Hommage à l'iconoclaste Par René Bricault
/ 12 février 2008
Karlheinz Stockhausen est décédé
le 5 décembre dernier, à sa demeure de Kuerten-Kettenberg. Sans doute
le plus iconoclaste compositeur de sa génération, il aura considérablement
influencé bon nombre de ses successeurs. La Scena Musicale a
choisi de faire appel à quelques-uns d’entre eux, d’âges et d’allégeances
stylistiques variés, pour lui rendre un hommage à son image : éclectique,
critique, vivant. Laissons donc la parole aux créateurs…
Lucide, certes ! Assurément pas un lucifuge
ou lumignon. K. cherchait le gros plan assidûment et avant tout il
avait le geste large par la quantité de sons dans ses œuvres réalisées
pendant presque soixante ans. Plutôt lucimètre que luministe, il aspirait
à devenir sans nul doute une sommité-lumière. K. voyait, il veillait.
Puis il devint le premier compositeur de sa génération à revenir
à la religion en tant que force et source d’inspiration. Son modèle
: le chantre pour qu’il ait des adeptes ou des zélateurs autour de
lui. Contradiction surprenante : ce grand prêtre libre est issu d’une
culture ayant jadis substitué la religion à la musique. C’est ainsi
que Thomas Mann expliqua le sommet (autrement le creux) de la décadence
germanique au début du siècle dernier (Buddenbrooks). Combat
quasi infantile pour la lumière ! K. apercevait et interprétait l’univers
qui venait d’en haut comme un signe d’illumination, d’imagination,
d’inventivité. Donc, d’éveil spirituel et, par conséquent, de
délivrance. Divers cultes nomment ces derniers ainsi : nirvana (dans
l’hindouisme), samadhi (dans le bouddhisme), satori (dans le zen)
ou paradis. À cor et à cri, K. revendiquait à l’instant présent
de lui fournir cet éclaircissement. Difficile de dire si son vœu a
été exaucé. Lorsque j’étais un élève à Toronto il y a quarante
ans exactement, j’ai étudié la musique électronique. Sur la porte
du technicien dans le studio d’alors, un portrait grandeur nature
de K., tout jeune près de ses magnétophones, était affiché. En dessous
de l’image, ce commentaire sidérant : Lest we forget
(au cas où certains auraient oublié). L’auteur de Gesang der
Jünglinge (Chant des adolescents, 1956) et de Kontakte
(1960) avait déjà gagné sa place au ciel, sa renommée étant déjà
acquise : gare aux élèves ! Au fil des ans, toutefois, comme l’ange
rebelle Lucifer qu’il a d’ailleurs dépeint en musique à travers
son heptagonal opéra Licht
(lumière), K. laissa l’impression d’avoir fait une chute
(du ciel ou sur le terrain d’un affrontement ?). On voit aussi l’expression
« Lest we forget » gravée sur un monument dédié aux combattants
de guerre : in memoriam.
John
Rea
Jeune étudiant au CÉGEP de Sainte-Foy,
j’ai eu l’occasion de fréquenter le studio de musique électroacoustique
de l’Université Laval, le premier studio francophone au pays. C’était
au début des années 1970 et tout le monde à l’époque parlait d’un
compositeur allemand, parfaitement inconnu de moi et de mes camarades,
Karlheinz Stockhausen. Je me suis donc rendu à la bibliothèque et
au hasard de ses très nombreuses parutions chez Deutsche Grammophon,
j’ai sorti l’un de ses disques que j’ai placé sur la table tournante.
Cela a été un choc. Un coup de foudre immédiat. Depuis des années
je soupçonnais que quelque chose m’attirait en musique, mais je ne
savais pas quoi. Là j’ai su. Cela a été immédiat et définitif.
Je ne voulais pas devenir un compositeur d’électroacoustique, j’en
étais un ! Mais je l’avais ignoré jusque-là. Je n’ai jamais changé
d’idée depuis. L’œuvre ? C’était Telemusik. Le hasard
a voulu que ce soit cette œuvre-là que j’ai dû analyser des années
plus tard au moment de mon examen de synthèse de doctorat à l’Université
de Montréal. Merci Stockhausen.
Robert
Normandeau
Grand inventeur, grand rêveur. Oscillations
extrêmes : de l’expérimentation radicale à la redécouverte de
la mélodie. Archétype de l’artiste intransigeant et visionnaire.
Il appartient plus à son époque qu’à l’histoire de la musique.
Mais chaque époque aurait besoin de son Stockhausen.
José
Evangelista
Karlheinz Stockhausen fut l’un des
premiers compositeurs modernes que j’ai découverts lorsque j’étais
adolescent. Mon père possédait deux enregistrements de Stockhausen
sur disques 33 tours. Sur le premier il y avait Mikrophonie,
qui me parut pour le moins aride à l’époque – et dont j’avoue
encore aujourd’hui que les erratiques frottements n’ont toujours
pas suscité en moi une passion débordante – mais qui a tout de même
piqué à fond ma curiosité. (Ah ? Ça aussi, on appelle ça de la musique ?)
Sur l’autre, il y avait Kreuzspiel et Kontakte, deux
pièces qui ont contribué de façon décisive à m’attirer dans l’univers
de la musique contemporaine. J’ai eu par la suite la chance de découvrir
peu à peu le très inégal et très éclectique corpus d’œuvres
de Stockhausen qui, de mille façons différentes, n’a jamais cessé
de me surprendre. Génie ou tête enflée ? Pur cabotin ou grand créateur ?
Quoi qu’il en soit, Stockhausen avait ceci de particulier que tour
à tour on l’aimait et le détestait, on se moquait de lui puis on
l’admirait... Chose certaine, il nous manquera.
Vincent
Collard |
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