fouquet a interprété la pièce Paean pour violoncelle solo de Joachim sur l’album hommage précédemment mentionné. Afin de traduire le mieux possible la pensée du compositeur, il a travaillé avec lui avant l’enregistrement. Interrogé sur cette expérience, le violoncelliste ne peut s’empêcher de rire : « Joachim était extrêmement intransigeant quant au résultat et au respect du texte ! » Cependant, il reconnaît que le compositeur était très flexible au sujet de l’interprétation et qu’il lui a laissé trouver une couleur personnelle dans son jeu. Guy Fouquet admire surtout la grande connaissance musicale d’Otto Joachim, sa polyvalence et sa curiosité.

Yves Daoust, professeur de composition électroacoustique au Conservatoire de musique du Québec à Montréal, nous explique que les œuvres de musique électronique d’Otto Joachim sont souvent centrées autour d’un procédé très précis, démontrant une certaine instinctivité, et qu’on y ressent indéniablement l’amour du compositeur pour la technologie et le jeu. Au plan personnel, Daoust fut surtout impressionné par la grande vigueur physique de ce musicien tout aussi compétent comme altiste que comme compositeur et électroacousticien. Il est particulièrement reconnaissant pour son engagement dans la recherche et le développement de l’électroacoustique, Joachim ayant cofondé le studio d’électroacoustique du conservatoire en 1971, avec Micheline Coulombe St-Marcoux et Gilles Tremblay.

Kevin Austin, professeur d’électroacoustique au Département de musique de l’Université Concordia, a pour sa part collaboré avec Otto Joachim dans les années 1980 et l’a par la suite côtoyé au sein de la Communauté électroacoustique canadienne. Pour Austin, la contribution du compositeur tient particulièrement à sa présence et son engagement constants au sein de la communauté musicale et artistique (Joachim était également peintre et sculpteur). Par sa connaissance et son intérêt pour une grande variété d’activités, il savait toujours apporter une perspective inédite à la création musicale. Austin voit également en Otto Joachim un être toujours à l’avant-garde, voire un précurseur de certains courants, tel que le démontre son intérêt pour la musique et les instruments anciens et, bien sûr, l’électroacoustique.n


(c) La Scena Musicale 2002